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L’invasion des clichés dans les œuvres littéraires

Macaire Etty | | Le Billet
Macaire Etty
Credit photo: Etty Macaire
En photographie, le cliché désigne une image négative obtenue à la chambre noire. En littérature, le mot signifie autre chose. Le cliché est une formule ressassée dans les mêmes termes, et qui finalement est devenue banale, usée, sans intérêt. Il est dit « littéraire » quand il investit les pages des œuvres littéraires sous formes d’images.
Dans les conversations mondaines, entre personnes dites « civilisées » ou « évoluées », le cliché est abondamment utilisé. C’est une manière de se donner, aux yeux des interlocuteurs, une teinture d’homme de culture. On a même souvent parlé de « lieu commun » ou de « poncif », autres variantes du cliché. Le lieu commun renvoie à une idée banale que les esprits prosaïques font usage abondamment dès lors que l’occasion leur est donnée de s’exprimer. Dans les allocutions officielles, dans les communiqués, dans les conversations, dans les articles de presse… des hommes et des femmes respectables, par manque d’inspiration ou d’originalité, reprennent les mêmes idées, les mêmes phrases avec une constance déconcertante. Par habitude surtout, on cite les mêmes images, les mêmes adages, les mêmes formules. Vous entendrez par exemple des formules comme « la charité bien ordonnées commence par soi-même », « si tu ne fais pas la politique, elle te fera » « derrière un grand homme se cache une grande dame » etc. Les hommes politiques sont, à notre avis, les plus grands utilisateurs de clichés. La plupart étant d’une médiocrité révoltante, les politiciens développent un discours stéréotypé où sont utilisés régulièrement les mêmes termes dont les plus populaires sont « peuple », « révolution » « mobilisation » « démocratie » et que sais-je encore ?
En littérature, l’abus des clichés a de quoi inquiéter les amoureux du Beau. Ils sont si présents qu’on a l’impression qu’ils sont incontournables. Pour faire une description, les écrivains ne font plus d’effort. Des métaphores et des comparaisons toutes faites sont à leur disposition. Ils en font usage sans modération et surtout sans les passer au tamis de la réflexion. Pour « dessiner » un portrait, on refuse de créer de nouvelles images. On préfère puiser dans le « trésor » intarissable des « formules figées » des « prêt-à-penser ». Pour évoquer la beauté d’un homme, par exemple, l’écrivain paresseux écrira simplement « beau comme un dieu » si ce n’est « beau comme Appolon». D’une femme belle, on ne manquera pas d’évoquer « son cou strié » « ses yeux d’amende » ou « sa peau d’ébène », comme si l’on était en panne d’inspiration. Il s’agit en réalité d’un manque d’originalité.
Si Césaire est considéré comme l’un des plus grands poètes de tous les temps et son Cahier comme « le plus grand monument lyrique du XXè siècle » (André Breton), c’est parce qu’il a osé des images qu’on ne retrouve nulle part avant lui, même pas dans la littérature française qui l’a nourri. Comment ne pas s’émouvoir quand le Nègre Fondamental parlant des pieds du nègre du tramway écrit : « Un nègre sans pudeur et ses orteils ricanaient de façon assez puante de la tanière entrebâillée de ses souliers » ?
Les clichés ont l’inconvénient d’entacher l’esprit de créativité de l’écrivain. Ils envahissent son cerveau et souillent ses pages de termes banales  et de formules usées à force d’être utilisés. Certaines images stéréotypées se sont tellement bien incrustées dans les esprits qu’elles s’imposent à l’écrivain comme les seules, disons, des incontournables. Lisez attentivement des romans d’amour, un crayon à la main, et vous serez surpris par le nombre de clichés convoqués. Même s’il n’est pas permis au premier venu de créer des images ou pondre des métaphores, certaines formules à force d’être utilisées finissent par agacer voire à provoquer le rire.
Les clichés doivent être traqués et nettoyés. L’exercice, je l’avoue, n’est pas une sinécure, lorsque, de tout temps l’on a baigné dans cette atmosphère. Pour les nettoyer, l’écrivain doit pouvoir les reconnaitre. Or les repérer dans un texte ou les éliminer est une tâche  extrêmement ardue. Il faut vraiment être attentif et surtout être soucieux d’originalité pour s’en débarrasser.
L’image, nous le disons avec force, est encore plus belle et plus frappante lorsqu’elle sort de l’ordinaire, lorsqu’elle est inattendue. Si nous admirons Senghor c’est parce qu’il est un accoucheur d’images. Ecoutons le poète sérère peindre la femme noire : « Femme noire/ Femme nue/ Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma bouche ». Ecoutons-le encore par la voix de Chaka « dessiner » Nolivé : « Ma négresse blonde d’huile de palme à la taille de plume/ Cuisse de loutre en surprise et de neige du Kilimandjaro/ Seins de rizières mûres… »
L’écrivain est un créateur. Il doit s’efforcer à être créatif, imaginatif, fécond. La littérature pour être dynamique, dans un pays ou une époque, a besoin de se renouveler. Et ce renouvellement se situe surtout dans l’écriture. L’effort, le souci d’originalité, la quête du beau doivent conduire l’écrivain à arpenter des sentiers abrupts, à ouvrir de nouvelles voies, à créer des images.
Macaire Etty

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