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Interview : Valen Guede, musicien, auteur d livre «L’autre face de la mélodie »

Macaire Etty | | Musique

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Après la fête de la musique, nous avons trouvé, pour rester dans la gamme, de donner la parole un éplucheur de mélodie, le musicologue Valen Guédé qui vient de mettre sur le marché un livre titré « L’autre Face de la Mélodie ». Avec ce style foisonnant qu’on lui connait, il répond à nos questions.

Pour un livre écrit par le musicologue que vous êtes, on s’attendait à une étude savante des mélodies ivoiriennes …Pourquoi cette option-ci ?

Vous n’êtes pas le seul à poser la question ainsi. Avant d’écrire ce livre je me la suis posé aussi et je me suis dit finalement, combien sont-ils à commencer par les musiciens eux-mêmes à comprendre le langage scientifique musical en Côte d’Ivoire et sur le continent Africain ? (…) En dernier ressort je me suis dit que ce livre n’est pas un manuel d’école et qu’il fallait montrer autre chose. Quand on sait les exigences d’une radio qui plus est, s’adresse aux jeunes, il y a un certain nombre de choses dont il faut faire l’économie et surtout lorsque l’on vous sollicite pour animer une chronique sur les antennes d’une telle radio d’une durée de deux minutes, l’on ne se pose pas la question de savoir qui de la poule et l’œuf était le premier.

 

Comment justifiez-vous le titre de votre livre (L’autre face de la mélodie) dont la beauté et la forme imagée ne font aucun doute ?

La réponse à cette question se trouve dans votre première question à savoir le scientifique au-delà des glorioles que l’on lui fait porter à tort ou à raison, se permet de naviguer sur d’autres eaux car en ces eaux gisent des perles poétiques dont nous ignorons l’existence. J’y suis allé et avec plaisir j’ai découvert ces perles poétiques-là. Je pense que le fait de n’avoir pas nous intéressé tôt à la teneur des chansons de certains de nos chanteurs, est un tort que chacun de nous a porté à leurs écrits. Et pour payer ma part de tort, je me suis dit : ouvrons l’autre face en dehors de celle que nous connaissons. D’où l’autre face de la mélodie afin de voir ce qui s’y cache et le faire partager avec autrui.

 

A quoi répond cette longue dédicace au début du livre ?

Un salut à des amis qui d’une façon ou d’une autre sont des acteurs actifs ou passifs dans le monde des arts et de la culture. Bien entendu sans oublier certains parents que je porte en mon cœur et c’est le cas de ma fille qui bénéficie de la première dédicace.

 

A lire les articles portant sur les textes de Gnaoré Jimmy, Dickael Liadé, Amédé Pierre, Jack Delly, John Yalley etc. on se rend compte que ce sont de véritables poètes. Partagez-vous mon avis ?

Oui c’est mon avis et c’est ce qui m’a amené à faire le décryptage de leurs textes sans oublier qu’ils ne sont pas les seuls. Sans excès, ils sont nombreux à avoir des textes qui nous apostrophent, nous parlent en mettant à portée de nos cœurs des espaces verdoyants. Il y a d’autres artistes dont les noms n’ont pas été mentionnés mais qui, à travers leurs textes, parlent de la cohésion sociale, du renforcement des liens de solidarité entre toutes les composantes de la société.

 

Dans ce livre vous consacrez un article à Serge Beyaud et Arafat. Votre regard sur cette musque a-t-elle évolué ?

Dans le domaine du Couper-Décaler, il y a eu de l’évolution. Serges Benaud est un jeune homme qui a une écriture humanisée, proche de nous en apportant quelque chose de sensible au Couper-Décaler avec une chorégraphie tintée de préciosité. Arafat a sorti ce genre musical de ses hésitations en lui conférant une résonnance très articulée, une sorte de maturité. Il y a Claire Bahi qui parle d’un problème que l’on prendrait pour anodin et pourtant qui est d’une importance capitale. N’est considérée belle femme sous nos cieux que celle dont les fessiers sont débordants. Claire revendique des fessiers infiniment petits et n’a aucun complexe à le dire. Par ce geste, elle veut dissuader les femmes qui ingurgitent des médicaments pour avoir des postérieurs bedonnants. Il y a un message fort dans son texte. Au-delà, ce qui est prometteur, c’est que les pratiquants du Couper-Décaler commencent à intégrer dans leurs écrits les musiques du terroir. Attendons de voir de quoi sera fait demain avant d’entonner les chants de la victoire. Il y a des frémissements dans le Couper-Décaler qui méritent d’être encouragés mis à par quelques textes porteurs de toutes sortes de germes destructeurs de bonnes mœurs.

 

D’une façon générale, quelle est a récurrence du message des artistes zouglou ?

