« ABBE ANSELME, LA RUPTURE » de REGINA YAOU : Un roman de mise en crise des doctrines chrétiennes.
Régina Yaou, auteure d’obédience évangélique, se servant de la vie agitée de son personnage principal, un prêtre, pourfend des pratiques de l’église romaine.
Le sanctuaire des hommes de Dieu, depuis quelques années, est visité régulièrement par les écrivains ivoiriens. Lorsque le berger garant de la santé spirituelle des brebis s’enfonce dans la fange du vice, l’écrivain, veilleur de la cité par nature, n’hésite pas à dresser sa plume. Mais dans cette œuvre romanesque, la démarche de Régina Yaou est toute autre. Elle ne fustige pas les frasques et les escapades d’un prêtre vicieux pièges de la faiblesse de la chair. L’enjeu idéologique de l’auteure est ailleurs.
Devenu prêtre par la volonté de ses parents, Anselme impose respect et admiration jusqu’au sommet du clergé. Basketteur émérite doté d’une splendide plastique, il devient le chouchou des fidèles et de la presse. « Grand, bien bâti, il avait un port altier, mais sans arrogance, une aisance naturelle et une classe innée, qui le faisaient tout de suite remarquer » (p11). Sa mère et sa sœur ne jurent que par lui. Seulement, un jour sans qu’il n’en montre des signes, il annonce sa décision de se délester de sa soutane pour se fondre dans la foule anonyme des laïcs. Cette résolution n’est pas faite pour plaire à tous. Elle crée un choc émotionnel dans sa famille biologique et religieuse. En se défroquant, Abbé Anselme met en danger les intérêts de son entourage. Les mécontentements, les invectives et même des menaces de mort fusent de partout. Mais le prêtre-athlète, qui a eu le temps de réfléchir sur la doctrine de sa chapelle n’entend pas reculer jusqu’à ce qu’une main inconnue lui loge une balle dans le corps…
Dans ce roman, Régina Yaou ne s’en prend pas aux incartades et aux foucades d’un prêtre. L’histoire de son personnage principal n’est qu’un prétexte pour mettre à nu certaines pratiques ecclésiastiques furieusement en contradiction avec les saintes écritures.
L’attitude de l’abbé Anselme pose la problématique de la vocation et de l’élection du berger chrétien. A-t-il été appelé par Dieu avant d’enfiler la soutane ? La volonté de ses géniteurs suffit-elle pour s’engager sur cette voie faite de sacerdoce et de don de soi ? A-t-on besoin d’être ordonné prêtre pour devenir un bon serviteur de Dieu ? La vie de l’abbé Anselme par sa complexité en raison de sa décision de laisser tomber la soutane, la réaction de ses proches et ses rapports ambigus avec Monique, fille de son parrain, M. Edouard Groleau, suscite en effet des interrogations d’ordre doctrinal. Le livre, parfois prend l’allure d’un sévère réquisitoire contre les fondamentaux de l’église romaine.
La plume de l’auteure, par des touches régulières, porte des coups de boutoir à certains fondamentaux du catholicisme. Elle passe au crible des dogmes de l’église romaine telle que le mode de désignation des futurs abbés, le célibat des prêtres, le baptême par aspersion, la prière pour le salut des morts.
Deux conversions dans l’œuvre portent les marques du parti pris de l’auteure. D’abord Monique, fille de fervents catholiques, se convertit en chrétienne évangélique. Ensuite, Anselme après avoir abandonné la soutane choisit d’intégrer l’église ivoirienne du plein évangile, une église évangélique. Mieux, il est fait, par la volonté divine, selon un pasteur, évangéliste. Victime d’un coup de feu et écartelé entre la vie et la mort, ce sont les évangéliques qui ont organisé des séances de jeûnes et prières pour que le miracle de sa guérison se produise.
Au travers des dialogues et des évènements saillants de cette histoire, Régina soulève le problème de l’authenticité de certains rituels religieux. Chrétienne évangélique elle-même, sa plume « prêche », consciemment ou inconsciemment, pour sa chapelle. Sa posture tient en ces mots : l’abbé Anselme « voulait vivre sa foi, en tant que laïc, selon la totalité de la Bible, parole de Dieu révélée, uniquement. Mais pas la vivre selon les écrits et les habitudes des hommes » (p 192).
Si le roman de régina Yaou est accessible et relate une histoire originale, il pèche souvent par l’occurrence de certains détails superflus. Les portes auxquelles on frappe, les habits qu’on change, les sorties, les allers et retours en voiture, les visites, nombreuses des uns aux autres, les crises émotives de Marie Claire et Marie Christine, les fourmillants dialogues sur les mêmes sujets etc. ralentissent la cadence du récit. Des scènes, en effet, élaguées avec tact, auraient pu participer davantage à la tension nécessaire à une fiction palpitante.
« Abbé Anselme, La rupture », idéologiquement, est un roman qui va faire débat. Et cela est une bonne chose. Du point de vue de son souffle, il n’est certainement pas le point d’orgue de l’aventure littéraire de la « doyenne ».
Etty Macaire