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Interview : Jean Valère Djezou, poète, auteur de Dunes D’O « Ma poésie fait danser en même temps qu’elle dit la vérté »

Macaire Etty | | Litterature

Poète-musicien, Jean-Valère Djézou vient de publier chez Harmattan Dunes D’Or, un         recueil poétique se situant à l’intersection de la beauté pure et de la parole engagée. Après des tentatives infructueuses, nous avons réussi à rencontrer le poète. Comme une digue rompue, le démiurge-chantre s’est laissé simplement aller…une entrevue qui va étancher des soifs…

Dunes d’or ! Pourquoi ce titre, Jean Valère Djezou?

La réponse à cette question se trouve dans le substrat motivationnel du recueil essentiellement charpenté de leçons de vie. Au départ, Dunes d’Or, c’était Dunes d’Or ou 100 leçons de vie. Il aurait également pu s’appeler Carnet de voyage. Toutefois, Dunes d’Or a survécu, parce que Dunes d’Or est et a un esprit de survie dans ce monde, ce continent et ce pays qui exigent qu’on arrache la vie et le bonheur à coups de dents et de volonté inflexible.

Quel sens donnez-vous à la structure de ce recueil de poèmes ?

Dunes d’Or comprend quatre parties. La première partie, « Conviction de croix », est ma profession de foi envers l’Homme, la conviction de ma mission de sentinelle du peuple ivoirien, des peuples africains et de tous les continents. La deuxième partie, « Leurre des lumières », évoque leurre des lueurs, leurres et lueurs, l’heure des leurres, l’heure des lumières, l’heure de la vérité. Elle est faite de trahisons, de désillusions, de dénonciations, de libérations. La troisième partie, « Marathon d’amour » parle de l’amour, cet inconnu connu de tous. L’amour qui n’est jamais gagné d’avance. Le cueillir et le conserver est une longue initiation, une longue quête, une longue souffrance. Si l’amour donne la vie, l’amour précède et accompagne aussi la vie et la victoire. La quatrième, partie, « Cœur à chœur », ce sont des textes que j’ai, pendant longtemps, chéris. Il s’agit de poèmes destinés à être chantés. Voilà les quatre forces sémantiques qui tiennent l’ossature générale de Dunes d’Or.

Vous accordez une grande place à la rime et la musicalité des mots…une raison particulière.

J’ai une âme profondément musicale, une sensibilité qui s’attache aux coupures et aux ondulations rythmiques, mélodiques et harmoniques. Je suis en réalité chanteur à la base et ce premier livre aurait pu être précédé par un album musical. Alors, je me dis que la musique est peut-être tellement forte en moi que mes paroles s’y mêlent facilement. Et finalement, je crois bien que je chante plus que je ne parle et que c’est l’écho profond de cette musique intérieure qui m’a naturellement attaché à l’arbre suave de cette poésie qui rame avec les rimes. Je ne cherche donc pas aveuglément les rimes et les complicités sonores entre les mots.  Mais il faut le dire, j’aime les mots qui se font écho ! ces mots de même plumage qui volent ensemble ! Les fibres de mon esprit, de mon âme et de ma chair sont nouées à l’arc attachant de la musique. J’aime cette poésie de rose qui chante ! Comme le roi David, je suis poète-chanteur, et c’est le plus naturellement du monde que je donne au monde ce qui est moi et en moi.

 Pourtant cette recherche d’harmonie sonore en fin de vers est aux antipodes de  l’esthétique poétique de ceux que tu désignes comme maîtres, je pense à Zadi et Adiaffi.

Quand on a côtoyé un maître à l’envergure humaine et intellectuelle aussi vaste que profonde comme la terre, on se demande bien ce qu’on peut faire pour lui ressembler un tout petit peu et honorer sa mémoire. Et c’est une question qui intimide. Feu maître Bottey Zadi, c’est quand même plus de trente parutions ! Il est celui qui m’aura vraiment fait appréhender la puissance de la pulsation rythmique dans les pratiques esthétiques et oratoires négro-africaines. Il nous a initiés à l’art de taper du tam-tam avec la parole. Il nous a initié à l’art de pianoter sur un poème…N’empêche, vénérer un maître, ce n’est pas seulement garder précieusement la jarre de feu qu’il a laissée. C’est aussi mettre à côté de la magie qu’il a créée une modeste jarre d’eau que ses précieuses leçons auront aidées à créer. Et c’est ce que le petit disciple que je suis, a fait. J’ai choisi ma propre voix, de faire un bon soprano, alors que le maître était et un excellent ténor et un prodigieux baryton. Autre fait, on n’est pas disciple que pour reprendre la technique du maître. Il y a également la thématique humaniste du maitre Zadi qu’il faut perpétuer.

