Kitimbwa Sabuni « Le nationalisme n’est pas un concept africain »
Kitimbwa Sabuni n’est plus à présenter dans la société suédoise. À la pointe de la lutte contre la discrimination raciale, il mène des activités d’envergures pour l’intégration réelle des africains-suédois en suède. Et ce, à travers la structure qu’il dirige, AFROSVENSKARNAS RIKSFÖRBUND. Il a bien voulu se prêter aux questions de 100%CULTURE.COM.

Quelle est la meilleure façon de vous présenter ?
Kitimbwa Sabuni fait partie d’une famille de cinq frères et sœurs qui travaillent dépuis près de 30 ans pour mettre en exergue des droits et des opportunités pour les afrosuédois en Suède.
Pouvez nous parler de cette association et ses objectifs ?
L’association nationale des afrosuédois est une organisation humanitaire, culturelle et bénévole. L’association est d’ailleurs apolitique et n’a aucun fondement religieux. Il a été fondé en 1990 et aujourd’hui elle possède six succursales en Suède notamment dans les villes de Malmö, Göteborg, Örebro, Stockholm, Sundsvall et Umeå. Notre but principal est d’agir et travailler dans le sens de l’intégration afin de créer un cadre idéal de vie pour les plus de 50 000 immigrés d’origine africaine qui vivent actuellement en Suède.
Avez-vous le sentiment que les choses avancent du point de vue de l’intégration des Africains dans la société suédoise ?
Pour moi c’est une question de solidarité sociale. Même si en Suède on parle de l’intégration quand on parle des personnes d’origines étrangères, en relation avec ces questions. On peut obtenir une solidarité sociale dans une société où les fossés sociaux et économiques entre les gens ne sont pas trop grands. Il est surtout inquiétant si cette inégalité sociale et économique se racialise et a librement cour dans la société. Ce que nous voyons aujourd’hui est une marginalisation économique et sociale qui correspond, d’une manière assez claire, à la couleur de votre peau. Plus vous êtes foncé, plus vous avez des problèmes. Dans ces cas, il est impossible de cacher l’injustice dans l’ordre social, le contrat social se vide de son contenu et nous envisageons de l’antagonisme. En Suède, nous avons deux développements parallèles. L’un est que le fossé entre les suédois ethniques et les suédois immigrés diminue comme un résultat du succès relatif avec les enfants des immigrés par rapport aux parents. L’autre est que l’antagonisme augmente pourtant comme un résultat de plusieurs raisons ; par exemple un discours politique changé qui est plus hostile envers les immigrés, l’attaque du 11 septembre 2001, la croissance des idées neo-libérales, mais surtout que les enfants des immigrés ne supportent pas la discrimination que leurs parents acceptaient. Ils demandent le traitement égal et de telles demandes des minorités ethniques sont considérées révolutionnaires et menaçantes. Personnellement je trouve que, malgré l’antagonisme, c’est un développement nécessaire et positif. Nous voyons comme un pas du chemin vers une société dans laquelle vos droits et possibilités ne sont pas définis par la couleur de votre peau. Mais il nous reste encore un long chemin.
Quels sont vos projets à court, moyen et long terme ?
Tout notre travail est à court terme, même si nous travaillons en forme de projet. Notre travail anti-racisme et un travail qui vise à démontrer l’histoire africaine et, par exemple, le rôle qu’a joué la Suède dans l’esclavage sont des efforts court et long à la fois. Nous orientons notre travail vers les écoles et des adolescents, nous travaillons avec des groupes de femmes et pour le moment nous travaillons en particulier pour l’intégration des africains handicapés de notre association. Même si les projets sont limités dans le temps, le travail est continuel et se développe dans de nouveaux projets.
Avec toutes vos occupations dans une société européenne comme la Suède, vous avez tout de même réussi votre propre intégration. Comment cela s’est-il fait ?
Je ne crois pas qu’il y a un secret à partager. S’il y avait le problème d’intégration, il serait bientôt résolu. Ma vue de la société est plutôt structurelle. Le fait que nous avons une société où les droits et les possibilités des gens sont limités à cause de leur couleur de la peau va contribuer à mettre les noirs dans des situations telles qu’ils se sentiront marginalisés par rapport aux autres. Cela n’empêche pas que certains noirs réussissent à s’établir de manière qualitative. La raison pour laquelle certains réussissent est peut-être difficile à expliquer, mais je pense que bon nombre de facteurs contribuent avec une dose d’intelligence et cela est une question de minorité malheureusement. J’ai croisé trop de gens talentueux qui ont pourtant eu beaucoup de malchance.
Avez-vous une idée pour la sortir de crise pour les pays africains où règnent en ce moment assez des remous, source d’une immigration massive vers l’Europe ?
Ce sont des questions très compliquées. Il est assez complexe pour moi qui a étudié les effets européens sur l’histoire de l’Afrique jusqu’à nos jours, de dire quelque chose de ce point de vue. Pour cela, je veux dire qu’on devrait laisser l’Afrique se développer à son gré exactement comme avait fait l’Europe. Personne ne disait aux Européens que « vous devez faire ceci ou cela », pourtant c’est ce qu’on dit tout le temps à l’Afrique. Et ce sont les forces bien intentionnées. Après, nous avons tous les forces étrangères qui consciemment aide l’Afrique à se lancer dans le plus profond des abîmes.et cela est seulement dû aux raisons d’avarice et de puissance politique. Il n’existe pas de conflit armé en Afrique qui ne soit encouragé et fondé par des forces venant hors d’Afrique et je veux qu’on arrête cela. À mes semblables en Afrique, je voudrais dire qu’ils devraient jeter le joug du nationalisme. Le nationalisme n’est à mon sens pas un concept africain. Par contre, l’initiative de l’Union Africaine me parait beaucoup plus opportun à long terme pour l’Afrique. La seule raison pour laquelle on pouvait pratiquer l’esclavage et le colonialisme était que les Africains étaient divisés. Il faut donc rompre avec cette tradition d’individualisme pour promouvoir le panafricanisme.
Pour la premiere fois de la vie, une jeune africaine est membre du gouvernement suédois. Même si elle est de l’Alliance le parti qui vous a battu votre parti aux élections législatives, cela ne doit tout de même pas vous privez d’un petit commentaire…
Tout d’abord je voudrais dire que mon propre acte politique est beaucoup plus modeste que celui du ministre de l’intégration. Mais, dans ma profession, je travaille avec la cause des afrosuédois et je pense que la prise de fonctions du ministre de l’intégration a eu plus d’effet sur la position des afrosuédois dans la société. La politique est un dispositif immense où des individus ne peuvent guère faire une grande différence politiquement. Par contre la prise de fonctions de Nyamko Sabuni joue un rôle symbolique très important pour les afrosuédois et pour la société en gros. Cela va influencer le regard désormais pour ce qui concerne les afrosuédois et d’autres groupes minoritaires. Cela va ouvrir des portes qui vont aboutir à donner à d’autres personnes venant des minorités éthniques l’occasion de prendre place dans la politique et dans l’avenir, cela va amener à un changement politique qui sera utile pour les personnes d’origine étrangère. Peut-être oserais-je dire que cela va devenir un atout pour la gauche puisque la classe et l’ethnicité coïncident de nos jours.