Jaz de Koffi Kwahulé à la loge en janvier 2016
Du 17 au 20 janvier, on pourra revoir Jaz de Koffi Kwahulé à 19 heures, à La Loge dans la mise en scène d’Alexandre Zeff avec Ludmilla Dado et les musiciens du Mister Jazz Band : Gilles Norman, Franck Perrolle, Louis Jeffroy, Arthur Desligneris.
Jaz.
Oui Jaz.
On l’a toujours appelée Jaz.
Jaz.
Elle ne sait plus.
Simplement Jaz.
…..
Difficile d’évoquer le Jaz de Koffi Kwahulé mis en scène par Alexandre Zeff sans avoir la sensation qu’une multitude de superlatifs se bousculent dans votre esprit parce que vous ne parvenez pas vraiment à articuler l’impression laissée par l’intensité de ce moment de théâtre et de musique. C’est qu’il ne s’agit pas seulement d’un spectacle, mais bien plutôt d’une expérience musicale et poétique, une expérience métaphysique même qui convoque l’essence du jazz, autrement dit la naissance d’une divinité lotus au dessus de cette tour de Babel d’excréments que les hommes ont fait du monde. Et cette divinité lotus est une voix, un chant qui s’élève et que porte avec puissance Ludmilla Dabo. Cette magnifique comédienne offre au public une performance d’actrice et de chanteuse qui dans le petit théâtre de La Loge vous touche au plus profond. Car elle s’empare du texte dramatique comme s’il s’agissait d’une partition et le travaille comme un blues, tandis que le Mister Jazz Band convoque un jazz qui accompagne avec une extrême justesse le souffle de la chanteuse. La composition acoustique créée par Gilles Norman et Franck Perrolle révèle avec force la rythmique du texte et sa portée musicale.
L’histoire première de la pièce est celle d’une femme victime d’un viol dans des WC publics. Mais au-delà du fait divers et du témoignage, la parole de Jaz se fait allégorique. La violence du viol au fond de cette boîte mécanisée et aseptisée qu’est la sanisette, associée à la folie de « l’homme au regard de Christ », de « l’Inquisiteur » qui arrache Jaz aux couleurs de l’arc-en-ciel, déploie le propos au-delà de la condition des femmes, et convoque celle du peuple noir et son histoire. La mise en scène d’Alexandre Zeff et le dispositif scénographique imaginé par Benjamin Gabrié donnent toute son ampleur à cette lecture de la pièce. Le spectacle s’ouvre sur une boîte de jazz, avec sa chanteuse en fourreau de cuir noir, ses néons et son jazz-band tapi dans une semi obscurité rougeoyante où se dessinent les silhouettes des musiciens et de leurs instruments, le saxo d’Arthur Desligneris, la batterie de Louis Jeffroy et les guitares de Gilles Normand et Franck Perolle. Mais cette boîte, qui se fait écrin du joyau qu’est Jaz, se révèle gigogne et nous réserve toutes sortes d’emboîtements et de surprises grâce aux effets sonores et aux lumières conçues par Benjamin Gabrié : elle devient sombre réduit sanitaire avec son siège blanc, mais aussi tombeau, sépulcre, temple, prison… ou encore petite boîte à musique, tandis que le corps de la chanteuse se métamorphose à son tour et conquiert une autre présence, avec le crâne rasé, la nudité et les tatouages qui couvrent sa peau. Le spectacle travaille sur cette tension entre sophistication des néons et archaïsme, entre ritournelle obsédante d’une machinerie de spectacle et grincements métalliques de claustration. Finalement, au plus profond de ce cul de basse fosse, dans la profondeur de la nuit, Jaz s’élève les bras en croix au dessus des miasmes en une figure divine et la vasque des WC se fait coupe des vestales, graal mystérieux, d’où montent des fumigènes comme l’esprit d’un encens rituel.
Le chant de Jaz, le chant de celle qu’on a toujours appelée Jaz, c’est le corps reconstruit, celui finalement arraché à la possession de l’Inquisiteur, le corps musical, cet autre corps qui bat de l’intérieur et est fait de myriade de notes qui parviennent à redessiner le corps perdu, anéanti dans le viol. On peut y reconnaître la condition noire et la réappropriation de soi par la force de la création, autrement dit l’écoute de la vibration ontologique enfouie au plus profond de l’humain, et imaginer au final que Jaz témoigne des origines du jazz.
…
Jaz.
Oui Jaz.
On m’a toujours appelée Jaz.
Jaz.
Je ne sais plus.
Simplement Jaz.
Source : Africultures.com