« Héritage » de Yodé et Siro met au jour la difficulté d’être un artiste engagé
Depuis la sortie de son nouvel album « Héritage », vendredi 03 juin, le célèbre groupe zouglou ivoirien Yodé et Siro est devenu la cible des critiques du camp présidentiel, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Des membres du parti au pouvoir en appellent même à la censure de l’œuvre musicale, voire l’arrestation de ses auteurs Yodé et Siro, qu’ils estiment être une menace pour la paix en Côte d’Ivoire.
Ce qui se passe n’est pas nouveau. Ils devraient s’attendent à cela. Yodé et Siro savent mieux que quiconque que l’engagement d’un artiste comporte des risques. En Afrique comme ailleurs. L’engagement implique généralement une posture plus ou moins favorable au parti au pouvoir. L’artiste engagé, renonçant à une position de simple spectateur, s’arme de son art pour soit défendre une cause soit dénoncer des faits de société ainsi que les imperfections d’un gouvernement. Une responsabilité très difficile, mais pas impossible, à assumer dans un Etat, où la démocratie bat encore de l’aile. Assassinats, menaces de mort, arrestations et exils forcés sont quelques risques auxquels s’exposent ces artistes engagés.
En Côte d’Ivoire, les deux talentueux chanteurs ivoiriens Yodé et Siro sont réputés pour être des artistes engagés. Leurs productions musicales, de “Victoire” à “SignʼZo“ en passant par “Antilaleca”, transpirent l’engagement. Même le nouvel album « Héritage », comportant le titre très controversé « On dit quoi », ne fait pas exception. Aussi, le Zouglou, le genre musical ivoirien dans lequel s’inscrivent leurs œuvres musicales, permet à Yodé et Siro de jouer au mieux leurs rôles d’artistes engagés. Ce genre musical créé dans les années 1990 a toujours dénoncé les tares de la société ivoirienne. Il relate les réalités sociales diverses vécues par la jeunesse ivoirienne et porte tantôt des messages humoristiques, tantôt des messages politiques, ou bien, plus souvent, délivre des conseils sur la vie.
Sorti au début du mois de juillet, le nouvel album de 13 titres du groupe zouglou Yodé et Siro « Héritage », en dépit du succès dont il jouit déjà sur le marché de la discographie, suscite l’ire du camp présidentiel, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Des membres du parti au pouvoir réclament la censure de l’œuvre musicale, voire l’arrestation de ses auteurs Yodé et Siro, qu’ils estiment être une menace pour la paix en Côte d’Ivoire.
Si le groove de cet inédit opus se révèle intéressant et dansant, le contenu de certains titres, dont le plus controversé « On dit quoi », se trouve de plus en plus contesté par des proches du régime. A travers ce titre, Yodé et Siro portent, selon eux, des critiques, relevant de la mauvaise foi, sur la gouvernance du président ivoirien Alassane Ouattara. En fait, « On dit quoi », en interpellant le président, dénoncent les arrestations arbitraires, les prisonniers politiques, le rattrapage ethnique, les détournements de deniers publics, l’endettement du pays, etc…Et c’est ce qu’ils jugent très choquant dans cette chanson.
Kobenan Kouassi Adjoumani, membre du gouvernement et porte-parole du RHDP, dans un long message, s’en prend vigoureusement au nouvel album:« Héritage de Yodé et Siro est présenté comme un « veritable venin contre la cohésion sociale et la paix.» Après avoir défendu le bilan du gouvernement et déploré l’attitude de l’opposition qui brandit « Héritage » comme un trophée, Kobenan Kouassi Adjoumani soutient: « Ces derniers [ Yodé et Siro, ndlr] voudraient ressusciter, en effet, l’ivoirité, célébrer la stigmatisation ethnique qu’ils ne se seraient pas pris autrement. Car, non seulement ce qu’ils disent n’est pas conforme à la vérité, mais ils poussent sans le savoir, des Ivoiriens à stigmatiser et à se braquer désormais contre tous ceux qui ont le malheur de s’appeler Bakayoko ou Coulibaly.»
Quant à Doumbia Major, ancien membre de la FESCI, proche du RHDP, il demande au gouvernement d’attaquer les zougloumen en justice pour diffamation. « Dire que dans ce pays, tous les emplois sont occupés par les Bakayoko et les Coulibaly, est une affirmation mensongère et propagandiste, dont l’objectif clair est une incitation à la haine tribale contre le régime qui est au pouvoir, mais indirectement contre un groupe communautaire donné dont les membres sont supposés être les bénéficiaires exclusifs des emplois publics. », déclare Doumbia Major, très agacé.
Sur sa page Facebook, Souleymane Kamagaté dit L’Homme Saga, l’époux de Bamba Ami Sarah, qui n’ est pas forcément un proche du parti au pouvoir, écrit : « J’ai reçu mes CD, j’aime tous les titres. La seule partie qui me dérange « faisons attention à un peuple qui ne parle plus parce que quand ça va chauffer y’a plus clôture pour sauter » ça donne l’impression que nos artistes veulent inciter le peuple à descendre dans la rue. Je peux me tromper.» Puis l’ancien candidat à la municipale de Cocody de poursuivre : « Yodé et Siro sont des artistes engagés neutres, normalement, ils doivent critiquer afin que nos dirigeants améliorent leur gouvernance, c’est leur rôle, on ne doit pas sentir à travers leurs chansons qu’ils souhaitent le départ du gouvernement en place. »
Et c’est ainsi toujours, les critiques d’un artiste engagé à l’encontre d’un régime reçoit rarement un retour favorable. Alors que l’artiste aspire à une amélioration de la part du régime, celui-ci le voit comme un oiseau de mauvais augure. Être un artiste engagé n’est pas du tout facile !
Arsène DOUBLE