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Grand-Format Entretien avec Souleymane Koly

Didier Kore | | Théâtre

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Il parle peu. Et quand il décide de le faire, il dit des choses censées. Lui, c’est Souleymane Koly, père fondateur du célèbre groupe «Kotéba». Entretien

Nombreux sont les Ivoiriens qui aimeraient savoir davantage sur vous. Quelle est votre actualité en tant que figure de proue de la culture africaine ?
Merci. Mon actualité est toute différente de celle de la formation «Kotéba» et des «Gos» parce que dans l’esprit des gens, cette confusion apparaît souvent. Je travaille simultanément en ce moment sur deux projets. Un projet de pièce de théâtre normal dont le titre est «la tribu des gonsesses». C’est une pièce écrite par Pierre Minbou, un romancier guinéen qui a été édité par «Kauri édition» qui est une maison d’édition franco-malienne. «La tribu des gonsesses» est une sorte de huis clos dont 7 femmes africaines émigrées et qui vivent dans un squart à Paris. Donc, chacune avait son histoire, son passé et son regard sur le pays d’accueil et le pays qu’elle a quitté. C’est quelque chose d’assez fascinant. Donc, des personnes se sont réunies au Mali et ont porté leur choix sur ma personne pour en faire la mise en scène. La seconde chose est une sorte de fresque à la fois à caractère historique et en même temps qui a un engagement culturel très fort puisqu’il s’agit de ce qu’on appelle la charte du Mandé qui est différente de celle du Nord. Nous sommes donc en 1235 quand Soundjata est couronné empereur après toutes ses conquêtes. Généralement, on conquiert mais on ne réfléchit pas assez à la façon dont on va gérer. C’est en ce moment que ses conseillers lui disent «tu as conquis les terres, il faut maintenant convaincre les cœurs, donc appelle tous les peuples qui ont été conquis et ensemble vous allez bâtir une charte qui va désormais gérer les relations de tout le monde dans ce pays». Il en est ressorti une charte qui aujourd’hui est reconnue comme patrimoine universel de l’humanité. On découvre dans cette charte que c’était carrément une préfiguration de la déclaration universelle des Droits de l’Homme par rapport à la liberté des hommes, la position de la femme, à l’accès à la terre, à l’héritage etc.….Cette charte est portée aujourd’hui par l’Union africaine et par l’organisation des intellectuels noirs. Et le professeur Djibril Tamsi Niagne a tiré de la charte une œuvre dramaturgique ; c’est une fresque romancée. Et la réunion du comité s’est faite à Bamako et ils ont décidé de me confier une fois encore la mise en scène. Cela date déjà de l’année dernière et un débat s’est posé quant au lieu sélectionné pour abriter la création. J’étais de ceux qui ont milité pour que cela se fasse ici en Côte d’Ivoire.

Et l’ensemble «Kotéba» que vous avez monté de toutes pièces, comment se porte-t-il ?
Le groupe se porte relativement bien. J’insiste là-dessus parce que je suis toujours un peu exigent et difficile. Le groupe se porterait d’autant mieux s’il était présent et bien présent chez lui comme cela était le cas par le passé. Le temps passé, on tournait davantage à l’intérieur du pays. Jamais l’on a fait deux ans où trois ans sans aller jouer à Bouaké, Man, Odienné etc.
Nous pouvons dire quelque part que la crise avec la coupure du pays en deux a empêché peut-être ces tournées. Mais cela n’aurait pas pu empêcher que l’on se produise au plan national. Il y a aussi que grosso modo par le passé, le groupe travaillait au rythme d’une création tous les deux ans. Notre dernière création date de 2004, et pourtant nous sommes aujourd’hui en 2008. Donc en retard d’au moins deux créations. En ce qui nous concerne, cela est un problème. De ce fait, je puis dire que la partie dimension création du «Kotéba» traîne un peu le pas. Mais le «Kotéba» a été maître d’œuvre d’un certain nombre d’événements. Par exemple, la Francophonie nous a confié la réalisation du spectacle de l’ouverture des jeux de ladite institution. Et là c’était plus que le «Kotéba» puisqu’il s’agissait de créer un spectacle et de mettre en scène 600 personnes qui se sont produites sur le stade Sény Koutché en décembre 2005. Ensuite, le Togo en 2006 où l’on nous a confié la réalisation d’un spectacle marquant le retour à la normalisation de la fête nationale. A côté de tout cela, les «Gos», elles continuent de travailler puisqu’elles ont sorti un album en 2006, suivi d’un concert cette même année. En 2007, elles se sont associées à la célébration des 50 ans de carrière de Manu Dibango. A part cela, elles continuent de tournée à l’intérieur du pays et la dernière manifestation en date remonte à début mai au Sénégal.
Combien de créations avez-vous à votre actif ?
Nous avons 22 créations au total. C’est-à-dire de 1974 jusqu’aujourd’hui. Ce que j’appelle le «Kotéba» grand format avec musique, théâtre et danse. C’est-à-dire «Pulsation», «Didi par-ci, Didi par-là», «Adama Champion», «Commandant Jupiter» etc.

