Découverte : Garba 50, le rap d’Abidjan à la conquête du monde
« En matière de HIP HOP, il y avait New York, Paris, il y a maintenant Abidjan ! », déclarent à qui veut l’entendre Sooh et Oli. Ces deux garçons créent à eux seuls une révolution dans le microcosme culturel en Côte d’Ivoire. Leur rap, construit sur des vers dont l’imagerie tire sa force du langage « nouchi » (argot ivoirien), est en train de conquérir le monde.
Comment est né le Groupe GARBA 50 et qui sont les membres qui le forment ?
OLI : on s’est rencontré lors d’une manifestation de hip hop à Abidjan en 2004. On a fait connaissance et on a vu qu’on avait les mêmes convictions artistiques. Le groupe s’est formé. Je suis DJIPRO CHRISTIAN, 25 ans. J’ai étudié la Physique jusqu’en licence.
SOOH : Moi, c’est DIOMANDÉ VAZOUMANA pour la police, 26 ans avec une licence en Droit.
Pourquoi le nom de GARBA50 ? Est-ce en référence au rappeur américain 50 Cent ?
OLI : On voulait un nom qui fasse référence à la réalité de la rue Abidjanaise. Et le Garba, qui est ce met devenue un phénomène social, était pour nous le meilleur symbole de cette vie à Abidjan. En général, on en achète pour 50 FCFA.
SOOH : Après on a compris que ça avait un côté parodique non voulu de 50 CENT. Ça ne nous gêne pas non plus. On est en Afrique.
Comment appelez-vous le genre musical que vous pratiquez, le rap ou le Hip Hop tout simplement ?
OLI : C’est du rap.
Pourquoi la dénomination de « Rap Abidjanais » que vous rappelez chaque fois dans vos chansons ?
SOOH : C’est question de représentativité. On revendique un rap qui représente la Côte d’Ivoire, même si on fait une musique dans les standards américains. On n’est pas forcément adeptes du rap africain qui refuse les productions proches de celles des Américains. Pour nous, nos accents, nos textes et nos réalités suffisent à représenter Abidjan. Si en matière de HIP HOP, il y a New York, Paris, il y a maintenant Abidjan.
D’où tirez-vous votre inspiration ?
OLI : On s’attache à parler de notre vécu et de nos opinions à tel point que pour nous, le terme « inspiration » veut dire peu de choses. On dirait qu’on ramasse notre « inspiration » tout près de nous : de notre vie ou de celle de nos proches.
SOOH : On parle de ce qu’on connaît, comme on dit chez nous, on raconte notre vie.
Parlons de votre premier album « Ya nen pour les oreilles » : D’abord pourquoi un tel titre ?
OLI : D’abord par rapport au fait que le Garba se mange, il était subtil pour nous d’arriver en disant que le nôtre s’écoute. Il y en a pour les oreilles. On a déformé l’orthographe pour faire référence à l’accent ivoirien. Ça fait donc « ya nen pour les oreilles »
SOOH : En outre, disons aussi qu’au moment de la sortie de l’album, il y en avait que pour la danse dans la musique ivoirienne. On voulait créer une rupture dans le genre « enfin une musique qui parle »
« Ya nen pour les oreilles » a été selon vous ou selon vos fans une véritable révolution tant dans la manière de faire le rap que dans sa distribution sur le marché du disque. Il semblerait que c’est vous-mêmes qui vous occupiez de la distribution de l’album. Pourquoi des jeunes gens comme vous qui font leurs premiers pas dans le monde du show-biz choisissent-ils la voie de l’auto distribution ?
OLI : C’est vrai qu’on peut parler de révolution. On a été contraints à réaliser un exploit. D’abord on a enregistré l’album dans la chambre d’un ami avec un ordinateur et un micro. Ensuite on se débrouille pour faire une promotion et on se promène dans le tout Abidjan pour vendre nos disques. C’était inédit en Côte d’Ivoire. On l’a réussi. Et cela parce qu’on y était contraint. Personne ne faisait confiance au HIP HOP. Des maisons de production aux radios en passant par les distributeurs. On n’a pas choisi l’auto distribution. L’industrie de la musique ivoirienne nous l’a imposée. On a relevé le défi et l’histoire le retiendra. Depuis, beaucoup de jeunes empruntent la voie qu’on a déblayée.
N’avez-vous pas quelque part une attitude de révolte, et de défiance face à la façon dont le show-biz fonctionne en Côte d’Ivoire ?
SOOH : C’est clair que le show-biz ivoirien qui fait la part belle aux pédés, au copinage, etc. ne nous laisse pas le choix. Mais on vient d’une génération de la FESCI (Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire, ndlr), des marches, des débats. On ne réussit pas à être des larbins. C’est plus fort que nous.
OLI : Nous ne sommes pas prêts à donner « le derrière ». (Que ce soit écrit en gras, précise-t-il).
La piraterie est devenue un phénomène criant au pays. Pensez-vous avoir fait recette avec l’auto distribution de votre premier album ?
OLI : Non, on n’a pas fait recette avec l’album. Financièrement, on est loin du succès médiatique qu’on a eu.
Alors comment est organisé le groupe ? Avez-vous un manager ou quelqu’un qui s’occupe de vous, un imprésario dirais-je ?
SOOH : On commence. Ça veut dire qu’on n’est pas forcément organisé comme Alpha Blondy. On a un pote qui joue les managers. On a des gens autour de nous, mais ce n’est pas le staff professionnel. On fait avec pour l’instant.
