INTERVIEW FADAL DEY ( Artiste-reaggae): « L’amour est ma première religion »
La désormais célèbre affirmation selon laquelle Abidjan serait la troisième capitale mondiale du raeggae après Londres et Kingston n’est désormais plus à confirmer…Elle est. Cette musique jamaicaine bien délocalisée dans la capitale ivoirienne à l’orée des années 80 par un certain Alpha Blondy a vite été adoptée par l’ensemble des ivoiriens et des africains dans leur ensemble, qui ont vu son influence se developper par plusieurs chanteurs tels Lucky Dube, Tiken Jah Fakoly, Ismael Isaac ou encore… Fadal DEY. Nous y sommes. Le nom est lâché. Et ce n’est point l’effet d’un hazard si ce dernier nom figure délicatement à côté des quelques grands artistes reaggae de ce monde. Il est lui même un grand artiste par sa musique, sa voix, ses messages, son naturel…Sans mauvaise immitation de ses aînés, Fadal Dey a su créer au fil des années son propre style pour ensuite se faire accepter, non sans talent, par tous les aficionados de la musique raeggae. Et le charme le plus touchant de cet artiste, c’est ce sentiment de quiétude et d’amour qu’il fait goûter à ses mélomanes. Il dérange par tant de familiarité mêlée à tant d’étrangété radicale…Et lorsque vous lui parler de politique ou d’appartenance à un quelconque parti, lui préfère, angélique, prôner l’amour au dessus de toute chose. C’est un vrai et pur produit du reaggae qui force le respect…De passage à Paris pour l’enrégistrement de son prochain album « Mea Culpa » , il s’est confié à nous, jovial , lors d’un entretien. On ne peut que suivre , passioné, ce qu’un tel artiste a sur le coeur…
Bonjour FADAL. Alors commençons avant toute chose par la sortie de ton prochain album…
D’abord salut à tous les lecteurs de 100pour100culture. Pour l’instant nous n’avons pas encore fixé la date de sortie de l’album mais une chose est sûre, cet album sortira dans les trois prochains mois.
Tu as sorti trois albums au total. Le premier religion est sorti en 1997 avec comme titre phare gouvernement « chauve souris », album qui t’a valu un grand succès auprès du public, le second « Jahsso » est sorti en 99 et le troisième « Méditation » est sorti en 2003. Comment tu justifies ces écarts entre tes différents albums. Manque d’inspiration ou le temps qu’il faut pour sortir quelque chose d’interressant?
Il faut dire qu’en 1997, je n’avais jamais sorti d’album auparavant. C’était ma toute première fois de sortir un album et grâce à DIEU ça a beaucoup marché, j’ai fait plusieurs tournées en Afrique de l’Ouest et l’album continuant à toujours avoir su succès auprès du public.J’ai dû attendre jusqu’en 1999 pour sortir mon deuxième album produit par ma structure le MANDE ROOTS PRODUCTION. A peine la promotion de cet album a commencé que la Côte d’Ivoire a connu son premier coup d’Etat. Et en 2000 avec les élections jugées bizzares et la rébélion qui a éclaté, toutes les couches sociales et même nous les artistes avons été gravement touchés par cette crise. Sans parler de la piraterie qui a agravé les choses. Je n’étais d’ailleurs pas le seul artiste à avoir mis un temps avant de sortir un album. IL y’avait plusieurs autres artistes dans la même situation que moi.
Reprenons un peu par le début de ta carrière. Tu as commencé très jeune dans l’art mais dans une école près de la ville d’Odienné au sein d’une troupe théâtrale.
Oui effectivement c’était à Tiémé à 30 kilomètres d’Odiénne où j’ai fait ma petite école. Il y’avait une troupe théâtale dans laquelle je jouais pas mal de rôles. Et en fait tous les rôles qui concernaient la chanson on me les confiait. J’interprètais régulièrement des artistes tels Lougah François, Ernesto Djédjé…. Les responsables trouvaient que j’étais le plus apte à interprêter ces rôles.
Qu’est ce qui a été le déclic alors pour toi en décidant de faire du raeggae?
Le déclic est parti je dirai à partir de la mort de Bob Marley. Nous étions encore petits en 1981 lorsque bob nous a quitté. J’ai été beaucoup affecté comme si je connaissais ce monsieur, comme s’il était un membre de ma famille ou un ami. J’ai donc commencé à écouter ses chansons sans comprendre l’anglais mais la musique m’interpellait beaucoup. Le second déclic est apparu avec l’arrivée de Alpha Blondy qui lui venait ainsi combler le vide de la mort de Bob Marley en 82. En plus ce monsieur chantais en dioula, en baoulé et même en français. J’ai été énormément impressionné par cet artiste, et je me suis dis s’il chante, je peux aussi faire comme lui. Voilà en gros tous les éléments qui m’ont conduit à la musique reaggae.
