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Crise ivoirienne post-électorale : Le regard des écrivains et intellectuels africains

Atse Ncho De Brignan | | Litterature

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La crise ivoirienne post-électorale continue de laisser couler beaucoup d’encres et de salives. Elle continue également de mobiliser spécialistes en la matière: hommes et femmes politiques, écrivains et intellectuels africains de tous bords et d’origines diverses. Ces deux dernières catégories ont été pour beaucoup par leurs contributions et leurs prises de positions à éclairer les lanternes. 100%Culture, votre magazine préféré, sort de son domaine culturel pour parler de cette actualité politique. Mais une actualité politique telle que vue par nos hommes et femmes de lettres du continent africain.

Quand les écrivains se mobilisent…
Au lendemain de la proclamation des résultats définitifs des voix se sont levées pour crier haro, qui sur l’assassinat de la démocratie, qui sur la recolonisation de l’Afrique par les grandes puissances. De ces réactions à la crise actuelle en Côte d’Ivoire, nous avons entendu le «rugissement» du Nigérian Wole Soyinka, qui se dit très « déçu » par ce qui se passe en Côte d’Ivoire. Le mardi 14 décembre 2010, au cours d’un entretien accordée à Radio Française Internationale (RFI), le prix Nobel de littérature 1986 a appelé Laurent Gbagbo à saisir la seule solution « honorable » à ses yeux, celle qui consisterait à quitter le pouvoir que lui suggèrent les Nations unies, l’Union africaine, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao).

Dans cet entretien, Wole Soyinka a même rappelé des faits, qui datent de 2000, d’une Commission de réflexion sur le développement de l’Afrique mise en place par Koffi Annan, à l’époque secrétaire général des Nations unies. Ces faits clouent au pilori « l’homme fort » d’Abidjan, Laurent Gbagbo en ces termes : « Le président Gbagbo a soutenu le travail et les conclusions de cette Commission du millénaire pour l’Afrique. Il a accueilli deux sessions de débat et applaudi à nos recommandations. Or ces conclusions ont notamment pointé du doigt l’incapacité des leaders africains à quitter le pouvoir, à respecter le verdict des urnes ».

Wole Soyinka a ajouté : « C’est donc ironique et affligeant que le président Gbagbo souffre justement du syndrome que nous avions dénoncé. En plus, nous avions cité comme l’une des raisons des guerres civiles en Afrique, le fait que les leaders africains trahissent la volonté électorale des populations. Donc, notre ancien et généreux hôte, qui nous a soutenus, le président Gbagbo, devrait se remémorer les conclusions de la commission, et se comporter selon les principes qu’elle avait énoncés. En ce moment, sa position va à l’encontre de tout ce qui a été recommandé par la Commission du millénaire ».
L’autre Grand Prix Littéraire de l’Afrique Noire (1993) et Grand Prix du roman de l’Académie française (1996), Calixte Beyala ne voit pas les choses de cette manière. Dans une lettre ouverte adressée à Béchir Ben Yamed, Patron de Jeune Afrique, parue le 4 janvier 2011 dans le même hebdomadaire, l’écrivaine franco-camerounaise lui assène ses vérités tout en considérant que ces écrits sur la crise ivoirienne causent en réalité, plus de torts à l’Afrique. «Me permettez-vous d’introduire la notion de « Coup d’Etat électoral ? » Et si le Président Gbagbo en était une des dignes victimes ? Y aviez-vous songé? Je crois que la stratégie géopolitique voudrait que le Golfe de Guinée soit totalement sous contrôle occidental.