La musique Zouglou bien que née avant les années 90, a connu une grande promotion médiatique en 1990, période qui correspond à l’avènement du pluralisme démocratique en Côte d’Ivoire avec son printemps de presse. La parole a été libérée et le Zouglou va s’inscrire dans cette vision-là. Ce qui lui confère une tonalité revendicative sous un vernis corrosif avec une dose de dérision, d’humour. Ceci permet à tout auditeur malgré le poids des paroles de les avaler avec dévotion. Le Zouglou mord et souffle à la fois. C’est un genre musical qui utilise des nouvelles paroles qui prévalent dans le milieu de ses pratiquants en les affectant à la structure mélodique préexistante. L’on trouve cette caractéristique dans les chansons populaires. Notons que le Zouglou vient du rythme de l’aloukou dans la région de Gagnoa. Mais à cause des paroles issues des grandes agglomérations utilisées par ses pratiquants, souvent l’on qualifie ce genre musical d’urbain.

 

Dans ce livre, vous montrez votre esprit d’ouverture en intégrant les musiciens d’autres pays. Vous allez jusqu’à évoquer Michael Jackson. Que retenir ?

Mickaël Jackson a apporté des grandes innovations à la musique, à la chorégraphie et à l’art tout court. Et puis ce garçon était un porte-flambeau d’une génération d’artistes de génie, une sorte de pont qui reliait toutes les générations et l’humanité aimait sa musique. Il était altruiste à l’infini envers tout le monde et particulièrement envers l’Afrique. Ce qui m’a amené à saluer les actes de bienfaisance qu’il a posés. Et il fut l’artiste dont le départ au souterrain pays a été filmé en direct. Un jeune homme issu d’une famille de pauvres qui de par son génie a mis le monde à ses pieds et pour qui les hélicos, télévisions étaient mobilisés pour filmer son départ de la terre des vivants. Il y a un côté de rêve et ce  côté méritait aussi d’être souligné. Un jour je me proposerai d’écrire sur la vie de cet artiste parce qu’il y a à dire et redire. Il est porteur de tous les signaux artistiques.

 

Le reggae de Blondy à Fadal Day en passant par Kimon et Ismaël Isaac est bien ancré dans notre pays. Comment expliquez-vous une telle emprise ?

Tous ceux que vous citez sont des artistes de talent dont les mélodies ne laissent personne indifférent. Ils ont su à leur niveau respectif, donner une coloration nationale au reggae. Une ouverture dans laquelle se sont engouffrés d’autres artistes du pays. L’on se retrouve dans leur approche harmonique et c’est ce qui fait sans vouloir se mettre dans leurs peaux, l’on se retrouve sous leurs ombres protectrices.

 

Je note que la musique attié reconnue comme une musique bien présente et privilégiant le live n’a pas retenue véritablement votre attention dans ce recueil. Pourquoi ?

C’est connu de tous que les Attié sont de grands musiciens. Le pays attié est le berceau de grandes formations musicales et nul ne peut le contester. Il y a Monique Seka et feu Joëlle C qui figurent dans ce premier tome. Cependant, une grande lucarne sera ouverte sur la musique du pays Attié car, le peuple Attié a apporté une grande contribution au développement de la musique moderne de souche traditionnelle de la Côte d’Ivoire.

 

Ernesto Djédjé et Jimmy Hyacinthe sont deux créateurs inégalables. Quelle est la particularité ou la force de chacun de ses deux génies ?

Chacun d’eux porte en lui la flamme de l’innovation. Tout ce qu’ils touchent même dans la pénombre, brille. Les deux sont des  instrumentistes aux doigtés achevés. Jimmy a fait ses armes dans la pop music et cela se ressent au niveau de son écriture avec des pans de ce genre musical. Les attaques, les solos de guitare, tout ceci jalonne son écriture. Il a parcouru l’univers à travers lequel il a su se construire une réputation de virtuose de la guitare qui n’avait plus de secret pour lui. Ernesto lui a suivi un autre chemin dans la pure tradition de la musique du terroir où il a su dompter les réflexes traditionnels pour les transcrire avec ses propres sensations. Il était un des instrumentistes à avoir su transcrire les notes de la musique traditionnelle en leur donnant une résonnance particulière sans altérer leurs harmonies. Par-dessus tout, Ernesto Djédjé était un poète lyrique avec des textes forts ayant une tête, un tronc et des pieds. Ce côté de l’artiste a été découvert après sa disparition,  étouffé qu’il était par sa virtuosité et sa chorégraphie. Jimmy et Ernesto, restent de très grands artistes ayant apporté des grandes innovations à l’écriture de la musique moderne Ivoirienne de souche traditionnelle. Ils étaient aussi de grands arrangeurs ayant auguré une nouvelle approche harmonique. L’histoire de la musique en Côte d’Ivoire doit retenir leurs noms pour service rendu.

 

Que doit-on attendre du Tome 2 de ce livre ?

Il y a un jour pour couper de la liane et un autre jour pour aller à la chasse dans la forêt. Même si c’est sur le même lieu que l’on accomplit ces deux actes, dans le dernier cas, il faut prendre les précautions pour se protéger contre les puissances maléfiques de la flore. Le deuxième tome de « L’autre face de la mélodie » restera dans la même tonalité mais avec une grande ouverture sur le monde. Nombreux sont les artistes qui me demandent pourquoi ils ne figurent pas dans ce livre et simplement je leur dis de prendre patience car lorsqu’il y a le tome 1, il y aura 2, 3 ainsi de suite.

Etty Macaire