Il semblerait que c’est François Konian avec sa radio Jam FM qui vous a produit ?
OLI : Eh bien, ce n’est pas vrai. On s’est auto produit. C’est cela la réalité. Que les gens arrêtent de falsifier l’histoire.
SOOH : L’histoire est que M. Konian, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, a aimé notre démarche. Il a décidé de nous donner un coup de main. Il l’a fait et il continue de le faire. Mais M. Konian n’est pas le bon Dieu. Et ça se voit.
Certains disent que vous avez une attitude rebelle. D’abord, vous refusez de confier la distribution de votre album à une maison spécialisée, vous refusez de payer pour passer à la radio ou à la télé pour faire la promo de vos chansons comme le font certains artistes en quête de notoriété, vous vous repliez sur vous-mêmes…, n’est-ce pas une erreur de votre part ? Alors avez-vous donc les moyens de votre politique ?
OLI : En réalité, on ne refuse rien de ce que vous dites. On fait ce qu’on peut. Pour la distribution de l’album, c’est parce qu’aucune maison ne voulait nous distribuer. Pour la radio, on en a payé certaines. Pour la télé, c’était un luxe pour nous de sortir cet argent. On a fait ce qu’on peut. Il n’y a pas de gros sous derrière nous. On est des gars qui avancent petit à petit. On fait avec les moyens de bord jusqu’à ce qu’on ait une meilleure situation. Mais nous sommes ouverts à toute structure sérieuse qui voudrait travailler avec nous.
SOOH : Par rapport au repli sur soi dont vous parlez, disons qu’on est prudents dans nos relations avec les gens. On fonctionne à l’affinité. On respecte tout le monde, mais on n’est pas ami à tout le monde. Est-ce une erreur ? On ne le sait pas pour l’instant.
Est-ce que le succès de votre premier album vous a-t-il fait sortir de la galère qui est l’une de vos sources d’inspiration ?
OLI : C’est la même. On n’est pas devenu millionnaire avec notre succès. On attend encore notre tour. Entre temps, on travaille sans relâche.
Vous préparez en ce moment la sortie de votre deuxième album intitulé « Echauffement volume 1 » qui est un ensemble de mixtapes, de compilations de titres inédits, de Freestyle, etc. Est-ce une récidive du premier album avec toujours les moyens du bord quant à sa confection ? Avez-vous corrigé les erreurs du passé ?
SOOH : En réalité, « Echauffement volume 1 » n’est pas le deuxième album. C’est une mixtape qu’on sort avant l’album. On est de vrais passionnés de HIP HOP. On veut éduquer les Ivoiriens en la matière. Une mixtape, c’est un entraînement. Ce volume 1 est dans un esprit plus cru et plus rude. Il a été enregistré dans un studio.
OLI : À la base, c’est pour un public spécial. Le deuxième album est prévu pour l’année prochaine et va s’intituler « LA CÔTE D’IVOIRE D’AUJOURDHUI ». Avant ça on présente notre échauffement en deux volumes dont le premier est déjà disponible.
Qu’attendez-vous de ce deuxième opus ?
OLI : Ce qu’on attend de cette mixtape ? C’est que les gens perçoivent que le groupe GARBA 50 peut proposer autre chose que ce qu’ils ont entendu sur « Ya nen pour les oreilles ». Et puis aussi pour que le public se souvienne de nous même si on a été très discrets avec le premier album.
Sur la pochette de l’album, il est marqué « Le Fumoir présente GARBA 50 », c’est quoi le Fumoir ?
OLI : « LE FUMOIR », c’est le nom du label de production qu’on a monté avec nos potes. On espère avoir les moyens pour soutenir nos projets. On en a plusieurs montagnes. On a compris que c’est meilleur qu’on s’occupe nous-mêmes de nous, au lieu d’espérer que les promesses de parrains « satellitaires », ou de « vieux-pères » viennent nous sauver. C’est difficile, mais on croit que ça peut donner quelque chose avec un peu de sérieux.
SOOH : Si des jeunes comme nous se réunissent en Amérique, en France, on pense qu’on peut fonder quelque chose qui sera un modèle pour les autres. On a la foi, même si on sait que ça sera plus dur, parce qu’on est en Afrique.
Votre musique est seulement écoutée en Côte d’ivoire, ne cherchez-vous pas à la faire distribuer dans la sous région ou en Europe ?
OLI : Évidemment que oui. C’est ce qu’on vise maintenant. On attend tout ce qui peut nous y aider, les structures et le tout qui va avec.
Des projets en vue ?
SOOH : On espère sortir le volume 2 de la mixtape ensuite sortir le deuxième album. On veut faire plein de choses, mais il faut de l’argent et la participation de personnes ou structures sérieuses.
Où en êtes-vous avec vos études ? La musique a-t-elle pris le dessus ?
OLI : On est à fond dans la musique. Peut-être que c’est ce qu’on aime vraiment. On espère gagner notre pain avec. Sinon, même si on n’est plus à la fac, on continue d’étudier d’une manière ou d’une autre.
Votre mot de la fin
SOOH : GARBA 50, le rap d’Abidjan en force. Ecoutez, peu importe où que vous soyiez. C’est la jeunesse d’Afrique qui parle.
OLI : On arrive, ça prend le temps que ça prend parce qu’on part avec beaucoup d’handicaps. Suivez le parcours. Il y aura le site officiel du groupe GARBA 50 très bientôt en ligne, c’est www.garba50rap.com