Cancérologie en Côte d’Ivoire : des artistes emportés, des anonymes oubliés, une urgence nationale

La Côte d’Ivoire a été frappée, le même jour, par un double deuil national : la disparition de Nadiya Sabeh et celle d’Angelo Papa, deux figures emblématiques de la scène artistique ivoirienne, tous deux vaincus par le cancer.
Mais derrière ces visages connus, ce drame quotidien en cache un autre, bien plus vaste et silencieux : celui des milliers d’anonymes — pères, mères, enfants, travailleurs, étudiants — qui luttent eux aussi contre la maladie, loin des projecteurs, souvent sans moyens et parfois sans espoir.
Ces décès médiatisés ont brutalement remis en lumière ce que vivent, chaque jour, d’innombrables familles ivoiriennes : un combat inégal face à une pathologie pour laquelle le système de santé reste encore trop souvent démuni.
Une souffrance collective devenue presque invisible
À Cocody, Treichville, Bouaké, Korhogo ou San-Pédro, les salles d’attente débordent de patients dont personne ne parle.
Derrière chacun d’eux se cache une histoire de sacrifices et de renoncements : ventes de biens familiaux, dettes écrasantes, quêtes improvisées, choix douloureux entre se soigner ou préserver la survie financière du foyer.
Pour beaucoup, le cancer est une double bataille : contre la maladie… et contre la pauvreté, l’éloignement des structures de soins ou encore les lenteurs administratives.
Un parcours de soins chaotique
Faute d’un véritable système intégré de cancérologie, le parcours du patient devient un véritable labyrinthe.
Le dépistage reste insuffisant, les délais pour obtenir un diagnostic sont souvent interminables, les traitements commencent tard et la continuité des soins demeure fragile.
Pour les habitants des zones rurales, l’obstacle est encore plus haut : déplacements coûteux vers Abidjan, hébergement improvisé, absence de suivi médical une fois de retour au village.
Des équipements qui manquent cruellement
Les carences du système sont profondes et bien connues :
- pas de PET-scan,
- une radiothérapie de haute technicité encore insuffisante,
- un accès limité à la biologie moléculaire,
- des médicaments spécialisés souvent introuvables ou inabordables.
Pendant que les patients attendent, la maladie progresse.
Parfois jusqu’au point où toute chance de guérison disparaît.
Des inégalités flagrantes
Les traitements de dernière génération — thérapies ciblées, immunothérapie — restent un luxe.
Le coût complet d’une prise en charge peut représenter plusieurs années de salaire, et le soutien de l’État demeure partiel, limité à certaines pathologies uniquement.
Ainsi, deux réalités se côtoient :
- ceux qui ont les moyens et partent se faire soigner à l’étranger ;
- et ceux qui restent, condamnés à une médecine de renoncement.
Toutes les vies ont la même valeur
La disparition de Nadiya Sabeh et d’Angelo Papa, tragique et injuste, ne doit pas éclipser une vérité fondamentale :
la vie d’un artiste célèbre vaut autant que celle d’une vendeuse de marché, d’un paysan, d’un chauffeur de taxi ou d’un étudiant.
Chaque décès causé par un manque de soins adéquats est une perte pour la nation.
Une réforme devenue indispensable
Plus que jamais, la Côte d’Ivoire doit se donner les moyens de :
- bâtir un véritable réseau national d’oncologie,
- garantir un accès équitable aux traitements modernes,
- renforcer la prévention et les campagnes de dépistage,
- développer la médecine nucléaire,
- assurer une prise en charge digne en soins palliatifs.
Transformer le silence en action
Le cancer ne choisit pas ses victimes.
Il frappe sans distinction, dans les familles connues comme anonymes.
Honorer la mémoire de Nadiya Sabeh, d’Angelo Papa et des milliers d’Ivoiriens emportés chaque année signifie sortir du silence et exiger des réformes ambitieuses.
La lutte contre le cancer doit devenir une cause nationale, au cœur des priorités du pays.
Firmin Koto