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Musique: TIKEN JAH FACOLY «Je suis la relève du reggae africain»

Firmin Koto | | Musique
Tiekn Jah

En marge de son concert à Stockholm, en Suède, Tiken Jah s’est confié à nos reporters. Il parle de son exil malien, de la rébellion en Côte d’Ivoire, de ses rapports avec d’Alpha Blondy et de la place qu’il revendique sur la scène musicale africaine.

Récemment tu affirmais dans le journal le Monde que “Gbagbo doit quitter le pouvoir”. Au moment où il y a un consensus autour du désarmement en Côte d’Ivoire. N’est-ce pas un appel ressassé?
Effectivement nous sommes aujourd’hui dans une phase de réconciliation en Côte d’Ivoire et donc tout le monde doit aller dans ce sens…

N’es-tu pas là en train de te contredire ?
Non! j’y arrive, laissez-moi poursuivre. L’interview parue dans le journal le Monde a été réalisée depuis longtemps. Elle était au placard et je crois que c’est à la suite des derniers blocages au niveau des discussions qu’ils l’ont publiée. Mais, toujours est-il que je l’ai bel et bien dit même si cette requête n’est pas trop dans le contexte actuel.

Mais, peux-tu expliquer cet acharnement sur Laurent Gbagbo…
J’estime que les élections en 2000 se sont passées dans des conditions calamiteuses. Au lendemain des éléctions, au moment où un artiste comme Alpha Blondy affirmait qu’il fallait voter pour Gbagbo plutôt que pour le général Guéi. Sachant que deux plus importants partis politiques (le Pdci et le Rdr) avaient été exclus, cela présageait qu’il y avait un malaise. Cela veut dire qu’on prive des milliers d’Ivoiriens de la parole. Il y a donc absence de démocratie et bonjour la frustration qui est la résultante de la guerre aujourd’hui en Côte d’Ivoire.

En quoi est-ce que la responsabilité de Laurent Gbagbo est engagée en tant que président d’un parti politique et non président de la commission électorale ?
Le problème n’est pas une question de responsabilité engagée de Gbagbo, c est une question de laisser librement les Ivoiriens choisir leur président. J’estime que depuis 1960, il n’y a jamais eu d’élections transparentes en Côte d’Ivoire. Bedié, après avoir eu le pouvoir comme un cadeau de Noël en décembre 93, a organisé en 95 des élections truquées qui éliminaient aussi la candidature d’autres partis en retenant celle de Francis Wodié tout en sachant que celui-ci ne faisait pas le poids. On arrive alors à un coup d’Etat en 99, avec le général Guéi dont le discours n’est pas loin de celui du mien. Lorsqu’il a commencé à dérailler, je l’ai bien prévenu à travers une de mes chansons. Comprenez donc que mon discours est cohérent jusqu’à présent. Je ne suis pas de ceux à qui les hommes politiques donnent de l’argent pour dire du bien d’eux. Aujourd’hui, toute la Côte d Ivoire est consciente qu’il faut aller à la paix. Il faut donc y aller parce que les Ivoiriens sont fatigués. Les leaders politiques, pour qui le peuple se bat aujourd’hui, ont leurs enfants dans les plus grandes universités du monde. Et cela tandis que nos jeunes frères se donnent en sacrifice dans les rues. Il faut que cette boucherie s’arrête et que la place soit faite à la bonne politique, celle où le peuple décide du sort de son avenir. Il ne faut pas que les présidents au pouvoir se donnent le droit de choisir leurs adversaires.

Le désarmement comme un préalable aux futures élections et pour aboutir à la réconciliation. Qu’en penses-tu?
Je pense aussi qu’il faut désarmer avant les élections. Mais, les conditions du désarmement restent encore floues en ce sens qu’il faut qu’il soit effectif. C’est à-dire que toutes les parties prenantes doivent désarmer, y compris l’armée régulière, avant et pendant les préparatifs des élections ; je veux parler des milices, des Forces nouvelles et de l’armée régulière. Cela, sous le contrôle des forces impartiales.

Comment penses-tu que cela puisse être possible que l’armée régulière désarme ? N’est-ce pas une proposition un peu utopique ?
Nous sommes dans un pays en guerre et donc on est obligé de faire ce que l’on croit impossible dans l’interét de la nation. Vous êtes d’accord avec moi que tous les partis n’accepteront pas de désarmer tant que d’autres se disant autorisés à garder les armes ne désarment pas. Et là, je veux parler de l’armée gouvernementale. Il faut peut-être essayer le désarmement pour toutes les forces, le recensement et après, on organise des éléctions avec toutes les parties, pour qu’enfin les Ivoiriens choisissent leurs canditats. Ce que tout bon Ivoirien souhaite aujourd’hui est que la paix revienne. Moi, j’ai envie de retourner en Côte d’Ivoire, j’ai envie de rentrer à la maison, revoir mes amis et mes frères. Mais, je ne peux pas le faire parce que la sécurité n’est pas toujours garantie pour nous autres.

