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La littérature a mal à la television

Macaire Etty | | Le Billet

La télévision nationale africaine pourra-t-elle un jour se délester de ses vieux démons ? Les années s’écoulent, bruyamment ou sur la pointe des pieds, mais notre télévision loin de progresser déchoit. S’il y a une palme qu’on peut lui décerner c’est de faire la part belle à la politique. Mais quelle politique ? La politique politicienne avec en guest-star les chefs d’Etat, les « bagnons », les élus, les modèles, les seuls à nous imposer. Ils savent tout, ils veillent sur notre bonheur. Et le plus intéressant est qu’à chaque pouvoir ses zélateurs encenseurs. Ils n’ont de talent que pour faire à longueur de journée le culte de la personnalité. Profitant d’un passage éclair fut- il à l’heure de grande écoute au journal de 20h réservé presqu’exclusivement à la politique, on dirait même à l’agenda du chef de l’état et du gouvernement, la culture négocie ou tenter d’arracher un passage emprunté en toute légitimité à la politique.
Farder le prince, réciter des litanies élogieuses à nos chefs. Politique, politique et politique.

Fade refrain ! Insipide rengaine ! Comme s’il n’y avait que cela. Si la politique pouvait sauver l’Afrique, nous aurions tous déjà été au paradis du développement et de la liberté. Or il n’y a pas que la politique. Il y a aussi et surtout la culture. Mais qu’appelle-t-on culture dans un pays déculturé ? La culture se résume pour nos télévisions nationales en une overdose de musique désincarnée où les cris épileptiques se confondent avec des guitares torturées. Notre télévision n’a pas de coeur à faire battre, d’esprit à nourrir…non ! Point de peinture, point de théâtre, point de littérature. Aucune émission littéraire digne de ce nom pour étancher la soif de lumières des Africains. De temps en temps par acquit de conscience, on invite un écrivain pour lui arracher quelques mots sur son livre. Le plus émouvant est que ces échanges ont lieu à l’heure de grande écoute : en Côte d’Ivoire c’est au journal de 20 heures. Mais à quoi sommes-nous réduits à écouter ? Des questions médiocres et mécaniques auxquelles l’écrivain invité répond sans enthousiasme. Lorsque le journaliste intervieweur n’a pas lu l’oeuvre, qu’attend-t-on comme question ? Si ce n’est « de quoi parle ton livre ? » Pathétique simplement. Un pays qui a connu la guerre et qui traverse une crise qui semble ne jamais expirer comme la Côte d’Ivoire a besoin d’espoir, de lumières. Et c’est là que l’écrivain et le poète, doivent être entendus. Investi d’un pouvoir divin, le poète ou l’artiste est l’intermédiaire entre Dieu et les hommes. Inspiré par le Créateur lui-même, il saura dire le mot qui guérit. Sa parole arrose les coeurs séchés et tarit les rancoeurs. Ses écrits expliqués, démystifiés, débattus nourrissent les esprits. Le peuple blessé saura trouver le remède à son mal. Eclairé par les lettres son coeur se bonifie et son âme se purifie. « Quand la douleur est indicible, on appelle le poète » écrit le Pr. Sery Bailly. Le peuple ivoirien a besoin davantage de lumières que de promesses apoliticiennes de princes déifiés, d’adversaires diabolisés, de zélateurs infatigables. La Rti doit comprendre par ce cri de coeur qu’elle doit se doter d’une véritable plage horaire consacrée aux lettres. C’est la politique qui a brûlé le pays. Mais comme pris par un relent masochiste c’est la politique qu’on sert au peuple. Après avoir servi à forte dose la politique, servons à notre jeunesse les livres à petite dose mais régulièrement. Après une décennie nous verrons si elle ne s’est pas améliorée. A moins que l’abêtissement du peuple en vue de son exploitation n’est la véritable feuille de route des télévisions publiques africaines.

Par Macaire Etty