L’Essai : L’avenir des idées africaines
Le genre de l’essai connait un boom depuis quelques années en Afrique. Dans tous les pays africains, le genre commence à prendre du volume. Chaque année, le nombre de productions en essai s’accroît de manière exponentielle. Et cela est une bonne chose. Pendant longtemps, il a été insuffisamment exploité. Les premiers balbutiements de la littérature africaine officielle ont été surtout poétiques et narratifs puis dramatiques. La poésie, le roman et le théâtre furent incontestablement les genres par lesquels les plumes noires ont crié et revendiqué leur existence au monde.
L’essai, venu un peu plus tard, est resté un genre « discret » et moins populaire. Pourtant ce genre a toujours été présent dans l’évolution de la littérature africaine. Les « Libertés » de Léopold Sédar Senghor ont commencé leur cycle dès les années 1960. Les intellectuels africains comme Kwamé N’krumah, Hampaté Bâ et Mongo Béti ont produit très tôt d’importants essais. Aujourd’hui, nous en voulons plus, et pour cause. L’essai nous paraît correspondre aux attentes des Africains.
Nous ne nions pas la valeur des autres genres. Loin de là. La poésie et le roman ont pris une part incroyablement active dans la peinture et la compréhension du monde africain. Le théâtre également, du fait qu’il est spectacle, a été un outil majeur dans l’éducation des masses. Césaire le présente d’ailleurs comme la voie, la meilleure, pour édifier les populations là où la majorité est analphabète. Puisque le taux d’alphabétisation continue de grimper, l’essai, bien promu et exploité pourrait participer à « travailler » les mentalités pour une Afrique plus éclairée, plus offensive, plus volontariste. Le continent noir, en effet, offre une kyrielle de sujets en congruence avec ce genre littéraire. Face aux errances des régimes, aux dérives des gouvernants, à l’irresponsabilité de la masse et à la prédation des puissances occidentales, il n’y a pas meilleur livre qu’un essai pour mettre à portée des yeux tous les freins qui empêchent l’Afrique de faire des bonds. Le genre s’y prête merveilleusement.
L’essai, comme nous le savons, est une réflexion sur les grands problèmes existentiels. Et Dieu seul sait que les problèmes de ce type, l’Afrique en a. L’essai refuse la fiction et s’inscrit clairement dans la réalité. L’Africain qui est englué dans cette réalité ne peut en être que sensible. Contrairement aux genres poétiques, narratifs et dramatiques, qui privilégient l’imagination et la symbolisation, l’essai se veut plus ouvert et plus direct. En tant que genre argumentatif, l’essai vise à convaincre le lecteur. Cette caractéristique fait sûrement son efficacité. De plus en plus les intellectuels africains se sont appropriés du genre de l’essai pour mieux interroger toutes les contradictions qui secouent le continent noir. Au Cameroun, par exemple, ce genre connait un essor extraordinaire. Depuis Mongo Béti (Main basse sur le Cameroun), jusqu’à Charles Onana (Côte d’Ivoire : le coup d’Etat) en passant par Achille Mbembé (Critique de la raison nègre), les intellectuels camerounais continuent d’interroger le continent à tous les niveaux. Cette fièvre doit gagner tout le continent. L’essai a l’avantage de toucher des sujets divers. Il donne l’occasion d’arpenter tous les aspects de la vie africaine : la politique, la sociologie, la spiritualité, l’art, la littérature, la sexualité etc. Pour cela, nous souhaitons qu’il transcende le cadre universitaire où il est développé pour étendre son voile sur tous les domaines de la vie. Il est temps de descendre des nuages pour voir le continent noir tel qu’il est, à travers ses charmes et ses laideurs. Et l’essai s’y prête encore mieux.
Macaire Etty