L’épuisement des puits pétrolifères dans le Golfe Persique et la résistance armée dans ces régions, justifient que l’Europe se tourne vers l’Afrique. Pour son pétrole. Pour ses matières premières. Pour ses innombrables richesses. Et aussi- il ne s’agit pas d’un argument moindre,- sa capacité de soumission bas-ventrale…

Je crois que tous les pays du Golfe de Guinée connaîtront le même sort que la Côte d’Ivoire dans un avenir plus ou moins proche.
Je crois tout simplement qu’Alassane Ouattara est pour les Occidentaux l’homme de confiance et que pour atteindre leurs objectifs, à savoir lui faire revêtir le costume de président de la Côte d’Ivoire, ils sont prêts à tout… Je crois enfin que Gbagbo ainsi que le peuple ivoirien se battront jusqu’au bout pour ne point se faire dépouiller… en témoigne le peu d’enthousiasme qu’a suscité l’appel à la mobilisation d’Alassane Ouattara ».

Encore un autre Prix littéraire, celui du Renaudot 2008, le Guinéen Tierno Monénembo, tout en faisant le parallèle entre l’indépendance accordée au forceps à son pays en 1958 pour aboutir au deuxième tour des élections présidentielles une semaine avant celles de la Côte d’Ivoire publie un billet dans l’édition du 4 janvier 2011 du quotidien français Le Monde intitulé « L’ONU recolonise l’Afrique ». Il commence en ces termes : « Pauvre Afrique, hier, on lui imposait ses dictateurs, aujourd’hui, on lui choisit ses « démocrates » ». Avant de s’interroger sur la question qui fâche : « Qui a gagné les élections en Côte d’Ivoire, qui les a perdues en Guinée ? » Pour lui, si la Côte d’Ivoire est encore coupée en deux, la faute revient « au monde entier et d’abord et avant tout à cette fameuse communauté internationale qui n’est jamais mieux dans son rôle que quand elle rallume les incendies qu’elle est censée éteindre ». Et Tierno Monénembo de continuer : « Nous ne contestons pas non plus l’élection d’Alassane. Nous disons simplement que le rôle de la communauté internationale ne revient pas à prendre des positions partisanes et à se répandre en déclarations intempestives encore moins dans une situation aussi explosive que celle de la Côte d’Ivoire. Pourquoi le défi et la menace du canon là où la discrétion, la ruse, la prudence et le tact bref, l’art de la diplomatie, auraient suffi ? (…) La diabolisation dont il [Laurent Gbagbo] est l’objet a fini par le rendre sympathique aux yeux de ses pires détracteurs. « A force de jeter une grenouille de plus en plus loin, on finit par la jeter dans une mare », dit un proverbe peul… »

Enfin pour le Renaudot 2008, il n’y a pas de différence entre les trois « dealers » qui font la loi en Côte d’Ivoire. Que ce soit Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara, c’est bonnet blanc et blanc bonnet, car selon lui, « ils forment le trio maléfique qui a ruiné le pays d’Houphouët-Boigny. A Bédié, le poison de l’ivoirité, à Ouattara, celui de la sécession, à Gbagbo celui de la confiscation du pouvoir. Chacun de ces caïds a montré combien il était prêt à sacrifier sa patrie au profit de son pouvoir personnel. De ce point de vue, ils n’ont rien d’exceptionnel. » Avant de conclure tout en ironie : « pour être élu en Afrique, pas besoin de mouiller la chemise. Avec un peu de chance et quelques copains bien placés à l’ONU, à la Maison Blanche, à l’Elysée ou au Quai d’Orsay, vous êtes sûr de passer même à 18 % ».

Dans le même registre, l’écrivaine et femme politique Aminata Traoré (Lettre au président des Français à propos de la Côte-d’Ivoire et de l’Afrique en général, Éditions Fayard, 2005) et l’écrivain franco-camerounais Gaston Kelman (Les hirondelles du printemps africain Editions JC Lattès, 2008) ont également pris position dans cette crise post-électorale.

… des livres pour mieux comprendre la crise

1- La question juula, le complexe d’Akan et le souverainisme de Laurent Gbagbo au centre de la crise selon Malick Ndiaye.

