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La poésie, c’est quoi ?

Macaire Etty | | Le Billet

Macaire EttyCette question « Tonton, la poésie c’est quoi ? » m’a été posée par un turbulent collégien, de niveau troisième. C’était un de ces garnements doués, un de ces curieux, qui prennent plaisir à déranger les aînés par des questions de ce genre. Des questions embarrassantes qui n’offrent souvent pas le moindre bout par le quel commencer. Qu’est-ce que la poésie ? Mais qui suis-je pour répondre à une question qui depuis des siècles défie la sagacité de nos doctes ? Les exégètes et autres « éplucheurs » des genres continuent de se ronger les méninges pour cerner la question et offrir une réponse acceptable ou consensuelle aux apprenants. L’exercice est périlleux : trouver une réponse définitive, finie à une problématique littéraire est un leurre.

Alors au jeune homme, j’ai offert un sourire embarrassé avant de dire : « La poésie est un mot difficile à définir. Retiens simplement qu’il s’agit d’un langage plus beau que tous les langages qui existent sur terre ». Nous nous sommes séparés sur cette phrase mienne. Il s’en est allé, l’air content. Eh bien moi, j’étais partagé entre un chapelet de sentiments. Pas contradictoires mais étranges. La question m’avait hanté toute la journée et même rejoint dans mon alcôve.

Qu’est-ce que la poésie ? Je me suis reposé la question, encore et encore. J’ai dû repasser en revue des bribes de définitions lues ici et là, ou, à nous ressassées par nos enseignants du secondaire et du supérieur. Le malaise qui m’a habité durant des jours m’a révélé que la poésie ne peut se définir de façon satisfaisante. Insaisissable, dynamique, fluide, libre, capricieuse, la poésie s’est toujours refusée de se laisser encager dans la geôle des définitions figées. Les uns vous jureront que la poésie est une danse voire une transe de mots. Et que c’est dans les mots, précisément, dans le jeu combinatoire des mots qu’elle trouve son sens. Les uns se dressant, insatisfaits, vous ordonneront de n’écouter que la mélodie et la musique comme marques focales d’un texte poétique. Florilège d’images, de figures de style ou rythme sublime, disposition typographique ou quête d’harmonie, la poésie est à la fois tout cela et rien de tout cela.

 Du moyen-âge à nos jours, l’expression poétique a toujours voulu rester dans cette atmosphère floue, fuyante et évasive pour mieux se faire désirer. Les classiques qui se sont donnés le droit de dresser des cadastres ont été « ridiculisés » par les romantiques pour qui « le bonnet rouge » a été mis au « vieux dictionnaire ». Victor Hugo goguenard écrivait : « J’ai foulé le bon goût et l’ancien vers français sous mes pieds » (In Les Contemplations). Les Parnassiens, audacieux, refusent l’idée romantique selon laquelle est effusion lyrique. Ils réduisent l’activité poétique aux jeux de mots, au beau et lui refusent une quelconque fonction sociale. Jeu, la poésie l’est. Cependant ils n’ont pas tort ceux qui donnent force au contenu.

Si malgré les « mirages » et les « miracles » qu’offrent les siècles, la poésie continue de marcher comme une princesse sur la voie royale de la littérature, c’est parce que justement, elle tient à sa liberté.

Ah, si je pouvais rattraper cet enfant embarrassant, je lui aurais dit simplement que la poésie n’est rien d’autre que la quête du beau. Même en défiant les codes, le poète a pour unique préoccupation de plaire. Même les poètes révolutionnaires, qui utilisent la littérature comme une arme, cherchent par les mots à séduire leurs « ouailles ». Je sais que la réponse est partielle mais au moins j’aurais mis dans l’esprit de  notre « curieux savant » que la poésie est recherche libre et libérée du beau.

Qu’est-ce que la poésie ? En réalité, moi-même, je ne sais pas ? Laissons le genre dans sa configuration de « fille capricieuse » et continuons de poursuivre la tradition orphique et la quête acharnée de la séduction. Séduire, enchanter, plaire pour atténuer la laideur ambiante. Par des mots. Par le rythme. Par la mélodie. Par les images brillantes.

Macaire Etty