Interview: Oumou Sangaré “Je combats avec une arme douce qui ne tue pas, la musique !”
Après des débuts enfiévrés dans les rue de Bamako où elle animait mariages et baptêmes, Oumou Sangaré est désormais une chanteuse reconnue et réputée au plan international. Sa musique, directement inspirée des chants de chasseurs du sud-est maliens, elle la met au service du combat pour la femme africaine…
À l’occasion du festival africain de Stockholm organisé par Selam pour sa dixième année consécutive 100%culture l’a rencontré.
Apres 20 ans de carrière musicale, qu’est ce qu’on puisse retenir de votre parcours?
L’essentiel, c’est que depuis 20 ans je suis en mission pour la promotion de la musique africaine. Et, je précise que l’Afrique est très riche de par sa culture et sa musique mais malheureusement cette musique même si elle suscite beaucoup de curiosité aujourd’hui, elle n’est pas encore entrée dans la cours des grands. Il ya trop d’inégalité dans la cotation de cette musique quand bien même en général, la musique africaine est la mère de beaucoup de musiques comme le jazz, le reggae, le rap et bien d’autres.
Votre combat pour la promotion de la musique africaine porte-t-il des fruits au-delàs des frontières africaines ?
Depuis le mois de mars 2009, nous sommes en tournée. Cette tournée a démarrée aux USA en passant par le Canada et plusieurs autres pays de l’Europe. Avec le concert de Stockholm, nous sommes à notre 53e concerts et nous sommes loin d’avoir fini cette tournée. C’est la preuve que la musique africaine a commencé à s’exporter quand même sur les scènes internationales. Quand je prends aussi l’exemple de certains artistes africains qui sont aussi dans les circuits de tournées, je pense qu’il ya eu beaucoup de changements. Aujourd’hui on parle de plus en plus de musique du monde et de métissage culturel dans lequel l’Afrique joue un grand rôle. En réalité, la musique africaine fusionne facilement avec les autres musiques de sorte qu’aujourd’hui les scènes sont très colorées et de plus en plus on retrouve des sonorités métissées. Je pense de ce faite que l’Afrique contribuera beaucoup à la musique de demain.
Quels éléments à titre d’exemple permettent de confirmer vos dires avec le concert que vous venez de donner à Konserthuset, à Stockholm ?
Je ne vous l’apprends pas, Konserthuset à Stockholm est une sale mythique où sont passés presque tous les grands artistes du monde entier. Vous n’êtes pas sans savoir que nous avons pratiquement joué à guichet fermé. Si nous prenons aussi en compte que vers la fin du concert, plusieurs Blancs se soient succédé sur la scène pour jouer parfaitement d’un instrument africain en parfaite symbiose avec mes musiciens ou exécuter des pas de danse africaine, que peut-on avoir dans ce cas comme meilleur exemple ou preuve pour justifier l’adhésion massive à cette musique africaine qui est, je le répète, de plus en plus métissée.
En dehors de votre engagement pour la promotion de la musique africaine et malienne en particulier, vous avez aussi, depuis le début de votre carrière pris partie pour la femme africaine. Où en êtes vous aujourd’hui avec cet autre combat ?
J’aurais peut être pu faire, comme d’autres artistes africains le choix de l’engagement politique pour dénoncer les tares de notre société d’autant plus que mon statut d’artiste reconnue aux plans internationaux me le permet. Cependant, je pense qu’a coté de la politique il ya d’autres choses importantes. Depuis le début de ma carrière j’ai fait le choix de défendre la femme afin d’améliorer sa condition de vie. Surtout que l’Afrique a accusé un grand retard à ce niveau. Au moment même où on parle d’égalité de sexe dans les sociétés dite civilisée, il se trouve aujourd’hui encore que, dans nos sociétés, des agissements qui vont à l’encontre de l’honneur de la femme y sont encore pratiqués. Je veux parler de la polygamie, l’excision, la maltraitance de la femme et j’en passe. Même si je suis très attachée à la culture de mon pays, il faut cependant que les choses changent dans la manière de considérer les rapports entre l’homme et la femme dans nos sociétés. Dans ce cas il faut que des gens travaillent à cela, et je suis de ceux-là. Et aussi il faut que la femme se batte pour sa condition, la femme ne doit pas continuellement tendre la main à l’homme car c’est ce qui fait qu’elle est reléguée au second plan alors qu’en réalité la femme et l’homme doivent se compléter. En plus du fait que la femme joue un grand rôle dans le processus de la vie humaine parce que c’est elle qui donne d’abord la vie. Les pays développés qui l’ont si bien compris ont vu leurs sociétés se développer davantage avec des femmes qui ont de plus en plus de place dans leurs sociétés tout en jouissant d’une protection adéquate.