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Dans son dernier livre Où va la Côte d’Ivoire ? paru récemment aux Editions L’Harmattan, le sociologue sénégalais et Maître de conférences (CAMES) à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Malick Ndiaye évoque les vraies raisons qui continuent d’ébranler la Côte d’Ivoire. Pour lui, seule la question juula, le complexe d’Akan et le souverainisme de Laurent Gbagbo sont l’épicentre de la crise dans ce pays. Son livre montre comment avec le concept de l’ivoirité prôné par le Président Henri Konan Bédié « pour savoir qui est Ivoirien et qui ne l’est pas 50 ans après les Indépendances » la Côte d’ivoire a pris un autre virage. Avec l’arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo qui refuse de voir intégrer son pays dans un réseau de la Françafrique, la crise s’est encore accentuée. Comme solution à la crise ivoirienne, Malick Ndiaye affirme que «la vérité se trouve d’abord chez les Ivoiriens eux-mêmes. Ce n’est pas au dehors qu’il faut chercher, mais au-dedans. Par suite, tant que la Côte d’Ivoire n’aura pas confessé ses péchés, depuis les plus mignons à commencer par le complexe d’Akan, jusqu’aux plus tragiques, en l’occurrence l’Ivoirité, elle sera de toute autorité en proie aux démons qui se sont glissés dans les interstices de la société, de l’Etat, des collectivités locales, et par suite de cette obstruction, bouchent pour ainsi dire, tous les pores de cette République».
Où va la Côte d’Ivoire ? Entre la question juula, le complexe d’Akan et le souverainisme de Laurent Gbagbo de NDIAYE Malick, 248 pages; 24,50€

2- Comment gouverner autrement la Côte d’Ivoire? Des suggestions nouvelles pour soutenir la dynamique du développement de ce pays, selon René N’Guetta Kouassi.

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René N’Guetta Kouassi est un économiste ivoirien. Il est l’actuel Directeur du département des affaires économiques de la Commission de l’Union Africaine. Dans son livre Comment gouverner autrement la Côte d’ivoire, il propose des pistes de projets à explorer. C’est un livre de conseils qui s’adresse à l’ensemble des Ivoiriens et qui tente de mettre en relief des recettes visant à résoudre les problèmes, d’origines diverses et variées, qui caractérisent la Côte d’Ivoire. Ainsi, les problèmes économiques, de chômage, les problèmes de la gouvernance économique et politique, de la sécurité, de l’éducation, de l’immigration, de la diplomatie, se voient offrir une thérapie au moyen de propositions claires. C’est donc un répertoire de solutions aux nombreuses difficultés qui assaillent la Côte d’Ivoire aujourd’hui qu’il met à la disposition des décideurs économiques et politiques, aux leaders d’opinion de la Côte d’Ivoire ainsi qu’à ceux d’autres pays africains.
Comment gouverner autrement la Côte d’Ivoire ? Des suggestions nouvelles pour soutenir la dynamique du développement de ce pays de René N’Guetta Kouassi, 118 pages ; 12,50€

3- Repenser les nations africaines, selon Brice Armand Davakan,

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Docteur en Sociologie et présentement Analyste de politiques sociales auprès du gouvernement fédéral du Canada, le Béninois Brice Armand Davakan, en fin connaisseur, montre dans son livre qu’en prônant la décentralisation de la démocratie autour de communautés locales restreintes plutôt qu’autour de la nation, de nombreux chercheurs ont fait la décevante expérience de voir se reproduire au niveau local les déficiences de la démocratie centralisée. Selon lui, pour les jeunes démocraties africaines, le concept de nationalité devient obscur et conflictuel, du fait de sa manipulation idéologique et de son instrumentalisation politique de la part de certaines majorités ethniques ou identitaires. Un livre qui traite des questions d’identités, de citoyenneté et de démocratisation en Afrique.
Repenser les nations africaines. Identités, citoyenneté et démocratisation en Afrique subsaharienne de Brice Armand Davakan, 192 pages; 19€

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