Pour ce qui est du maître Jean-Marie Adiaffi… son écriture est transe, effusion et rythme profond du monde noir et africain. Et D’éclairs et de foudres est le sommet de sa poésie. Cependant, ma poésie ne côtoie ni ses hauteurs, ni ses couleurs, ni ses ardeurs. Si les principes de mon art  se sont dégagés de l’étude des techniques des maîtres Adiaffi et Zadi, mon art reste cependant différent et indépendant. Je vénère mes maîtres, mais je ne suis pas ce genre de disciple qui dort dans les couches de son maître. Ainsi, mon art va aussi ailleurs, à quelques pas de mes maîtres, puiser à d’autres arts sous d’autres cieux ce qu’elle y peut puiser. Ronsard ; Hugo ; Baudelaire ; le roi David; son fils Salomon … sont aussi mes pieux et mes puits…

Dans votre poème « Le rêveur » je lis Baudelaire (le vin des chiffonniers) et Victor Hugo (demain des l’aube).

Effectivement, lorsque je mettais en forme « Le rêveur », j’avais la pensée fixée sur « Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées », ce beau vers hugolien auquel j’ai, à ma façon, donné un coup de neuf avec « Le rêveur » qui, « Les yeux fixés sur son rêve, Sa pensée ne fait guère de trêve. »  …Et ce qui est intéressant dans ces deux textes poétiques frères, c’est qu’ils marchent sur un même tempo monotone. (…)Le poète de « Demain, dès l’aube… » marche pour un demain tragique cloué par la mort et qui tombera dans la tombe. Le rêveur marche pour un demain épique couronné par le trophée du rêve accompli et qui trônera sur les fantômes d’hier. J’ai cependant une dette de franchise envers vous, Grand Frère poète Etty Macaire, certes j’avais l’esprit cramponné à cet illustre vers d’Hugo cité en sus, toutefois c’est la lumière de votre regard perçant aux mille projecteurs qui m’a révélé jusqu’où m’a poussé, sans que j’en ai la moindre conscience, ce seul vers du génie Hugo.

« Le vin des chiffonniers » de Baudelaire, par contre, je n’y pensais pas, quand je marchais avec « Le rêveur ». Je n’aime pas le vin, c’est normal ! (rire) Et ce que je trouve encore bien rigolo, c’est que ces deux gars marchent la tête qui bouge de haut en bas comme des dindons. Ils sont ivres de quelque chose, lamentables, pitoyables, misérables et sujet à la raillerie du monde.

En somme, ces trois personnages qui animent ces trois papiers sont comme sortis du même panier. Ridicules, ces trois poètes savent néanmoins ce qu’ils veulent et de quoi sera fait leur lendemain. Le premier rêve de la mort et la mort se pointe. C’est le poète de Demain, dès l’aube…  Le second rêve que l’alcool noiera toujours ceux qui veulent y noyer leurs ennuis et le vin n’a toujours été qu’un générateur et un accélérateur de dégénérescence. C’est le poète du Vin des chiffonniers. Le troisième rêve de rendre demain meilleur et son demain sera meilleur et demain sera meilleur grâce à lui. C’est Le rêveur…

 Hum, vous êtes bien inspiré…dites-moi : Entre le message et la beauté sonore des poèmes qu’est-ce qui importe pour vous ?

D’après l’icône Georges Molinié, « Les mots ne signifient rien du tout. Ce sont ceux qui les utilisent qui leur donnent une valeur sociale. » Et pour avoir cette valeur sociale, je dirai que les mots, comme tout le monde, doivent travailler et apporter au monde.

Nous sortons donc les mots du chômage de leur désuétude et de la paresse de leur usage ordinaire. C’est en réalité de là que le mot tient sa puissance. Et quand on parle de mot, on parle concomitamment de message. Ce sont des frères siamois. On les tuerait tous deux, si on essayait de les séparer l’un de l’autre. (…)

Mais, pour que le mot devienne un vrai bolide et que son message soit aussi puissant qu’un buffle, il lui faut être transformé par le maître des mots. L’artiste sort de ce tacot, ce mot défraîchi et emprisonné par l’usage monotone dont la société en fait, une nouvelle caisse qui pourrait aller où il le souhaite faire telle ou telle commission.  Il n’y a pas de message fort sans mot fort. Et moi, pour rendre mes mots forts, je les transforme souvent en caravane. Ma poésie est une caravane musicale. Elle fait danser en même temps qu’elle dit la vérité, pour rendre la vérité de ma bouche amère douce à l’oreille qui la broie, la mâche, la mange.

(…)

 Dites-moi, « Le repenti » est un poème assez mystérieux, Djezou.

 C’est un mystère de se repentir, d’être la même personne sans ne plus jamais être la même personne. C’est un vrai mystère d’avoir la même peau et de faire peau neuve. Il est aussi mystérieux en ce sens que l’on se convainc que son message me concerne absolument et calfeutre une expérience personnelle de ma vie que je n’ose pas complètement dévoiler. Ce n’est pas cela, bien qu’aucune âme humaine ne soit sans ombre. Cependant, comme les Ivoiriens aiment à le dire, il faut se brosser les dents, avant de parler mal aux gens. Il faut être en règle pour faire appliquer la règle. Avant qu’Esaïe ne devienne le grand prophète qu’il fut, sa bouche fut sanctifiée par la pierre sainte de Dieu, la pierre de la vérité.

