Photographie ANANIAS ou la vie en noir et blanc
Ananias Leki Dago est l’un des photographes africains les plus doués de sa génération. Il a 10 ans de métier et a su, pour ainsi dire, se créer un langage photographique qui n’appartient qu’à lui. La vie, vue de son viseur, est en noir ET blanc. A 32 ans, c’est cette thématique qui guide son travail. Il photographie dans ces deux tons, et s’y sent à l’aise. Et lorsque la couleur s’invite dans son boîtier, le langage noir et blanc la transperce, la « trahit », comme il l’avoue lui-même. Les images ainsi obtenues sont contrastées, parfois brutales, sans concessions, mais esthétiques. On y voit des « fragments » d’hommes et de femmes, là un pied, ici une main ou la moitié d’un visage. On y savoure des ombres qui arrivent à livrer subrepticement leurs secrets.
La plupart du temps, les photos de Ananias sont indépendantes les unes des autres. Comme un créateur au sommet de son art, il découpe des silhouettes, des profils, taille ses sujets dans la pénombre. Sans peur du contre-jour : « j’affronte la lumière », explique-t-il. « Je travaille beaucoup sur les masses noires, ce qui me ramène inévitablement au concept de clair-obscur. C’est ce qui me remue lorsque je prends des photos ».
Des masses sombres qui n’empêchent pas ses photos de regorger de petits détails que l’on appréhende après-coup. Une tête d’enfant dans le soleil, un chat fantomatique et mystérieux en arrière-plan… Autant de clins d’œil et de jeux de cache-cache que propose nonchalamment le photographe.
Lorsqu’il était encore à Abidjan, qu’il a quittée pour Paris il y a de cela quelques années, ses prises de vue faisaient suite à des errances, des promenades dans cette ville, véritable territoire de l’intime et champ d’investigation privilégié. Là, s’exerçait alors son regard très personnel et s’épanouissait la liberté dans ses cadrages. « Ses espaces photographiques sont souvent déstructurés par des arrière-plans barrés de lignes, de traits, de bandes, des mélanges hétéroclites voisinent, côte à côte », explique Yann Le Goff, auteur du texte de présentation du livre consacré au travail d’Ananias Leki Dago sorti aux éditions de l’œil. Malgré son air juvénile et sa modestie à toute épreuve, Ananias, est dans le métier depuis plus de dix ans… Il participe en 1994 aux Rencontres internationales de la photographie de Bamako (Mali), de 1997 à 2001, il est le photographe officiel du MASA (Marché des arts et du spectacle africain à Abidjan) Parallèlement à son travail personnel, il initie en 2000 les Rencontres du Sud, biennale de la photographie à Abidjan destinée à mettre en valeur les photographes de son pays :
« J’ai réfléchi à la manifestation dès 98-99. Je ne trouvais pas normal que la photographie, dans un pays aussi grand que la Côte d’Ivoire, se résume à deux ou trois individualités. Il fallait démocratiser les choses et permettre à des photographes de talent, mais sans réseaux, de montrer leur travail. La première édition des Rencontres de Bamako en 1994 tournait autour des photographes maliens, sénégalais et sud-africains… Les premières Rencontres du Sud ont permis de faire émerger la photographie en Côte d’Ivoire et en 2002, elles se sont ouvertes sur l’Europe. À présent, il y a un vrai potentiel et de jeunes photographes ivoiriens prometteurs. Faire de la photo n’est plus considéré comme vain », se souvient-il.
Ce qui était loin d’être le cas lorsque Ananias était encore élève à Institut national supérieur de l’action et de l’animation culturelle (Insaac) d’Abidjan. « Pour l’Ivoirien moyen à l’époque, le travail du photographe se limitait aux photos d’identité et aux reportages « domestiques » tels les mariages, etc. ».
Formé de façon classique à Abidjan, il utilise les règles pour mieux s’en détourner. Ainsi, il a toujours traité les sujets d’actualité de façon décalée. Lors de la crise de Côte d’Ivoire, fin 2002, il saisit les jeunes qui font la fête dans les maquis alors qu’il y a le couvre-feu. Pourtant, Ananias travaille très peu sur l’actualité car il a, en général, « besoin de temps » : le temps de regarder, de prendre le recul nécessaire. Il préfère évoluer dans le milieu culturel, débutant par des clichés d’œuvres et de spectacles. On retrouve aussi sa signature dans la Revue Noire, Africultures, Télérama ou Le Monde diplomatique.