«  Les bulldozers n’aiment pas les lampadaires » Humour et théologie dans la prose de Josué Guébo

Les bulldozers n’aiment pas les lampadaires (Vallesse Éditions, 2025) de  Josué Guébo est un roman foisonnant, drôle et métaphysique, où la peinture du religieux et une sorte de théologie de la lumière se font écho. Le romancier mêle rire et analyse dans une fresque urbaine aussi spirituelle que sarcastique.

Aux premières pages du livre, Guéwié, quartier fictif mais reconnaissable, est dépeint comme « un méchant ténia aux viscères de la ville », un lieu où grouillant des « moustiques décomplexés » et des « races de flaques ». 

Viscéral et organique le  rire de Guébo  dénonce et raille les contradictions d’un monde où « le haut du pavé est tenu par le palu », mais où l’homme  ne  doit pas nécessairement désespérer car : « À Guéwié, on sait que la joie de vivre ne choisit pas toujours sa destination en fonction des conditions matérielles. Elle va où elle veut, quand elle veut, comme elle veut »

Ce comique, social et poétique, sauve le roman de tout fatalisme, le rire devenant une forme de lucidité, voire une foi Au centre du roman surgit , en effet, le Bishop Biama Gospel (BBG), figure de la nouvelle Église spectaculaire, un homme dont le temple est un lieu de show  et l’auteur le souligne « la musique y joue un rôle essentiel », et les cultes s’accompagnent de « jeux de lumière, fumigènes et autres moyens d’approche scénique ».

Mais face à l’homme de culte, Viepp, ami de longue date, s’indigne : « Tu ne peux pas te proclamer Pasteur et plus encore Apôtre, sans avoir suivi la moindre formation en la matière ! C’est de l’imposture. » Or, BBG, faussement grave, ne manque pas de répondre. Et leur dialogue, à la fois cocasse et profond, condense tout le questionnement du roman.  Que reste-t-il  finalement du sacré quand la foi se fait spectacle, la ferveur marketing ?

La dernière partie  du roman permet à Guébo de tisser une parabole sur la liberté et la connaissance à travers ceux que l’auteur nomme  Les hommes-lampadaires, ces habitants de Guéwié qui « ont étudié à l’éclairage des lampadaires »  et devenus ainsi consciences vigilantes « projetant leurs méchantes lumières sur les généreuses et bienveillantes ténèbres du pouvoir »

Les frères-contraires des premiers cités, eux, sont les « hommes-essuie-glace », dont, nous dit le romancier, « la langue est la manivelle bougeant de gauche à droite pour lécher la moindre gouttelette tombée de la table des princes ». 

On peut considérer que cette dualité appelle à une théologie du discernement au sens où ceux qui cherchent la lumière sont aux prises avec les bulldozers de l’ignorance et du pouvoir. Mais, il y a aussi cette maxime résumant, au final, le souffle spirituel du roman : « La liberté est une denrée périssable. Acquise, elle doit chaque jour être entretenue et défendue. » Apparaissant ici comme la foi, la liberté exige vigilance et entretien.

Loin d’opposer le rire au sacré, Les bulldozers n’aiment pas les lampadaires les réconcilie. C’est ainsi que derrière le grotesque, on devine un espoir tenace — celui d’une humanité qui, même plongée dans la nuit, maintient le réflexe de chercher la lumière. C’est, sans doute là, la véritable théologie du roman, rire des maux présents pour mieux croire en l’avenir !

L’auteur

Josué Guébo, né en 1972 à Abidjan, est poète, essayiste et romancier. Président honoraire  de l’Association des écrivains de Côte d’Ivoire, il a reçu le Grand Prix Tchicaya U Tam’si (2014) et le Grand Prix Bernard Dadié. 

Par Fernand A. Assémian 

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