Réédition de « La parole aux négresses » d’Awa Thiam : un livre essentiel pour le féminisme africain enfin disponible au Sénégal
Plus de quarante ans après sa publication, « La parole aux négresses » de l’anthropologue Awa Thiam revient dans les librairies sénégalaises. Cet ouvrage, pilier du féminisme africain, aborde sans détour les luttes des femmes contre les violences et les oppressions, et trouve encore aujourd’hui une résonance troublante.
Une œuvre marquante redécouverte
Après plusieurs décennies d’absence, le livre emblématique d’Awa Thiam, « La parole aux négresses », est enfin réédité au Sénégal, grâce aux éditions Saaraba. Publié pour la première fois en 1978, cet ouvrage a marqué un tournant en donnant voix aux femmes africaines et en dénonçant les violences physiques, morales et économiques dont elles sont victimes.
Pour Ndèye Fatou Kane, doctorante en sociologie, l’œuvre n’a rien perdu de sa pertinence : « Parce que nous, féministes sénégalaises, sommes toujours accusées de pervertir les sociétés, de travestir les valeurs et que le féminisme est une idéologie qui vient d’ailleurs. Donc, ça remet le débat au centre sur notre perspective féministe sénégalaise. », confie-t-elle. Le texte résonne avec une puissance intacte, offrant un regard sur les luttes des femmes africaines, de l’excision à la polygamie, en passant par la dépigmentation.
Dans une atmosphère intense, des rencontres littéraires sont organisées pour faire connaître l’ouvrage. Fatoumata Diallo, ingénieure en finance, raconte avoir été bouleversée par sa lecture : « J’ai ressenti une actualité qui m’a surprise, et j’ai regardé à nouveau la date où ce livre est sorti et en 2024 nous sommes encore en train de parler des mêmes sujets, des violences morales, physiques, économiques », explique-t-elle.
Un outil puissant pour la lutte féministe
Pour les militantes comme la réalisatrice Fatou Warkha Samb, ce livre est bien plus qu’un témoignage : il représente un outil de travail pour les féministes africaines. « Nous qui sommes des féministes, c’est véritablement comme un outil de travail, parce qu’Awa Thiam a abordé tous les sujets sur lesquels nous travaillons aujourd’hui : la dépigmentation, la polygamie. Elle a visibilisé la parole des femmes pour nous faire entendre. Parce que quand tu es une femme et que tu parles de certains sujets, on va te dire, soit tu es folle, ça se passe dans ta tête, on essaie de te dire que ce que tu dis là n’existe pas, » explique-t-elle.
Avec 2 000 exemplaires imprimés, dont 700 déjà écoulés au Sénégal, l’objectif est d’intégrer cet ouvrage incontournable dans les universités sénégalaises. Pour Souleymane Gueye, directeur des éditions Saaraba, cette réédition est un devoir de mémoire et un outil d’émancipation : « En tant qu’éditeur, on est un peu une caisse de résonance. On découvre comme ça des titres qui appartiennent au patrimoine littéraire africain, qui sont très importants, mais qui malheureusement ne sont plus disponibles ici au Sénégal et donc l’idée est partie de là. On s’est dit que cet ouvrage est à lire pour les nouvelles générations, pour faire avancer les causes des femmes. Le premier mal qu’elle évoque, c’est l’excision qui se pratique encore, même s’il y a des avancées, on sait qu’il y a encore beaucoup de choses qui sont à faire dans ce domaine-là.»
Que ce soit sur la question de l’excision, de la polygamie ou de la dépigmentation, « La parole aux négresses » demeure d’une actualité frappante, rappelant que les combats d’Awa Thiam continuent d’éclairer les luttes modernes pour l’égalité.
Alexandre Martin
Mots-clefs : Awa Thiam, Droit des femmes, La parole aux négresses, La parole aux négresses d’Awa Thiam, Sénégal