Littérature et simplicité
« Le style, c’est l’homme même ». Cette formule de Buffon extraite de son discours à l’Académie Française, le 25 août 1753, lors de sa séance de réception est bien connue. Chacun y va de son interprétation. Nous en tirons la lecture suivante : En littérature, comme dans les autres arts, il y a autant de styles que d’auteurs. Chaque artiste selon son tempérament, sa culture, sa formation, ses goûts, sa vision se forge un style pour véhiculer son message. Le style c’est donc la marque et la touche personnelles qui font l’originalité d’une œuvre. On parle de style coupé, pédant, oratoire, parlé, grandiloquent, pompeux, affectif, coulant, fluide, simple etc.
Ici, je voudrais m’arrêter sur le style qui s’accorde avec la simplicité. Mais que signifie un style simple ? Nombreux sont des écrivains qui confondent simplicité et médiocrité. La simplicité ce n’est pas un refus de se soumettre aux règles de la grammaire et des normes du bon usage. L’écrivain qui publie un livre truffés de coquilles et de fautes de langue, fait des phrases maladroites ou use mal de la ponctuation est loin de le faire au nom de la simplicité. Un tel écrivain présente simplement des carences dans son rapport à la langue. Son style ne relève point de la simplicité. A un écrivain ivoirien qu’on reprochait de faire de la paralittérature, il répondait invariablement qu’il avait choisi volontairement la simplicité comme style. En fait, ses œuvres ne peuvent être classifiées dans la catégorie des œuvres dites littéraires. Il vogue véritablement dans la paralittérature si ce n’est la littérature de gare.
La simplicité n’est pas un style par défaut. Elle est loin d’être un indice de carence ou d’un manque d’inspiration. Quand Albert Camus dans L’Etranger opte pour une langue proche de la confidence, une langue du niveau du parler populaire, cela procède d’une démarche esthétique. Mettant en situation un personnage pour qui la vie n’a pas de sens, Camus a choisi un style en congruence avec la philosophie qu’il prône. Le style choisi dans l’Etranger exprime la platitude de la vie. Le style de Camus est simple mais son texte est profond. Sur certaines pages de L’Etranger, nous rencontrons de superbes phrases repues de richesses stylistiques. La description du meurtre de l’arabe, à la fin de la première partie du roman, est une pépite, un exploit esthétique. L’Etranger est un roman simple, mais riche en interprétation, profond dans sa philosophie.
La véritable simplicité rime avec la sobriété, l’essentiel. Il évite les emphases, les syntaxes touffues, les structures alambiquées, les embellissements. Il ne s’agit donc pas d’écrire un livre sans saveur, sans aucune inspiration, ennuyeux, esthétiquement et linguistiquement nu et vouloir se retrancher derrière le prétexte de la simplicité. Ecrire simplement est un art. « La simplicité est la sophistication suprême » disait d’ailleurs Léonard de Vinci.
La simplicité peut être liée au niveau de l’écrivain, à son milieu. Dans ce cas, la simplicité n’est même pas un choix. Elle s’est imposée car l’auteur ne peut faire autrement, déterminé qu’il est, programmé qu’il est. Voulant être plus proche du sens réel des choses, il se garde des ornements et autres « saupoudrages ».
Mais dans la plupart des cas, la simplicité est un choix lucide, une démarche assumée. Une œuvre autobiographique ou biographique, par exemple, gagnerait à être simple et accessible. Point besoin forcément d’artifices littéraires pour offrir « une vie » ou un parcours au public.
En somme, la simplicité ne peut être reprochée à un auteur, un écrivain. Ce qui peut être reproché à un auteur, surtout un écrivain c’est de ne pas faire honneur à la littérature. La littérature est un art. Et l’art s’adresse à l’intellect et aux sens. Il doit pouvoir émouvoir. C’est cela sa plus grande fonction.
ETTY Macaire