Littérature africaine : les livres sont-ils trop sacrés pour le public ?
« Littérature africaine : les livres sont-ils trop sacrés pour le public ? » telle fut la problématique de la table ronde dont les intervenants étaient quatre écrivains Ivoiriens, Tiburce Koffi, Josette Abondio, Josué Guébo et Macaire Etty, lors du Salon International du Livre d’Abidjan (S.I.L.A.). Le temps imparti à cette rencontre selon le public qui y était n’a pas été suffisant pour décortiquer le sujet en profondeur. Je voudrais alors, ici, tenter d’exposer mon point de vue sur la question.
Poser la question telle que formulée plus haut revient à reconnaître que la littérature appartient au domaine du sacré, c’est-à-dire, à un univers sélectif, un lieu qui n’est pas à la portée du profane. L’adjectif « sacré » renvoie ici à élitiste. Associé à l’adverbe de quantité ou d’intensité « trop », il semble un reproche subtil adressé aux écrivains africains. En termes clairs, selon un avais partagé par bon nombre de personnes, si le public africain ne fait pas du livre « son pain quotidien » c’est parce que le livre qu’on lui sert est hermétique, élitiste et abscons. La formulation de la problématique contient évidemment un parti pris. Il s’agit d’amener l’écrivain africain à reconnaitre sa part de responsabilité dans le peu d’engouement de son public envers ses créations. Je refuse cette thèse qui à mon sens sert de prétexte à la frange de la population qui méprise ou néglige la lecture.
La littérature, il faut le relever d’emblée, est un art. Elle repose en conséquence sur la quête du beau. Ses préoccupations étant d’ordre esthétique, l’écrivain doit avoir pour souci premier de rendre son écriture, belle, travaillée, imagée. En œuvre, l’œuvre littéraire doit transcender l’anecdote pour emprunter le chemin de l’allégorie et de l’esthétique. Quelque soit le genre, dès lors qu’il est étiquette par l’adjectif « littéraire » c’est qu’il sort de l’univers du quelconque et du vulgaire. La littérature est faite pour les initiés. Elle est loin d’être un texte « profane », populaire, vulgaire, pragmatique. Ceux qui exigent de l’écrivain qu’ils produisent des œuvres pour « tout le monde », en réalité, l’invitent à sortir de son univers pour en embrasser un autre. C’est comme si l’on demandait à l’albatros, « le prince des nuées » de quitter sa patrie éthérée pour venir élire domicile sur « les planches », le théâtre de la platitude, de la vulgarité et de la matérialité. Demander à l’écrivain de ne pas écrire comme il écrit revient à « l’assassiner », à lui infliger une mort symbolique. La littérature c’est bien la littérature. Il ne résume pas à un contenu, un message à passer. Ce n’est pas du journalisme dont le but premier est d’informer.
Il faut par conséquent refuser le nivellement par le bas. C’est au public de s’élever par la formation, l’effort et la persévérance pour s’approprier de l’œuvre littéraire. C’est d’ailleurs pour cette raison que les professeurs de lettres et les critiques littéraire servent de relais. Si les premiers écrivains avaient pour souci d’écrire des textes selon l’attente du public, ou des textes à la portée de la multitude, la littérature aurait déjà disparu perdu son prestige.
La littérature dont la matrice est la poésie est une récréation, comme le dit Bernard Zadi. Le créateur, selon lui met et doit mettre les mots en rébellion. Le texte littéraire, le vrai, sera toujours un texte « sacré », sublimé, raffiné, épuré.
Je suis loin de défendre les textes hermétiques, austères et « fermés ». Je suis loin de plaider en faveur de Mallarmé ou Réné Char. Je suis de ceux qui pensent que le recours aux mots rares ou inconnus ne suffit pas pour assurer la littéralité d’un texte. La beauté de Cahier d’un retour au Pays Natal jugé hermétique réside plus dans le rythme et les images des vers de Césaire que dans son lexique « fermé » et recherché.
Par ailleurs, une autre question, d’emblée, mérite d’être posée : est-il vrai que l’hermétisme est à l’origine de l’éloignement des Africains du livre ? Une écriture simplette, « populiste » garantirait-elle le succès de la lecture en Afrique ? Rien n’est sûr. Affirmer qu’une littérature accessible à tous garantirait la lecture de la majorité est hasardeux et ne repose sur aucune étude. Bon nombre d’Africains ne lisent pas, non qu’ils ne comprennent pas ce qui est écrit dans les œuvres littéraires, mais parce que l’activité de la lecture est loin de leurs habitudes quotidiennes. De même ceux qui mettent tout sur le compte de la cherté du livre se fourvoient. Un Africain est capable de débourser 100 000 F FA pour s’offrir une chaussure ou 50 000 F CFA en une soirée pour l’achat de bouteilles bière mais n’est pas prêt à débourser 3 000 F CFA pour s’acheter un roman. C’est dire simplement qu’en Afrique les livres sont à bon marché.
Si du « trop sacrée », les œuvres africaines deviennent même simplement « sacrées » voire profanes, cela ne changera en rien l’habitude des Africains. Le problème de la non-lecture est plus sérieux et lié à d’autres paramètres d’ordre culturel et sociologique. Il faut creuser plus en profondeur pour les éplucher que de se réfugier derrière des prétextes fallacieux. Il existe même en Afrique des auteurs (je n’ai pas dit écrivain) qui écrivent pour le grand public. Leurs livres se résument en des anecdotes célébrant le sexe ou l’amour superficiel. Ils écrivent comme on parle, sans aucun souci artistique. Il existe un beau public qui les suit et les lit. Mais les productions de ces auteurs ne sont pas des œuvres littéraires. Et pis : ce n’est pas la majorité qui les lie.
Il est clair donc que ce n’est point la désacralisation des lettres ivoiriennes qui va faire enfler l’effectif des lecteurs. Nous avons besoin de vrais écrivains qui honorent la littérature pour maintenir le peuple en éveil et participer à aiguiser ses goûts esthétiques. Un écrivain est à la fois un séducteur et un pédagogue. Le délester d’un aspect de sa fonction revient à réduire son prestige. Que les écrivains continuent de produire des œuvres littéraires de qualité. Et que les gouvernants réfléchissent sur les voies et moyens susceptibles de pousser la majorité des Africains à la lecture.
Macaire Etty