Interview Pr. Thioub Ibrahima

Ibrahima THIOUB, Docteur de l’Universités Paris 7 Diderot (1989), cet instituteur à l’origine est Professeur titulaire des Universités (2004). Depuis le 31 août 2014 il est le Recteur l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar Précédemment Directeur du Centre africain de Recherches sur les Traites et l’Esclavage (CARTE) de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l’Université Cheikh Anta DIOP. Il compte aujourd’hui parmi les meilleurs spécialistes de l’histoire sociale et culturelle de l’Afrique. Il s’est distingué dès le début des années 1990 par l’originalité de ses travaux en se saisissant d’objets jusqu’alors délaissés par l’historiographie africaniste classique. Il a été professeur invité à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (France) et dans plusieurs universités aux États-Unis, en Europe, en Asie (Népal, Inde, Sri Lanka) et dans de nombreux pays africains (Gambie, Sierra Leone, Afrique du Sud). En 2008-2009 il a été chercheur-résident au Wissenschaftskolleg de Berlin et, depuis mars 2012, il est Docteur Honoris causa de l’Université de Nantes.

Professeur comment comprendre votre présence à ce colloque international sur reggae et panafricanisme ?

J’ai été invité par les collègues qui pensent que mes travaux sur l’esclavage et son rapport au reggae, les traites atlantiques qui ont été aussi l’occasion de métissage entre des peuples de culture différentes sont utiles. Je pense que c’est un cela qui les a inciter à m’inviter.

Il y un débat sur le panafricanisme, ses nouvelles formes, ses expressions. Mais aujourd’hui quelles peuvent être les voies que les intellectuels africains peuvent explorer pour le promouvoir de façon pratique ?

D’abord le panafricanisme est né hors d’Afrique dans ce qu’on appelle communément les diasporas et particulièrement en Amérique. Et les élites africaines des années 45-60 se sont emparées de cette idéologie unificatrice parce qu’à l’époque la lutte contre la colonisation nécessitait l’unification des peuples africains contre celle-ci. Cette période est achevée ce qui a essoufflé l’idéologie du panafricanisme. Même si tout le monde s’en réclame dans la pratique et dans la réalité du quotidien l’Etat-nation et le nationalisme issus des territoires que la colonisation nous a légué on prévalu sur le panafricanisme et l’idée que les pères fondateurs se faisaient du panafricanisme ne s’est pas réalisée. Maintenant quel peut être l’avenir du panafricanisme ? Je pense que l’un des grands problèmes du continent c’est de nous être moulé dans un héritage qui avait épuisé ses capacités déjà en Europe je veux dire l’Etat-nation. Cette dernière a valu à l’Europe deux guerres mondiales. C’est une institution qu’on peut considéré comme ayant épuisé historiquement ses capacités à propulser quoi que ce soit. Et c’est au moment où on constate l’épuisement de l’Etat-nation que l’Afrique s’en empare. On est tombé dans une sorte de piège et le nationalisme s’est tellement développé en Afrique faisant obstacle au panafricanisme qui était porté par les diaspora qui n’était pas divisé par les nationalités. Et dans le cadre de la globalisation cela va être de plus en plus difficile pour les Africains qui se réfugie dans un état micro-identitaire autour de l’ethnie, de la religion. L’idée du panafricanisme fait consensus mais dans sa pratique cela pose énormément de problème. Je pense qu’il est essentiel pour l’Afrique de faire une critique intellectuelle forte de l’Etat qu’on a hérité de la colonisation. C’est un Etat prédateur, un Etat administratif, verticale, un Etat de commandement. Les sociétés africaines ont besoin au moins dans le combat pour la liberté après la libération d’oublier un peu les anciens maîtres et de nous et de nous penser par nous-mêmes comme disait Senghor le premier président du Sénégal indépendant. C’est en rompant avec cet Etat violent, prédateur pour renouer avec un peu plus de social. Que l’Etat ne soit pas un lieu dont le contrôle permet le pillage des ressources publiques pour les retourner en Europe en laissant l’éducation, la santé, l’emploi de jeunes. Je pense qu’il y a deux autres choses qui sont importantes aujourd’hui en Afrique c’est la liberté de circulation et la liberté de donner son opinion qui est la démocratie. Il y a des obstacles à ces deux choses et je pense que sont des chantiers que le panafricanisme doit explorer. Que l’Afrique puisse bouger au sein de l’Afrique sans entraves et qu’on promeut la liberté de prendre la parole comme sous l’arbre à palabre.

On sait la part très importante de la jeunesse dans la population africaine. Celle-ci est dans une situation difficile. Dans ce contexte comment cette jeunesse peut-être se réapproprier l’idéal panafricain ?

Je pense que l’énorme chance de l’Afrique c’est la jeunesse de sa population. Mais une chance ne s’actualise pas si on ne lui donne pas une politique capable de l’actualiser. La politique capable de le faire c’est de rompre avec la culture de l’Etat prédateur. Tant que nos élites continueront à faire la prédation l’expérience que nous avons connue pendant la traite où on vendait les producteurs sera de retour nécessairement. Ce qui produit le fait que des jeunes prennent des bateaux et meurent dans la mer ce qui rappelle ce qui se faisait pensant la traite. Je le dis souvent pendant la traite on donnait aux élites africaines de la pacotille, de l’alcool contre lesquels ils organisaient des raids dans les villages pour capturer des gens libres et les vendre aux compagnies de commerce aujourd’hui la même fonction que jouait la pacotille est jouée par les véhicules 4×4. L’Afrique est le continent qui au kilomètres carré a le plus de 4×4 alors qu’on n’est pas le continent le plus riche on nous vend des 4×4 qui n’ont aucune utilité dans les villes. C’est ce rapport qu’il nous faut inverser pour que le panafricanisme serve à l’éducation des jeunes et à leur avenir.

 

Interview réalisée par SOSSIEHI Roche

Sossiehi Roche: