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Fatoumata Diawara, la résiliente…

Corinne Binesti | | Musique

© Crédit photo : Aida Muluneh

Des tresses parées de coquillages. Des colliers en cascades qui ornent un long coup majestueux. Fatoumata Diawara ne pose pas. Elle illumine. L’élégante au regard doux et au ventre arrondis par la maternité est devenue sereine. Chanteuse, musicienne mais aussi comédienne, cette femme au parcours hors du commun est, à 37 ans, l’une des plus grandes voix maliennes. Le 10 mai prochain, à Paris, elle se produira dans la mythique salle de l’Olympia. Rencontre …

Depuis quand chantez-vous ?

Depuis toujours. Le chant à toujours été présent dans ma vie. Au départ, je ne pensais pas en faire un métier. En réalité, j’ai toujours chanté pour me faire du bien.

C’est à dire ?

Je suis quelqu’un de très sensible et je ne supporte pas l’injustice. Je chante pour accepter ma souffrance, mon enfance. Ma jeunesse a été très difficile. Je chante aussi pour pardonner. Même si aujourd’hui mes parents sont fiers de moi, mon enfance a été très dure.

Une enfance volée …

Je survivais…C’est important pour moi de pouvoir réparer cette enfance qui m’a totalement échappée. Du coup le chant est tout.

Quelle enfant étiez-vous ?

Il semble que tout était intense chez moi. Pas de contrôle. J’ai perdu ma sœur quand j’avais 9 ans. Cela m’a profondément affecté. Aussi, c’était très important pour moi de pouvoir m’exprimer.  Mais autour de moi, les gens ne me comprenaient pas. Tout le monde parlait de moi dans le quartier. Il y avait des choses bizarres qui planaient autour de moi.

Comme quoi  ?

Parfois, il arrivait que des mères battent leurs enfants parce qu’ils avaient passé du temps avec moi ! Un jour ma propre mère m’a dit : « qui es-tu ? »  Imagine. Tu es une enfant de 9 ans et ta mère te dit ça ! Je crois qu’elle souffrait et qu’elle se demandait ce que j’étais venue provoquer dans sa vie. Résultat, j’avais même peur de moi-même.

Une douleur qu’il a fallu exorciser ?

C’est ça. Quand j’ai intégré la compagnie de théâtre de rue Royal de Luxe sous la direction Jean-Luc Courcoult, il m’arrivait de chanter parfois pendant des spectacles. A la fin des représentations, les gens venaient me voir et me parlaient de ma voix : « tu es bien jeune pour avoir une voix aussi chargée », me disaient-ils.  Certains enfants pleuraient quand ils entendaient !  Je ne comprenais pas car le texte des chansons était joyeux ! Avec le temps, j’ai réalisé que ce n’était pas le texte qui était le centre du problème mais bien l’âme qui avait besoin de se libérer.

Vos chansons sont inspirées de la tradition du chant Wassoulou.

Oui. C’est un style de chant pentatonique. Je n’utilise pas d’instrument traditionnel sur scène mais la voix est utilisée comme un instrument traditionnel.

Au Mali, c’est plus des chants « bruts », comparé aux autres pays d’Afrique, où beaucoup de chants sont gospel. Des chœurs attachés aux femmes qui ont chanté dans les églises. Moi pas du tout. C’est davantage la racine de nos ancêtres que j’essaye d’adapter à la musique moderne.

 

Vous êtes chanteuse, musicienne, auteure et vous composez. Vous dites : « ma guitare est devenue mon arme de guerre. Qu’entendez-vous par là ?

Je suis musicienne au même titre qu’un homme musicien. Quand on est seulement chanteuse, certains t’invitent à n’être que la chanteuse de leur groupe. Il y a peu de femmes qui arrivent vraiment à s’imposer dans la musique.  Beaucoup de chanteuses qui sont aussi musiciennes me disent ; « comment t’as fait ? C’est quoi le code ?

Être reconnue comme musicienne au même titre que Mathieu Chedid par exemple ?

Mais Mathieu est un frère d’âme. Lui, c’est un homme qui a compris. Il m’a toujours respecté. Lui et moi avons établi des liens sincères dans un véritable échange artistique. Si je chante en « traditionnel » et que Mathieu part dans des accords jazz ou autres … je vais aller aussi le suivre dans son univers. Nous sommes vraiment dans une générosité musicale qui va dans les deux sens.