Nos recherches sur Internet ont ressorti que vous pilotiez «Impression d’Afrique» depuis 1989. Que devient ce projet aujourd’hui ?
«Impression d’Afrique», a été une fois encore une commande. Je vous remercie de vous informer sur mon compte via le net. C’est important. J’invite les jeunes qui viennent nous interviewer à s’informer sur cet outil parce que cela permet de savoir à qui on a affaire.
Nous avions été invités en 1989 par une ville française qui s’appelle Usès. Nous étions passés en tournée dans cette ville et l’équipe qui nous y a accueilli a tellement aimé le travail qu’on a fait qu’ils nous ont invités à venir faire une résidence d’un an. Parce que déjà à l’époque c’était une équipe artistique et culturelle qui était très fixée sur toutes les problématiques de vivre en commun et qui sentait monter ce qu’on voit aujourd’hui. C’est-à-dire les problèmes des banlieues et ceux avec les immigrants. Notre mission, cette année-là consistait pour nous à intervenir dans les écoles. De présenter la culture ivoirienne et africaine et de vivre aussi dans cette ville pour que les jeunes et les moins jeunes voient que nous sommes comme eux. Au cours de cette année-là, il a été tiré un documentaire. Et au terme de ce séjour, l’on nous a demandé de concevoir un festival qui permettrait de faire le point. J’ai baptisé ce festival «Impressions d’Afrique» et il s’agissait durant ce festival d’apporter un goût d’Afrique. Le doyen Dadié était présent, j’ai fait une exposition sur la littérature ivoirienne, sur la peinture, à l’époque c’était le «vohou vohou». J’ai aussi fait un défilé de mode dans lequel se trouvait d’ailleurs miss Zahui qui demarrait à l’époque. Yves Zogbo Junior est venu faire des bouts d’émissions télévisées etc.

Vous avez aussi fait des incursions dans le domaine du 7ème art avec notamment «la vie platinée» et «l’enfant lion». Etait-ce un passe-temps ou une réelle volonté de faire du cinéma ?
Non, cela n’était pas un passe-temps mais c’est venu aussi à la suite d’une sollicitation. C’est après avoir visionné nos pièces que quelqu’un m’a approché, un Français pour me dire que je faisais du cinéma au lieu du théâtre. C’est ainsi que nous nous sommes mis à travailler ensemble. Ce sont deux choses totalement différentes, «La vie platinée» et «l’enfant lion». Le second cité est un projet de Grand Perré, le réalisateur qui a fait un casting et m’a choisi ainsi que Wêrê Wêrê-Liking et bien d’autres encore pour tourner dans son film en tant qu’acteurs. Alors que «La vie platinée» a été conçue par nous. Si je n’ai pas continué, c’est parce qu’en cours de route, je me suis rendu compte que lorsqu’il n’y a pas de structure juridique et administrative chez vous, vous vous faites déposséder de vos œuvres au plan administratif. Je m’explique. Le scénario est de nous, la matière qui est à l’intérieur est à nous. Donc nous ensemble «Kotéba» sommes l’auteur de l’œuvre «La vie platinée». Je vais plus loin, la recherche de financement est encore nous. La personne qui m’a abordé est quelqu’un qui avait une toute petite structure en France, mais il se trouve que par le travail du «Kotéba» et son réseau, nous avons affaire à un certain nombre de structures qui connaissaient notre crédibilité et se sont engagées dans cette aventure. Au moment de verser les subventions, l’on nous demandé si nous avions une structure. Ce qui n’était pas le cas. Ce qui a fait qu’au niveau de mon partenaire et moi déjà, l’affaire est toute suite passée de son camp puisqu’il était éligible devant ce bailleur de fonds. C’était une envie et j’ai toujours envie de faire le cinéma. Je ne jette pas la pierre à nos frères ivoiriens qui ne font pas beaucoup de films parce qu’ils n’ont pas assez de moyens.

