Culture : Les Artistes de l’ombre à l’ombre ou dans l’ombre, qui les connait?
Plusieurs domaines de l’art et de la culture requièrent la participation d’acteurs secondaires intervenant derrière la scène et qui sont tout aussi importants que les principaux. Ce sont des personnages qu’on pourrait qualifier d’artistes de l’ombre. Mais, dans ce vaste ensemble, il y a une catégorie d’artistes qui est à l’ombre et une autre qui reste dans l’ombre.
En effet, derrière ces stars, aux tenues vestimentaires bling bling se trouve une multitude de personnages anonymes aux talents multiples et variés qui travaillent et qui ne sont pas connus ou même ne seront peut-être jamais connus ni révélés au grand jour. Qui pensent à eux ? Qui se souvient d’eux ? Qui leur rend hommage ? Et pourtant, ce sont ces artistes de l’ombre qui font le plus gros du travail dont les récompenses et autres prix sont récoltés par ceux qui sont chargés de les porter à la lumière en les présentant au grand jour.
Partout, on rencontre des talents immenses et inédits qui se greffent à d’autres telles des sangsues, des parasites. Si c’était volontaire et voulu pour tous, on le comprendrait. Mais, s’il est vrai que bien des métiers de l’Art et de la culture requièrent le fameux « behind the scene ou derrière la caméra », c’est à dire l’ombre, force est de constater que cette règle en vertu du respect du droit de propriété intellectuelle qui voudrait que leurs noms apparaissent sur l’œuvre à laquelle ils ont participé quelle qu’elle soit, n’est pas toujours respectée.
Ainsi, apparaissent deux sous-catégories d’artistes de l’ombre. Si certains ont choisi d’exercer ces métiers d’artiste de l’ombre, ils ne veulent pas rester dans l’ombre. Ils ont fait l’option d’être des artistes à l’ombre, bien à l’abri parce que ce sont les exigences de la profession. Tandis que d’autres y sont maintenus contre leur gré ne pouvant faire autrement et n’ayant aucune alternative pour se faire connaitre. Ceux-là sont des artistes dans l’ombre.
Aux quatre coins du monde, l’art et la culture ont toujours mobilisé des énergies, des talents, des compétences et des intelligences. L’œuvre artistique n’est pas toujours un exercice solitaire. Comme ailleurs, à Accra, Bamako en passant par Dakar, Banjul, Yaoundé, Abidjan, Johannesburg, Paris, New York, les artistes de l’ombre sont innombrables. Plus encore, les artistes dans l’ombre le sont davantage dans les villes africaines où leurs conditions de vie rappellent ce pathétique slogan qu’« en Afrique, l’art ne nourrit pas son homme ». Cela, soit parce que l’Etat a failli à sa mission d’organisation, d’encadrement, de promotion et de protection des métiers de l’art et de la culture, soit parce que le secteur est tellement hostile et véreux qu’il ne laisse aucune marge de manœuvre à ces acteurs du milieu des arts et de la culture. Sinon comment vivront-ils s’ils se montraient que ces inconnus se fassent connaitre ?
Dans cette sous-catégorie, le choix de la survie est vite fait. Mieux vaut assurer son pain quotidien qu’essayer de se faire connaitre alors qu’on n’est pas sûr de pouvoir tenir dans cette vie de star parfois difficile et délicate. On pourrait parler même de soumission ou de dépendance involontairement consentie Quel paradoxe ? Les artistes dans l’ombre ont été contraints à faire ce choix parce qu’ils n’avaient pas d’autres choix. Un choix à défaut qui les expose à toutes sortes de brimades et d’exploitation de ceux à qui ils s’agrippent. Quant aux artistes de la seconde catégorie c’est-à-dire les artistes à l’ombre exercent incognito conformément aux exigences et contingences professionnelles.
En Afrique, cette première sous-catégorie appartient aux clandestins artistiques et est plus fréquente dans tous les milieux de la mode et de la chanson. Mais, on en rencontre partout depuis le cinéma, la télévision en passant par la littérature. Par exemple, les dessinateurs, les concepteurs et confectionneurs réels des tenues de stars, les scénaristes et compositeurs dont les noms sont à peine mentionnés lors des cérémonies publiques.
Parfois, leurs œuvres traversent les frontières de leur pays à leur insu. Il s’établit comme une sorte de relation sécrète entre l’artiste connu du public et celui qui est caché derrière. Mais en plus, cette relation dont le contenu n’est pas clairement défini est de loin un contrat léonin profitable seulement à la partie visible de l’œuvre. D’ailleurs, c’est elle qui en récolte les fruits. On verra souvent que des modèles conçus pour une star dont il ignore parfois l’existence dans un minuscule atelier d’Abidjan ou de Jakarta se retrouve sur le Tapis des Grammy awards, des MTV Music Awards américain, de la cérémonie des Cesar, des Oscars ou sur la croisette du festival de Cannes.
L’artiste concepteur du modèle n’est pas censé être informé du parcours et du sort réservé à l’œuvre qu’il vient ainsi de réaliser. Comment le saurait-il? Si ce n’est par celui avec qui il exerce son art. Comme s’il avait décidé de manière délibérée de demeurer dans cette situation bien plus confortable pour lui qu’une autre.
Il est temps en Afrique que de véritables politiques publiques en matière d’art et de culture soient mises en œuvre pour permettre une gestion en réseaux de ces métiers transfrontaliers, transcontinentaux afin d’aboutir à une amélioration des domaines concernés.
Des efforts sont déjà faits dans certains pays africains de colonisation anglaise. Dans d’autres, l’art et la culture sont rigoureusement protégés. Il en va ainsi au Ghana, notamment en matière de mode. Tous ceux qui interviennent dans la chaine de production artistique sont mentionnés non seulement au début, pendant et à la fin de la diffusion de l’œuvre.
En Côte d’Ivoire, à la limite, on a envie de dire qu’il n’y a personne dans l’arrière-cour. Et pourtant…
Les pays francophones devront leur emboiter le pas pour qu’en Afrique, les artistes de l’ombre évoluent tous à l’ombre, c’est-à-dire en sécurité, à l’abri du besoin et vivent comme les artistes des autres parties du monde de leur art.
Badjo Dagbo