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Le ventre de l’atlantique de Fatou Diome: Regard franc sur les mirages de l’immigration

Binso Binso | | Litterature

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« Le ventre de l’Atlantique » est le premier roman de Fatou Diome, largement inspiré de sa propre histoire entre Sénégal et France.

Elle y parle d’exil, de déchirement du territoire natal où elle ne trouvait pas sa place, de la distance qui s’installe quand on part, de l’inéluctable changement qui a lieu chez les proches et de l’impossible retour en arrière, mais aussi d’une recherche personnelle de soi loin de son environnement familier.

Publié en 2003, Le ventre de l’Atlantique est sans contexte  un tribut à la magnifique victoire du Sénégal sur la France lors du match d’ouverture de la Coupe du monde de football de 2003. Ce roman parle avec ferveur de l’engouement des jeunes et des moins jeunes pour le ballon rond. Mais pour la narratrice qui avoue aussi avec candeur « qu’elle n’adore pas tant que ça le foot » (p.14), c’est aussi l’occasion d’aborder une multitude  de sujets d’actualité et de relations sociales ou familiales reflétant ses préoccupations identitaires.

Trêve de commentaire ! Fatou Diome nous trimballe  au cœur des compartiments de la vie de Salie. Une jeune femme immigrée en France depuis une dizaine d’année.  Elle est partagée entre un attachement indéfectible à sa terre natale et une adaptation difficile à la vie d’immigrée. Son frère, resté au pays, ne vit que pour le football. Il rêve de se faire un nom dans un club français et compte sur sa sœur pour y parvenir. Toutefois, cette dernière, trop consciente des difficultés qui l’attendent en tant que jeune immigré, refuse de l’aider à quitter la petite île de Ndiodior où il habite. Mais  Madické n’envisagent pas la possibilité d’être du côté des perdants. Il s’accroche à un futur chimérique qui lui permettra de briller sur les stades, en Europe. Madické,  choisit de s’identifier à Maldini, un joueur italien et ses amis l’appellent bientôt ainsi.  

Contrairement à Salie qui a fait la douloureuse expérience de l’exil, de la solitude et du racisme, au pays de Gaulle. La mainmise de la France sur son ancienne colonie, suggère Salie, pèse de tout son poids sur l’avenir du pays. « Après la colonisation historiquement reconnue, dit-elle, règne maintenant une sorte de colonisation mentale » (p.60). La France est omniprésente et cela se ressent même dans les jeux des enfants. Les garçons recréent des équipes françaises, et s’identifient même aux stars de ces équipes.

Selon Fanon, les Noirs rêvent de devenir blancs à la suite de la colonisation, mais dans le dernier chapitre de Peau noire, masques blancs il conclut que ce n’est que quand les Noirs arrêteront de se définir par rapport aux Blancs qu’ils pourront devenir libres (Fanon, 1971). Il est difficile pour les jeunes garçons de comprendre, malgré les conseils de leur instituteur, que la France n’est pas leur seul espoir possible, alors que tout ce qui les entoure leur prouve le contraire.

En effet, le propriétaire de la télévision, l’homme de Barbès, s’est enrichi à la suite de son séjour en France. El-Hadji, lui aussi un ancien émigré, fait l’admiration des jeunes, avec ses trois femmes et ses nombreuses pirogues à moteur. Les garçons, qui sentent peser sur eux l’obligation de subvenir aux besoins de leur famille (p.210), sont pressés de devenir riches et sentent que seule la France peut les aider à réaliser leurs rêves.

Dans « Le Ventre de l’Atlantique », ce ne sont pas uniquement les insulaires de Ndiodior qui entretiennent cette image idéalisée de la France ; les Français s’arrangent très bien de cette vénération et n’aiment pas être égalés par le tiers-monde, ne serait-ce qu’en football (p.284). Quand le Sénégal gagne contre « les Bleus », nombreux sont les Français qui les appellent « Sénégaulois » ou bien « Bleus bis » et veulent s’approprier les mérites des joueurs sénégalais, puisque la plupart d’entre eux ont été formés en France et devraient donc montrer de la gratitude envers leur pays d’accueil (p.281). Les Français blancs ne reconnaissent pas les mérites des joueurs sénégalais, alors que, selon Fanon, c’est justement de cette reconnaissance des Blancs dont les Noirs ont besoin pour vraiment se libérer (Fanon, 1971).

Salie montre  aussi que les Français refusent de reconnaître les mérites des joueurs sénégalais et que « l’indépendance est un leurre » (p.281). La domination de la France est aussi bien idéologique qu’économique. Cependant, le roman laisse percevoir que la situation n’est pas désespérée et qu’il y a des lueurs d’espoir et des moyens de résister à la suprématie française. La naissance d’un nationalisme sénégalais en est un exemple. A la coupe du monde de football de 2003, l’équipe sénégalaise surprend par gagner contre l’équipe française : « les lions de la Téranga avaient détrôné les rois du monde» (p.272). La victoire inattendue et symbolique redonne confiance aux habitants de Ndiodior. Les jeunes s’intéressent soudainement aux joueurs de leur propre pays et les anciens sortent le drapeau sénégalais.

L’idée de communauté est ce qui forme une nation, indépendamment du pouvoir colonial. Le football réveille un sentiment de fierté commun aux habitants du Sénégal. La dignité est aussi un sentiment primordial dans le roman « Les victoires de l’équipe sénégalaise » permettent aux habitants de la petite île sénégalaise d’acquérir un peu de cette dignité, si importante. C’est cette même dignité que réclamait le mouvement de la négritude. Il  est également  souvent question de la recherche de la réussite matérielle, mais la phrase « Chaque miette… »  indique  que la dignité est en réalité plus importante que l’argent.

La domination économique de la France ne détermine pas entièrement les rapports entre la France et le Sénégal. La décision de Madické de rester finalement  à Ndiodior montre également que l’exil en France n’est pas la seule solution. Les habitants de Ndiodior critiquent l’individualisme de l’Occident. Selon eux, il est essentiel de s’entraider et de respecter le droit d’ainesse. Toutefois, Salie est partagée en face de cette « idéologie communautaire » (p.191).

En visite sur sa terre natale, les économies de Salie disparaissent rapidement, car elle ne peut refuser de nourrir la communauté sous prétexte de passer pour une « individualiste occidentale, une dénaturée égoïste » . Le regard qu’elle porte  sur les relations entre le Sénégal et la France démontre sa double appartenance tout au long du roman. Par exemple, elle admire l’esprit communautaire tout en rejetant ses excès. Elle remet constamment en question les traditions de l’île de son enfance, tout en revendiquant son africanité (p.225). Ni tout à fait sénégalaise, ni tout à fait française, Salie observe les relations entre les deux pays sans jamais vraiment appartenir à l’un d’eux. Le travail de réflexion qu’elle effectue fait ressortir toute l’ambiguïté dans laquelle vivent beaucoup d’exilés africains.

 

Binso Binso