Le président Gbagbo a pris un décret portant création de l’office du cinéma. Comment accueillez-vous ce projet ?
J’applaudis des deux mains la création de l’office du cinéma car comme je le disais plus haut lorsque vous arrivez à un certain niveau de financement l’on vous demande si vous avez la société ou pas. Cet argent à l’époque était apporté par le gouvernement ivoirien à travers le ministère de l’information de l’époque, et par la chaîne de télévision TF1 qui était en son temps une chaîne d’Etat pas encore privatisée. TF1 et le gouvernement ivoirien investissent sur un film dont les auteurs sont Ivoiriens et parce que nous n’avons pas les structures aptes à les accueillir, le film apparaît dans la filmographie comme un film français et les bénéfices allaient majoritairement à ces structures. Donc, l’Office national du cinéma de Côte d’Ivoire est la bienvenue. J’espère que nous allons le gérer avec beaucoup de vigilance et de transparence. Que l’argent aille au cinéma et aux projets de cinéma sans faire de distinction entre le bon cinéma et le mauvais. On ne sait pas qu’est-ce qui est du bon cinéma. Je suis pour l’expression de tous. Laissez la variété des expressions.

Déjà, une bataille s’engage entre les comédiens quant à la direction de cet office. Selon vous, qui pourrait avoir le meilleur profil pour diriger cette maison du 7ème art ?
Je ne sais pas quel est le meilleur profil pour diriger cet Office dédié au cinéma ivoirien. La bataille est née selon moi d’une maladresse. Ce sont des choses qui arrivent dans l’enthousiasme d’un discours. A mon sens, je pense même qu’à l’intérieur du décret portant création de l’Office, il doit y avoir la manière de nommer le directeur. Si nous suivons la procédure, celui dont le nom sortira de cette procédure, l’on l’acceptera démocratiquement en attendant de le voir à l’œuvre. Nous pensons qu’il faut y avoir une procédure de nomination qui soit connue de tous. Si c’est par appel à candidature, qu’on le fasse savoir. L’on a vu des gens qui n’avaient pas d’aussi grands bagages intellectuels diriger de grandes structures etc. Donc, il n’y a pas de profil parfait, mais simplement en terme de nomination pour garder à la nomination sa transparence et sa crédibilité, je crois qu’il faut un certain nombre de critères. Peut-être le diplôme, mais comme nous sommes dans le domaine de l’art, l’on peut faire intervenir au cas où l’on n’a pas ces diplômes, l’expérience. Cela existe dans le système anglo-saxon. Moi, je peux ne pas avoir le diplôme requis, mais si pendant mes 35 ans d’existence, j’ai écrit et mis en scène 22 pièces, cela vaut au moins un bac plus quelques années. Donc voilà ce que je veux dire et sur ce sujet les anglo-saxons sont très rompus. Car vous pouvez voir des anciens du football américains qui enseignent à l’université sur la base de l’expérience de la vie sportive et de l’organisation. Moi je pense que cela doit se faire avec sagesse et transparence et en ayant surtout à l’esprit le cinéma.

Souleymane Koly, un homme, un parcours

Un 18 août 1944 naît à N’Zérékoré (Guinée Conakry) Souleymane Koly, un homme au parcours scolaire impressionnant et une vie artistique bien remplie. Ce Franco-guinéen qui a posé ses valises sur les bords de la lagune ébrié a fréquenté l’Université nationale de Côte d’Ivoire dans les années 1977. Là-bas, il a obtenu un diplôme d’Etudes Approfondies (DEA) en Sciences sociales Appliquées. Dans cette même université, celui qui a été fait chevalier dans l’ordre du mérite Français en 1998, puis en 2001 dans l’ordre du mérite ivoirien a en outre obtenu une Maîtrise en Sciences Sociales Appliquées, option psychosociologie du développement. A la Sorbonne Paris, celui qui écrit en lettres d’or les plus belles histoires du peuple mandingue à travers les mises en scènes et production théâtrales diversifiées a suivi une formation en gestion du personnel et relations sociales dans l’entreprise. Bref. Aujourd’hui Directeur fondateur de l’ensemble « Kotéba » à Abidjan, cette éminence grise des métiers de scènes a, à son actif plusieurs réalisations. Pêle-mêle, l’on pourra citer en écriture la publication de «Canicule», un recueil de poèmes soumis à la sagacité des lecteurs dès 1988. Au cinéma, il s’y est mis, même si en son temps, il a déploré le manque de structures capable de gérer au mieux sa carrière. «La vie Platinée» et «L’enfant lion» en sont des exemples probants. Plus sûr que jamais de son talent avéré, l’homme est sollicité ici et là soit pour des mises en scènes hors de son champ de prédilection, soit pour commenter des œuvres romanesques, historiques des sommités des lettres africaines. Ainsi, se décline le parcours «intarissable» de ce personnage qui suscite encore aujourd’hui curiosité et admiration.

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