Tu as participé à travers des chansons à plusieurs campagnes de lutte contre le SIDA, et tu as même sorti en 2005 le single » Ne l’abandonne pas » pour parler des séropositifs. Plus engagé dans la lutte de certaines maladies que dans la politique contrairement à tes prédécesseurs?
Il faut déjà savoir que la musique reaggae a toujours été une musique engagée. BOB Marley nourrissait près de 5000 personnes par jour avec l’argent de ses recettes après ses concerts. L’artiste reaggae est quelqu’un de très proche des pauvres et qui n’hésite pas à partager ce qu’il a. Pour revenir à ta question, je dirai que j’ai été l’un des artistes les plus engagés politiquement. Souvenez vous de ma chanson « Gouvernement chauve souris » lorsque je disais » quand le peuple n’a plus besoin de toi va dans la paix et garde ta dignité » Cette chanson passait difficilement sur les antennes en Côte d’Ivoire. Même l’album « Jahsso » lorsqu’il y’a eu le conflit en 1995 et que le président actuel et ses partenaires ont lancé le boycott actif en Côte d’Ivoire. Cela a coûté ce que ça a coûté avec des baoulé morts à Gagnoa, des réfugiés dans les campements. Aucun artiste n’a levé le petit doit pour condamner cela. J’étais le seul qui avait prévenu en disant attention conflit à l’Ouest. Personne ne m’a écouter et ça s’est généralisé. Pour parler maintenant de mon engagement dans la lutte contre le SIDA, le reagaeman est un être comme tout autre. Tu sais, lorsque le SIDA est apparu en Côte d’Ivoire, beaucoup n’y croyaient pas. Certains racontaient même que c’était une simple maladie des « blancs ». Il n’y avait aucune politique de sensibilisation réelle venant gouvernement. Un ministre sous Houphouet avait même déclaré que le SIDA n’existait pas.Ce manque de sensibilisation réelle nous a conduit là où nous sommes aujourd’hui avec des milliers de séropositifs en Côte d’Ivoire. Alors qu’est ce qu’il faut faire? Devons nous les rejeter? Les détester? Ce sont nos frères, nos parents, nos amis. Mon album « ne l’abandonne pas » a été distribué gratuitement avec le soutien du fond mondiale de lutte contre le SIDA dans 150 pays. J’ai donné mon coeur en faisant cela et j’ai voulu enmener les gens à une prise de conscience.Certains pensaient que vivre avec un séropositif était synonyme de contamination. Ils étaient mal vu en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui je suis l’un des grands amis des séropositifs en Côte d’Ivoire. On se voit régulièrement, et y’en a qui vont même j’usqu’à me faire la cour ( il éclate de rire, ndlr). Non mais c’est vraiment juste pour dire qu’on a pas à les rejeter et qu’il faut les accepter. La chanson nous a donc rapproché et je pense sincèrement que le regard qu’on porte sur eux en Côte d’Ivoire a beaucoup changé.
Revenons un peu sur ton prochain album MEa Culpa. A quoi doit on s’attendre cette fois?
J’ai juste décidé de continuer dans la même lignée mais cette fois il faut préciser que frapperai très fort. C’est un album qui comporte 16 titres et vous ne me reconnaîtrez pas. Il y’a certaines personnes même qui m’ont dit de ne pas rentrer au pays avec un tel album auquel cas je courrais des risques…Mais non, on a quand même pas affaire à des assassins au pouvoir. La liberté d’expression est bien inscrite dans notre constitution. Un artiste est un éveilleur de conscience et il ne s’agit pas d’être grossier ou d’insulter des dirigeants, mais juste mettre certaines personnes face à des réalités flagrantes. L’album s’appelle « Mea Culpa » parce qu’aujourd’hui sur 10 pays africains par exemple, il y’en a 9 qui comportent une rébéllion. Tous ces leaders politiques ne font jamais leur Mea Culpa sincère. Prenez l’exemple de Nelson Mandela qui a demandé qu’on pardonne aux blancs tout ce qu’ils ont fait. Il était bien conscient que la vengeance ne servait à rien. Pourquoi nous faut il toujours mettre la faute sur les autres au lieu de nous remettre en question. Ma ligne éditoriale est l’amour, la paix. On ne peut vraiment rien faire dans ce monde sans ces deux qualités. On m’a plusieurs fois demandé dans des émissions télé quelle était mon parti politique ou quel était le leader que je soutenais. Mais nous ne sommes pas dans un match de football où il faut soutenir une équipe. Soutenir les rebelles c’est cautionner la violence. Pareille pour les loyaliste, les soutenir c’est les pousser à faire encore plus de morts. J’ai dit clairement que je ne soutenais ni les rebelles, ni les loyalistes parce qu’il s’agissait de mort d’hommes. Je soutiens un peuple qui pleure et non ces différents partis politiques.
