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Chronique : La correction du manuscrit, une étape essentielle avant l’édition

Macaire Etty | | Litterature

Un professeur de lettres de l’université Houphouët-Boigny me faisait remarquer que les livres publiés en Côte sont gorgés de fautes. Effectivement, lui avais-je répondu, le phénomène a commencé à prendre de l’ampleur. S’il est vrai que l’édition a connu un petit « boom » dans notre pays et que les chances d’être publiés se sont multipliées par cinq, il est à noter aussi que la qualité littéraire et notamment linguistique des livres sur le marché ces dernières années est laisse à désirer.

Des romans et des nouvelles sont aujourd’hui des recueils d’incorrections et de fautes de langues inadmissibles. Les uns accusent les auteurs, les autres accablent les éditeurs. A qui la faute ? Une réponse tranchée ne résoudra point le problème. En vérité, l’auteur comme l’éditeur, a sa part de responsabilité dans cette chute du langage littéraire.

L’œuvre appartient avant tout à l’auteur. Son contenu, en termes de forme et de fond, relève en premier lieu de son génie et donc de sa responsabilité. Il a, par conséquent, le devoir de nettoyer son manuscrit avant de le déposer chez l’éditeur. Un écrivain est considéré comme un utilisateur modèle de la langue française. Il y a des livres de grammaire qui ne citent d’exemples que ceux tirés d’œuvres littéraires. Ceci pour dire qu’une œuvre littéraire est un ouvrage de référence, le livre par excellence.

Pour un nouvel auteur il est extrêmement vital de déposer chez l’éditeur un manuscrit « nettoyé », assez rigoureux du point de vue de l’expression. Une faute dans un livre de Bernard ZadiZahourou, Jean-Marie Adiaffi ou Bernard B. Dadié sera tolérée car ce sont des auteurs confirmés, de notoriété publique. Nul n’en voudra au Maitre Zadi d’avoir écrit « parmis». Tout le monde comprendra qu’il s’agit d’une faute de frappe ou d’inattention. Mais pour un nouvel auteur, un débutant, les choses sont plus compliquées. Il ne bénéficie pas de circonstances atténuantes. Et pourtant… Au contraire, il est exposé à des tirs groupés de certains fondamentalistes de la langue et risque même de se voir taxé d’écrivassier ou d’écrivaillon. Les fautes donnent mauvaise impression et découragent le lecteur exigeant.

En France, chez certains éditeurs par exemple, il suffit qu’il y ait un certain nombre de fautes sur les cinq premières pages, pour que le manuscrit en question soit rangé dans les tiroirs. Et même, quand par la négligence de l’éditeur, le manuscrit truffé de fautes est publié, l’auteur est tout de suite indexé, et voué aux gémonies. Pour cette raison, avant que le manuscrit n’arrive sur la table de l’éditeur, il faut le faire lire et corriger par d’autres personnes. Avant d’autres regards, l’auteur, à la fin de l’écriture de son manuscrit, doit le laisser reposer  une semaine voire un mois avant d’y revenir. Il pourra examiner son texte avec du recul et moins « d’aveuglement ». Les meilleures corrections se font toujours sur des textes imprimés. L’écran fait écran aux fautes. Après quoi, l’auteur doit solliciter d’autres correcteurs. Pour l’histoire, sa logique interne, son attrait, des amis, des parents, des connaissances de divers horizons peuvent lire et donner leurs impressions. Mais pour la langue et l’expression, il faut soumettre le livre à des spécialistes : des critiques littéraires, des enseignants, des grammairiens. Il existe même des logiciels (exemple : antidote) de correction. Mais il n’y a pas meilleurs correcteurs que des humains, des experts. Il existe en Côte d’Ivoire des personnes expérimentées en la matière. Elles se chargent de corriger le manuscrit moyennant  une somme. Elles peuvent même réécrire partiellement ou totalement le texte.

La maison d’édition a, en dernier lieu, la responsabilité de la salubrité « linguistique et grammaticale » du manuscrit. En Côte d’Ivoire, il y a des maisons d’édition qui ne prennent pas la peine de soumettre les manuscrits à un comité de correction. D’ailleurs, ce comité n’existe pas en leur sein. Porté par le gain et soucieux d’envahir le marché de leur logo, elles publient à la pelle des « forfaits paginés », des livres qui ressemblent à de véritables recueils d’incorrections. Pourtant, l’éditeur doit avoir le souci de participer, lui aussi, à la qualité littéraire du livre mis sur le marché. Il doit posséder, en interne, un comité de lecture et un responsable littéraire.

Le comité de lecture est composé d’au moins cinq lecteurs passionnés et rigoureux. Ils lisent les manuscrits et font des remarques sur le fond et la forme. Dans ce comité, il doit avoir un expert en grammaire. C’est à lui que revient de nettoyer le manuscrit de toutes les ordures linguistiques. Le responsable littéraire est le garant de la littéralité du manuscrit édité. Censeur rigoureux, il ne doit pas hésiter à « recaler » les manuscrits inondés de fautes de grammaire et d’orthographe ou réduits à raconter des historiettes sans véritables projets littéraire et philosophique. En termes simples, le responsable littéraire veille à la qualité littéraire de l’œuvre. Il doit travailler en se mettant au-dessus des considérations amicales, parentales et même idéologiques. Il doit collaborer avec l’auteur de sorte à trouver un accord sur certains points du manuscrit qui posent problème. Un manuscrit rejeté, peut revenir et être accepté si l’auteur accepte de suivre les recommandations et les remarques du responsable littéraire de l’édition.

Sans ces deux entités (le comité de lecture et le responsable littéraire), la maison d’édition se résume en une structure de sous-traitance chargée de trouver des histoires à imprimer. Une œuvre littéraire reflète le génie d’une époque et d’un peuple. Les éditeurs bien que soucieux de se faire des sous, doivent ne pas oublier leur responsabilité dans la promotion de la qualité.

En tout état de cause, l’écrivain, face à la démission des maisons d’éditions doit avoir pour souci de déposer un manuscrit potable, aéré, digeste, délesté des « souillures linguistiques ». Il en va de sa réputation et de celle de son pays.

Etty Macaire