D’autres musiciens ont également  partagé la scène avec vous ?

Mais oui bien sûr, Roberto Fonseka, Bobby Womack, Herbie Hancock Oumou Sangaré, Toumani Diabaté, Amadou et Marian, Damon Albarn …toutes ces personnes me respectent énormément en tant qu’artiste à part entière.

Votre deuxième Album « Fenfo », qui en langue bambara signifie « j’ai quelque chose à dire » est un hymne à l’humanité, vous considérez-vous comme une artiste engagée ?

Oui. Je me sens concernée par la vraie vie. Les problèmes des femmes, des enfants, …la cause humaine m’importe beaucoup tout comme la paix. Je me sens concernée par de nombreux combats comme celui de l’égalité entre les Hommes. Je suis une femme qui crée avec l’espoir d’un monde en harmonie.

Dans vos chansons, vous abordez le sujet des migrants.  Vous dites : j’ai vu salir l’image de la jeune Afrique.

Oui ces sept dernières années, on a vu la jeunesse africaine partir sur des bateaux. Une situation qui persiste encore. Tous ces jeunes à qui l’on refuse de voyager, à qui l’on refuse le visa…et ces êtres humains vendus comme esclaves… C’est insupportable.

Vous êtes la preuve qu’on peut s’en sortir. C’est un espoir ?

Tu peux t’en sortir que si quelqu’un te tend la main.

Quelqu’un vous a tendu la main ?

Oui. Le premier qui m’a tendu la main et à qui je dois tout c’est l’écrivain et dramaturge Jean louis Sagot Duvauroux. Sa rencontre a changé ma vie. Certes, il y eut d’autres personnes sur mon chemin … Mais Jean-Louis, il est à part. Il est comme mon père. Il est blanc mais je ne vois pas sa couleur. Il n’est pas français, il n’est pas malien, c’est un citoyen du monde. Quand Jean-Louis est face à un autre être humain qui est dans la difficulté, il est capable de tout donner pour que cette personne se mette debout et se batte.

Et c’est ce qu’il a fait avec vous ?

Exactement. Quand, j’ai rencontré Jean-Louis, j’avais à peine 15 ans. J ‘étais en grande souffrance. Il a tout de suite repéré ma détresse. C’est lui qui a écrit le scénario du film la Genèse, mis en scène par Cheick Oumar Sissoko. Il a voulu que j’ai le rôle principal. C’est la première personne qui a cru en moi. Il m’a montré la voie. Je me souviens encore de ses mots : « Tu es forte et tu peux te servir de ta force. Ne te laisse pas abimer. Suis ta route. Fais toi confiance. Je serai toujours avec toi. ». Et Jean-Louis est là encore aujourd’hui. Quand tu es jeune et que tu entends ça, après dans la vie, tu n’as plus peur de rien. Les gens sont parfois étonnés de voir comment je gère ma carrière ! Mais en fait Jean-Louis est à la base de tout. C’est mon papa.

 

Corinne BINESTI

Biographie Fatoumata Diawara

1982 : Naissance en côte d’Ivoire, de parents maliens.

1997 : La Genèse écrit par Jean-Louis Sagot-Duvauroux et réalisé par le cinéaste malien Cheick Oumar Sissoko (prix « Un certain regard » au festival de Cannes en 1999)

1998 : Elle part en France afin de travailler au Théâtre des Bouffes du Nord sur l’adaptation de Jean-Louis Sagot-Duvauroux de la pièce Antigone.

2002-2008 : Tournée avec la compagnie de théâtre de rue Royal de Luxe sous la direction Jean-Luc Courcoult.

En 2007 : Elle tient le rôle de Karaba dans la comédie musicale Kirikou et Karaba, tirée du dessin animé Kirikou et la sorcière de Michel Ocelot.

2011 : Sortie de son premier album Fatou.

2014 : Joue et chante dans Timbuktu, d’Abderrahmane Sissako nommé aux Oscars et couronné par sept Césars.

2017 -2018 : Victoire de la musique Album de musiques du monde avec Mathieu Chedid pour l’album Lamomali.

2018 : Sortie de son deuxième Album Fenfo.

2019 : 10 mai prochain Olympia.