Quelles sont donc tes relations avec les autres chanteurs raeggae ivoiriens qui, on le sait ,ont émis des appartenances bien différentes lors de ce conflit?
Aucun problème. Pour preuve, Tiken JAH est passé me voir, me soutenir lors de mes enregistrements ici au studio de Pablo Uwa en France, Ismael Isaac je l’ai au téléphone assez régulièrement, j’ai participé au FESTAAAR du grand frère Alpha Blondy dernièrement, Serge Kassy on se taquine tout le temps quand on a l’occasion de se rencontrer. Chacun a ses opinions que je respecte. Je suis un patriote mais je ne suis personne et personne ne peut m’enlever cela. J’ai fait un concert à Odiénné avec plus de 25000 personnes au stade. C’est un stade que ni le PDCI, ni le FPI, ni le RDR ne remplit. Moi le petit j’ai pu le remplir. Cela veut bien dire que je suis au dessus des partis politiques. Donc si quelqu’un doit faire la cour à ces gens là c’est plutôt eux qui doivent venir vers moi et je ne serai d’ailleurs pas près à les suivre.
Justement parlons de ce succès que tu as. On mésure ta popularité beaucoup plus au niveau national et dans les pays environnants mais tu peines à imposer ton succès sur un plan international notamment dans les pays occidentaux comme TIKEN Jah ou encore Alpha Blondy…
Oui je suis totalement d’accord avec toi. Mais tu sais c’est une question de showbiz. J’ai toujours enrégistré mes albums en Côte d’Ivoire et là tu vois que je suis venu ici en France enrégistrer mon tout dernier.C’est tout doucement que je prend mes répères ici. Il faut avouer que le circuit manque énormément. Je n’ai aucun représentant ici en Europe. J’ai plein d’amis qui m’appellent souvent pour que je vienne jouer dans les milieux ivoiriens pour des cachets de 300 milles francs cfa (environ 500euros). Non mais soyons raisonnable Zacharie. Je vais jouer souvent à Korhogo ou à Touleupleu pour des chachets d’ un million donc s’il faut prendre l’avion et venir jouer ici en France pour 300.000 franc cfa ici…. Enfin laissons le côté argent mais je pense qu’il faut dans ce milieu des réprésentants. Moi je n’en ai pas et je pense que c’est ce qui constitue l’un des défaut majeur de ma reconnaissance internationale.
Pour les personnes qui souhaiteraient te contacter alors…
C’est tout simple. J’ai un site internet qui est le www.fadaldey.com. Toutes mes coordonnées y figurent pour les personnes qui souteraient me contacter. J’ai un groupe à moi qui s’appelle le Mandé Roots. On ne fait que du live. J’ai un large public acquis à ma cause sans mauvaise modestie. Je suis donc ouvert à toute discussion avec les personnes qui souhaiteraient travailler avec moi.
Revenons brièvement pour terminer sur ton dernier album « Mea Culpa ». Quelle est sa date de sortie.
Alors cet album comme je l’ai dit plus haut comporte 16 titres notamment « les prisonniers de la guerre », « mea culpa », « mon Capitaine », « Reconstruisons le pays »…et pleins d’autres. Nous sommes encore à la phase préparation et dans les trois prochains mois, l’album devrait être sur le marché.En théorie avant donc le mois de septembre.
Un dernier mot..
OUI d’abord j’aimerais te remercier toi et le journal 100pour100culture. Merci pour le travail que vous abattez pour la culture africaine en général. C’est un journal que je parcours régulièrement sur le net. C’est ma toute première interview internationale que je fais avec vous et j’en suis très ravie. Concernant mes fans, la dernière fois j’étais sur la radio africa n1 et j’ai reçu plusieurs appels de personnes qui avaient de l’estime pour moi et qui exprimaient leur impatience de m’écouter à nouveau. Je leur dis beaucoup merci pour l’amour qu’ils me portent et qu’ils sachent que je serai toujours à la hauteur de leur attente. Merci aussi au bon Dieu sans qui je ne serai rien. Big up à tous!