Un poème a pour titre “ ma poésie” et il commence ainsi : « quator djezou-hugo-baudelaire-adiaffi, sous le regard amuse du maitre zadi ». Dites-moi, Djezou, tenteriez-vous de vous mesurer a ces monstres ?

(Sourire) C’est mon fantasme poétique. Sincèrement, je les aime, ces poètes ! Et je crois que, marchant avec eux, ne serait-ce que comme coursier ou cocher, j’aurais été un grand nom. Même nain, il faut viser la crête du cocotier et atteindre les substantifiques noix, au lieu de se contenter de l’ombre fraîche de son feuillage. C’est là aussi une leçon de vie que j’ai voulue modestement donner, en me projetant au milieu de ces Pantagruel des arts de la parole pour former un Cinq Majeur, le cinq des cinq organes de sens, le cinq des cinq doigts, inégaux, différents, mais toujours tous ensemble et tous importants. C’est le message de la fraternité, du dépassement et de la rentabilisation des inégalités et des clivages de toutes sortes. Ces géants m’ont accepté. Ils ont avec moi chanté l’hymne de ma poésie. C’est ainsi que les hommes, les communautés et les nations devraient s’accepter pour faire une terre de bon air. Et, nous, nous l’avons compris, dans la Patrie des Poètes ! Grand Frère poète Etty Macaire, nous l’avons compris, dans notre petite Patrie, n’est-ce pas ?

Votre poésie se veut-elle plus satirique que lyrique ?

Je sais que cette question a certainement titillé l’esprit de nos éditeurs ivoiriens, lorsque Dunes d’Or, se présenta à eux. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles Dunes d’Or a tardé à paraître au grand public. Achevé en 2009, Dunes d’Or sort le 1er octobre 2012 chez L’Harmattan. …Il y a des gens qui croient faussement rendre un grand service au pouvoir à la mode, en empêchant les mécontents de s’exprimer librement. Parce qu’avec Dunes d’Or on ne sait vraiment pas à qui et à quoi on a affaire…Parce que tantôt le lyrique fait un coup d’Etat au satirique, tantôt le satirique fait un coup foireux au lyrique. Et ce sont là deux inclinations de mon être qui critique impitoyablement et s’épanche généreusement. Et ce sont là deux franges de notre être qui font avancer notre vie, si nous savons vivre avec elles : la raison et le cœur. La raison qui calcule et se retient. Le cœur qui donne sans compter. Le cœur qui ne raisonne pas. La raison qui n’a pas de cœur.

 « Dunes d’or » semble aussi s’intéresser a l’actualité récente de notre pays…

Il y a longtemps que je ne comprends pas les étrangetés qui ont cours dans mon pays et sur le continent. Je vois des ex-opposants trahir leurs serments, une fois parvenus au pouvoir. (…) Mais je n’ai pas une tête de maudit-oui-oui pour taire les souffrances ignobles faites à mon peuple qui, apparemment, semble cependant vouloir s’accrocher à ses bourreaux. Ma poésie est une fustigation de ces politiques gouvernementales qui n’ont aucune considération de l’homme. Pour venir au pouvoir, du sang ! Pour partir du pouvoir, du sang !

Aujourd’hui la poésie est comme cet albatros baudelairien incapable de marcher dans un monde matérialiste et médiocre. Alors pourquoi écrivez-vous toujours des poèmes ?

 Il faut nourrir son esprit et son corps de choses bonnes, ce qui est signe d’un bien-être social et mental. La poésie est ce qu’il de sublime à faire. Et j’adore la production poétique, esthétique, intellectuelle et athlétique parce qu’elle est un évaluatif de la vitalité d’une nation. Alors, je ne pense pas que, pour des goûts dénaturés par une civilisation pressée du prêt-à-porter et par une industrie livresque ivre d’un esprit mercantile, il soit bon de rabaisser nos pays, en produisant des chiffons, après avoir reçu de leurs mains la crème de la formation. Donc, je voudrais une écriture qui soit à la hauteur des investissements du contribuable ivoirien dans ma vie.

Et c’est pourquoi, tout en hissant haut le niveau de ma production pour hisser haut le flambeau de ma patrie et de mon continent, j’ai tenu à avoir un langage accessible. Je n’ai pas seulement ouvert mon cœur à mon peuple, je lui ai aussi ouvert les portes de ma pensée par un message dans l’ensemble simple à percevoir. Et c’est une lecture qui procure du plaisir. Et c’est aussi là une des particularités de Dunes d’Or.

Interview réalisée par Etty Macaire