Une certaine opinion pense que tu t’es constitué en victime pour te réfugier au Mali, afin de relancer ta carrière ?
Je laisse chacun penser ce qu’il veut. Je suis un promoteur de la liberté d’expression. En son temps, j’ai appelé H Camara pour lui demander de quitter le pays. Il m’a dit qu’il ne se reproche rien. Où est-il aujourd’hui? Je n’avais pas franchement besoin de ça pour donner un coup de pouce à ma carrière. Avant même la guerre en Côte d’Ivoire, ma carrière commençait dèjà à exploser en France. Pendant la guerre, j’ai sorti “Françafrique” qui a été un succès dans toute l’Europe. Il faut laisser mes détracteurs dire ce qu’ils veulent. J’ai même entendu dire par Alpha Blondy qu’on ne me veut rien en Côte d’Ivoire. Moi au moins j’ai eu le culot de dire les choses que lui en tant que Alpha Blondy n’a pas eu le courage de dire. Moi j’ai tout de suite pris position et je reste constant dans mon combat. Le même Alpha disait récemment qu’il faut que Gbagbo reste encore cinq ans au pouvoir. Il faut qu’il arrête le délire. Il faut que Gbagbo laisse le pouvoir pendant un an à quelqu’un qui va conduire la transition pour organiser les éléctions. Pour qu’enfin chacun parte avec sa force et son parti politique. Si Gbagbo estime qu’il a la majorité en Côte d’Ivoire, il sera réélu. Il est resté président pendant six ans et il est du parti au pouvoir donc il reste favori. Pourquoi a-t-il peur? Pour revenir à ma carrière, je me souviens que lorsque j’ai eu les victoires de la musique, le même Alpha Blondy a dit que les Blancs m’ont donné le prix parce que je soutenais la rébellion en Côte d’Ivoire. Ce qu’il ne dit pas c’est qu’il a été dans la compétition et je l’ai battu. J’aurais préféré qu’Alpha me félicite plutôt parce que je représente la relève aujourd’hui. Pendant 25 ans, il a règné tout seul sur le reggae africain. Aujourd’hui, son inspiration a baissé et il prend de l’âge. Il est donc important qu’il laisse la place aux plus jeunes. En Jamaïque, tout le monde écoute Bob Marley, mais c’est la nouvelle génération qui est d’actualité. Aujourd’hui, je suis en train de produire des jeunes artistes parce que je sais que dans dix ans ou même moins, ça va baisser et il faudra que des jeunes prennent la relève pour qu’on continue de parler de reggae africain. Voilà un peu mon objectif. En plus du fait que je sois constant dans ma ligne idéologique , si demain un Bété est victime d’injustice je serais là pour le dénoncer comme je l’ai fait au temps où le Fpi était dans l’opposition.

Peux-tu dire franchement quelle est ta position par rapport à la rébellion ?
Je voudrais dire que tous ceux qui me traitent de rebelle ont une mémoire courte. J’ai fait partie des sympathisants du Fpi. Mon père était Pdci et j’ai encore ses cartes d’adhésion. A l’époque, pendant les meetings du Fpi, j’étais régulièrement contacté par Paul Dokoui et je venais chanter pour le Fpi. Mon message n’était pas loin de celui du Fpi. J’ai même accordé en son temps des interviews à “La Voie” pour dénoncer l’injustice contre les leaders du Fpi et je veux citer en exemple, l’arrestation de Gbagbo. Aujourd’hui, comme je dénonce une injustice et que je suis contre un certain système, on me traite de rebelle. Une fois pour de bon, j’aimerais dire que je n’ai aucun lien avec la rébellion. Mais, je comprends leur combat. Depuis 1996 à travers mes albums, “Mangecratie”, “Cours d’histoire”, “Cameléon”, “France-Afrique”, j’ai toujours parlé de la situation en Côte d’Ivoire. Si Bédié avait écouté mon message, nous n’en serions pas là aujourd’hui. En 2000, si Gbagbo m’avait écouté nous n’en serions pas là. Pour revenir à Gbagbo, tout le monde est conscient de sa lutte. La liberté de la presse est de son combat. Il méritait de gouverner la Côte d’Ivoire. Mais, il n’a pas eu la chance de rentrer par la grande porte. Après son élection dans des conditions calamiteuses, la première chose qu’il aurait dû faire était de prononcer un message d’unité. Ceci en promettant qu’après son mandat tous les partis allaient se présenter pour qu’enfin il y ait des éléctions justes et transparentes en Côte d’Ivoire.
Gbagbo n’a jamais terminé ce mandat en bonne et due forme…
Oui, mais les dés étaient pipés au départ avec le forum de la réconciliation que j’appelle le forum de la distraction. Et c’est de là qu’est parti tout ce malaise. Au cours du forum de la réconciliation nationale, tous les partis et les couches sociales étaient répresentés. Malheureusement, Laurent Gbagbo a refusé d’appliquer les résolutions de ce forum. C’est pas sérieux. La réalité est là. C’est pour cela que je dis que je comprends le problème des rebelles. Ce qu’on aurait pu obtenir par les revendications musicales a été finalement mais malheureusement obtenu par les armes. Toutes les avances en passant par l’acceptation de la canditature d’Ado (ndlr. Alassane Dramane Ouattara, opposant au régime du Président Laurent Gbagbo). Nous avons chanté, Alpha, Fadal Dey, moi et bien d’autres, mais personne n’a voulu nous écouter.