Comment voyez-vous donc l’avenir de la femme africaine ?
Je répondrai plutôt que la femme africaine a un avenir radieux devant elle, d’autant plus que les choses commencent à changer. Même si ce n’est pas à une grande échelle encore dans nos villages en Afrique, où la tradition a encore droit de cité à cause de l’éducation traditionnelle qui veut que la femme soit au service de l’homme. Par contre, les questions de la femme et son rôle dans les villes africaines par exemple ont beaucoup évolué de plus en plus, la femme a son mot à dire, et on retrouve de plus en plus des femmes à des postes de décision et stratégiques. J’avoue cependant que ce n’est pas du tout suffisant. C’est pourquoi je mène toujours ce combat afin que la femme africaine soit reconnue dans ses droits. La vie de la femme est très difficile en Afrique et il faut que les choses changent. Notre génération a abattu de grands efforts. Il est donc clair que dans un futur proche la condition de la femme ne sera pas la même que du temps de nos parents et de notre temps.
Défendre les conditions de la femme dans un pays comme le Mali, fortement encré dans la tradition, est-il aisé aujourd’hui ?
De plus en plus la tache commence à être aisée et même il est agréable de défendre la cause de la femme au Mali. Aujourd’hui, le sujet n’est plus véritablement un tabou. Par contre, il ya de cela 20 ans, mon combat était presque utopique, car même si mes chansons abordaient des thèmes très graves dont nul n’osait parler publiquement. Ce n’était donc pas assez suffisant pour que le Malien ancré dans la tradition change d’un trait de comportement ou encore qu’il comprenne que l’homme et la femme se complètent et donc de surcroit ils doivent avoir les mêmes droits. Aujourd’hui dans mes deux hôtels à Bamako et dans mon village je donne régulièrement des concerts et de plus en plus les hommes sont nombreux aux cotés de leurs femmes qu’ils accompagnent. De plus en plus, on trouve des hommes féministes au Mali.
Parlons un peu de politique. On n’a presque jamais enregistré de propos forts dans ce sens de vous… Non ?
La politique ! Non je ne parle jamais de politique. J’ai un parler trop franc et en Afrique on n’aime pas trop le franc parlé en politique. En tant que femme et au regard de la condition de la femme en Afrique, je pense qu’a ce niveau il ya déjà beaucoup à faire. Mon engagement est beaucoup plus social et c’est tant mieux pour l’artiste que je suis, qui veut être libre de dire ce qu’elle veut et combattre avec cette arme douce qui ne tue pas et qui n’est rien d’autre que la musique. Je n’ai pas besoin de faire de la politique pour être une artiste célèbre. Depuis le début de ma carrière, je suis régulièrement encouragée par mon public et mes fans qui me trouvent bien comme je suis. Je quand bien même je passe des années sans sortir d’album, des milliers de courriers me parviennent durant ces ans et c’est surement pourquoi je suis encore sur scène sinon j’aurais peu entre changé de combat. La preuve, lorsque je mets du temps a faire un album, des coups de fil, pour beaucoup de femmes aujourd’hui je suis un exemple.
Parlez-nous un peu de la manière dont vous avez accueilli l’élection de Barack Obama comme premier président américain d’origine africaine ?
Je pense personnellement que cela a été un des plus beaux jours de ma vie, et celui des Africains et tout ceux qui ont une histoire avec l’Afrique. Je considère l’élection de Barack Obama comme une victoire pour l’Afrique. Un moment d’apaisement moral pour l’Afrique avec toute cette injustice qu’elle a subit depuis le temps de l’esclavage. C’est la justice de Dieu et la lutte continue.