Marie Ndiaye : Nouvelle princesse du prix Goncourt
Elle trace savamment le portrait de trois femmes, commence son récit par « et » …et tout le monde l’adore. Et c’est là sans doute que débute le secret de l’exceptionnelle densité de la romancière. Dans « Trois femmes puissantes », Marie NDiaye, avec les mots de tous les jours, a su décrire les sensations, peindre des paysages, donner une odeur à son roman comme si elle avait pour seul but de nous faire respirer son récit. On la lit, la relit avec une admiration des plus vives. Un prix Goncourt doublement mérité donc.
Il est une attitude parfois détestable (à mes yeux, s’entend). Celle de voir la critique pratiquer la génuflexion quasi générale devant des romans dont la seule lecture des premières phrases confère un sentiment d’ennui sans pareille, de détestable enflure où le verbiage, la grossièreté prennent des allures de roman. Le mois de Septembre dernier a heureusement changé cette donne, ce sentiment peut être risible que j’entretenais avec la rentrée littéraire 2009 qui a, cette fois, vu les lecteurs, journalistes et critiques saluer unanimement et sans bémol « Trois femmes puissantes » le nouveau roman de Marie NDiaye. Le concerto laudateur, l’embrasement généralisé ont fait d’elle l’auteur la plus lu et la plus admirée de cette rentrée littéraire. Pourquoi tant d’amour envers Marie Ndiaye ?
D’abord parce que Marie NDiaye contrairement à la plupart de ses collègues ne pratique pas de récits maquillés, son livre est une vraie fiction. C’est la vérité habillée par une authentique romancière et exprimée dans le langage le plus approprié. La cause est donc admirable et justifiée. D’autant que dans ce roman, l’auteur met en scène trois femmes en question qui se frottent à des hommes vils, lâches et vilains en leur for intérieur. Femmes oppressées, femmes fortes et déterminées, blessées et fières : les personnages du roman de Marie NDiaye sont tout cela. Ces trois femmes, rencontrées à un moment charnière de leur vie et dont l’auteur fait les portraits successifs en trois parties ont toutes un lien avec l’Afrique, qu’elles ont quittée ou retrouvée. La violence les a frôlées souvent, l’incompréhension aussi. C’est là un des thèmes chers à Marie NDiaye : la défiance et la difficulté à communiquer.
La première de ces femmes, Norah, a grandi en France avec sa mère et sa sœur après que son père les a abandonnées pour retourner vivre en Afrique avec leur jeune frère Sony. La deuxième, Fanta, vit dans la région bordelaise avec son mari et ses enfants. Ils y sont venus d’Afrique il y a quelques années. Elle n’est pas heureuse, mais nous ne la connaîtrons qu’en creux par le portrait qu’il fait d’elle, et par sa souffrance et son impuissance face à lui. La troisième, Khady, est plus simple et tenace. Chassée par sa belle-famille après la mort de son mari, elle va errer, se prostituer pour se nourrir, et voyager jusqu’à la côte d’où on lui a promis de l’embarquer clandestinement vers l’Europe. Son histoire est peut-être la plus belle. Elle est la plus obstinée, la plus fière de ces trois femmes aux prises avec le monde qui s’ouvre à elles, et en quête d’un monde qui leur appartient.
Sainte marie Ndiaye, mère des mots…
De la phrase fouillée, malaxée, labourée, filée en un français parfait et spectaculaire, Marie Ndiaye nous fait découvrir le parcours de ces trois femmes pas toujours parfaites, mesquines parfois, arrogantes et égoïstes et dont les nombreuses cicatrices marquent chaque action de leur vie …
Et le style ? Beaucoup d’auteurs n’en ont pas et se cachent, hélas, derrière une transcription du langage oral. .. Or Marie Ndiaye écrit vraiment. Comme certains chanteurs « surchantent » ou certains acteurs « surjouent », Marie Ndiaye « surécrit » jusqu’à rendre ses écrits parfois ennuyeux. Une recherche poussée du vocable rare, un culte de l’épithète, des phrases longues à n’en point finir…Mais la prodigieuse imagination de l’auteur, son récit pur comme du cristal semblent justifier ces expressions, ses mots qu’elle choisit pour décrire des personnages ou des faits précis. Authentique chef d’œuvre littéraire qui force une admiration sans précédent.
Marie Ndiaye : Goncourt et rebelle ?
Elle manie aussi bien le verbe que l’apostrophe. Pour preuve, la controverse faisant suite aux propos d’Eric Raoult, député français, sur un présumé « devoir de réserve » de la lauréate du prix Goncourt. Marie Ndiaye avait livré l’été dernier ses états d’âme politiques à un journaliste estimant qu’elle trouvait « la France de Sarkozy monstrueuse » et que son choix de vivre « à Berlin n’était pas étranger à cela. (…)Nous sommes partis juste après les élections, en grande partie à cause de Sarkozy, même si j’ai bien conscience que dire ça peut paraître snob. Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité… Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux. » avait elle tonné lors de son entretien. Ces propos ont fait coulé beaucoup d’encre (ou de salive) dans le champ politique français où certains se sont montrés compréhensifs fustigeant ainsi les propos plutôt « monstrueux » du député Eric Raoult et évoquant « la liberté d’expression » comme fondement premier de la République française.
Ecrivain de talent, Marie Ndiaye, vaut mieux que cela. Elle a reconnu ses propos « très excessifs », sans toutefois les renier. Cet entretien s’est déroulé avant son Prix Goncourt. Les aurait elle tenu après son prix? Malin qui saurait le savoir…De quoi faire réfléchir les aficionados de la censure perpétuelle. Ceux qui pensent que les artistes sont tenus, surtout lorsqu’ils reçoivent un prix éminent, à un devoir de réserve.
Elle commence son roman par « et » et tout le monde l’adore et pourtant…ce n’est qu’un début.
Marie Ndiaye : Trois femmes puissantes
320 pages. Gallimard