Hommage à Myriam Makéba : Adieu ”Mama Africa”
Elle s’en est allée. Myriam Makeba, la diva sud-africaine, a clos l’ouvrage le 10 novembre 2008 dernier, quasiment en chantant, en Italie, loin du pays qui l’a vue naître, dans le cadre d’un concert de soutien à l’écrivain Roberto Saviano, menacé de mort par la mafia napolitaine. On retrouve là réunis, avec ces détails qui ont entouré les derniers instants de vie de cette ”immense artiste”, les principaux ingrédients qui ont donné sens et couleur à sa vie.
Ces ingrédients sont au nombre de trois, à savoir la musique qui est et qui reste son mode privilégié d’expression, son arme de combat pour marteler ses certitudes et porter ses espérances ; à savoir encore le vaste monde comme son territoire, son espace de réalisation, la mesure de son talent ; à savoir, enfin, l’engagement militant pour toutes les causes nobles qui visent à fonder l’humain, en respect et en dignité.
D’abord la musique. C’est-elle qui lui donna le nom sous lequel le monde la connaît. Ce fut, en effet, au terme d’une audition, dans les années cinquante, avec un groupe alors célèbre en Afrique du Sud, les Manhattan Brothers, qu’elle fut invitée à troquer Zenzi, son nom de naissance, contre Myriam, son nom de scène. C’est la musique qui la fit sortir de son pays la première fois. Elle lui ouvrit les chemins de l’Europe d’abord, des Etats-Unis ensuite. La débutante qu’elle était, pouvait s’enorgueillir de compter au nombre de ses admirateurs des célébrités du calibre de Harry Belafonte, Marlon Brando, Miles Davis, Sydney Poitier, Nina Simone.
Le talent précoce
Quand on s’est ainsi laissé aller à s’aventurer aussi loin dans les profondeurs du bois sacré de la musique, on en devient forcément l’un des initiés accomplis, ne vivant que de musique, ne vivant que pour la musique. Et ce fut cette école totale de la musique que fréquenta Myriam Makéba. La petite Zenzi, née le 4 mars 1931 dans un faubourg pauvre de Johannesburg, se transmua, par la musique, en une grande artiste mondialement connue. Sans trêve ni repos, elle honorait de son grand talent les plus prestigieuses salles de spectacle de la terre. Sous les feux de la rampe, accompagnée de la houle des ovations, une voix légendaire, venue d’Afrique, plus précisément d’Afrique du Sud, alors sous le régime inique de l’apartheid, était née.
On comprend aisément que l’artiste fit alors cause commune avec la militante anti-apartheid. Pendant que les frères et les sœurs, à l’intérieur de l’Afrique du Sud, affrontaient l’ogre raciste blanc, ivre de violence et de sang, qui ne savait plus que marcher sur les cadavres, Myriam Makeba, micro en main, se faisait l’ambassadrice infatigable de la lutte des siens pour l’égalité, la justice, la liberté et la dignité.
Et elle servait la cause avec foi et amour. Sur scène où le chant se faisait discours, et le discours, interpellation, invite à une conscience aigue de l’injustice faite à un peuple spolié de ses biens et ravalé au rang de la bête. Mais également à la tribune des Nations unies, à celle de l’Organisation de l’Unité africaine et partout où le devoir l’appelait.
Militante jusqu’à la fin…
En 1963, invitée à prendre la parole devant le comité spécial des Nations Unies contre l’apartheid, Myriam Makeba déclara : « Les Nations Unies doivent user de leur influence pour ouvrir les portes des prisons et des camps de concentration d’Afrique du Sud où des milliers de Noirs sont actuellement prisonniers… Mon pays a été transformé en une vaste prison par le gouvernement Verwoerd » (Fin de citation). Et c’est parce que la cause en valait la peine et que la vérité de l’apartheid et sur l’apartheid se devait d’être connue, que Myriam Makeba prit son bâton de pèlerin pour faire le tour des grandes capitales du monde, en musique comme en parole.
Mais quand on se laisse piquer au jeu du militantisme politique, après qu’on eut rêvé d’une vie meilleure pour les siens, on ne saurait être quitte de tout une fois la bataille gagnée. Du reste, aucun combat n’est définitivement conclu tant que des peuples continuent de gémir sous le joug de l’injustice, tant que des militants de la liberté continuent d’être torturés dans des goulags infects. Ainsi Myriam Makeba n’a contribué à refermer la parenthèse de l’apartheid que pour ouvrir d’autres fronts de lutte, que pour être présente aux côtés de ceux qui ont faim et de ceux qui ont soif d’être, d’exister.
La présence en Italie de Myriam Makeba pour ce qui fut son ultime concert, en solidarité avec un écrivain italien persécuté par la maffia, témoigne de la constance de son engagement, du caractère internationaliste et sans frontière de son militantisme pour le meilleur. Face à une vie aussi bien remplie, ne jouons pas d’hypocrisie en laissant la tristesse nous envahir, les larmes nous trahir. Sur l’air d’un époustouflant « patapata », invitons-nous, en inversant les rôles, à chanter pour Myriam Makeba, pour le plaisir et pour le repos d’une grande dame qui fut, sa vie durant, une grande combattante.