Preview of proposed design
Que penses-tu de la politique extérieure par rapport à la Côte d’Ivoire ?
Je pense que la politique extérieure a un impact négatif dans ce qui arrive à la Côte d’Ivoire. C’est clairement une guerre économique entre le colonisateur et notre pays. Le paradoxe c’est que l’Afrique est le continent qui a le plus de ressources au monde. J’ai lu récemment que les ressources minières répresentent 75% dans le monde. Il est donc clair que l’Afrique est convoitée par les Occidentaux. C’est pourquoi, il faut que les dirigents africains parlent d’une seule voix pour défendre les interêts de l’Afrique. C’est vrai que la France pourrait soutenir une opposition ou une rébellion contre un pouvoir qui n’est pas en accord avec elle. J’ai l’habitude de dire que si nous sommes unis, ça va faire mal. Si les Ivoiriens etaient unis et qu’ils avaient mis en place une bonne démocratie, transparence, justice et égalité il n’y aurait pas cette guerre aujourd’hui.

Penses-tu à un réel retour de la paix en Côte d’Ivoire ?
Oui mais à condition que tout le monde soit conscient de l’intérêt de la nation. J’ai toujours dit qu’une paix durable, c’est une paix qui se constitue de justice et d’égalité. Si, aujourd’hui les Baoulé (ndlr. Ethnie originaire du centre de la Côte d’Ivoire) sont victimes d’injustice, ils vont se lever. Les Bétés ont été victimes dans les années 70, ils se sont lévés. Ils ont été massacrés par le pouvoir d’Houphouët, les Dioula ont été massacrés pendant longtemps mais aujourd’hui ils se sont levés ainsi que tous ceux qui pensent qu’ils sont victimes d’injustice. Il faut que les gens sachent que personne n’acceptera l’injustice en Côte d’Ivoire. Ce pays a été bâti sous Houphouët pendant 33 ans il est important qu’il nous appartienne à nous tous. Il faut vraiment qu’on revienne à l’époque de “Bététchê”, de “Djoulatchê” et faire la vraie politique.

Pourquoi avoir choisi le Mali pour ton exil ?
Je suis le descendant de Fakoly Kumba, donc un descendant de l’empire du Mandingue. Le Mali étant le noyau de l’empire du Mandingue. Pour moi c’est un retour à la maison en attendant que l’autre maison soit stable. L’autre raison est que je ne voulais pas aussi trop m’éloigner de ma famille et surtout de ma mère. Quand j’ai envie de la voir j’ai qu’à mettre une voiture pour aller la chercher. Je me sens très bien au Mali, j’y ai beaucoup de fans. Et en plus j’ai de bons rapports avec le Président ATT. Je le vois quand je veux.

A quand le retour à Abidjan ?
Je rentrerai chez moi quand la situation sera stable. Je ne veux pas prendre de risque et donc j’attends. Je laisse faire le temps mais lorsque je rentrerai, j’organiserai un grand concert au stade Félix Houphouët Boigny que je vais d’ailleurs remplir. Ce sera avec plusieurs autres artistes du monde avec pour thème “le concert de la réconciliation”.

Un mot sur ton prochain album…
Je compte le sortir en janvier ou mars selon qu’il sera prêt à une de ces deux dates. Il aura pour thème, “l’Africain”. J’estime qu’il est temps de faire la promotion de l’Afrique. Il faut que l’on ait maintenant l’habitude de dire que je suis d’abord africain de tel ou tel pays. Et je crois que cette nouvelle mentalité qui se forge en ce moment par les Africains dans le reste du monde doit être promue pour une Afrique plus unie et plus forte. J’ai déjà bouclé plus de 60 titres et c’est parmi eux que je vais choisir ceux qui vont figurer sur l’album qui, je crois, plaira à tout le monde.