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Portrait : Aminata Traoré L’heure de la riposte

Roger Soumahoro | | Evènements

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Le 8 juin 1997, Alpha Oumar Konaré est réélu Président du Mali pour un second et dernier mandat de cinq ans. Le pays connaît quelques agitations car la marche vers la démocratie a été émaillée de bruits de bottes. En dépit du score dithyrambique de 96% des voix qu’enregistre le candidat « unique », il n’en est pas moins affaibli à cause du boycott de l’opposition suite à des élections législatives bâclées un mois plus tôt et à une organisation fortement critiquée. Cette opposition refuse désormais de participer au gouvernement. Afin de relever son image ainsi malmenée et relancer l’activité gouvernementale de son pays, Konaré voit dans l’arrivée de nouveaux cadres au gouvernement le souffle salvateur. Il fait alors appel de nouvelles personnalités au nombre desquelles une femme qui allait faire parler d’elle : Aminata Dramane Traoré.

À cette époque, cette dame imposante à la carrure impressionnante ne passe pas inaperçu, loin de là. D’ailleurs, elle n’est pas une inconnue au Mali puisque, profitant de son expérience dans la promotion du rôle des femmes, elle s’était déjà signalée sur le terrain des actions collectives. Aussi, est-ce avec une aise certaine qu’elle répond présent lorsque le Président Konaré lui propose le portefeuille de la Culture et du Tourisme. Car la bonne dame a la culture dans la peau : elle est essayiste et jouera même un rôle sur le grand écran aux côté de Dany Glover dans « Bamako », réalisé par Abderrahmane Sissoko où elle joue son propre rôle !

Né en 1947 à Bamako, Mali, d’une famille modeste de douze enfants, Aminata Traoré fréquente l’école Maginot avant d’embarquer pour la France où elle étudie à l’université de Caen. Elle est titulaire d’un doctorat de 3e cycle en psychologie sociale et d’un diplôme de psychopathologie. Elle arrive en Côte d’Ivoire en 1963 pour rendre visite à une de ses sœurs mariée dans ce pays. Elle y rencontre son futur mari décide d’y revenir pour s’installer. Chercheuse en Sciences Sociales, elle a enseigné à l’institut d’ethnosociologie de l’université d’Abidjan de 1975 à 1988, puis est détachée auprès du ministre de la Condition féminine de Côte d’Ivoire. Elle travaille ensuite pour plusieurs organisations régionales et internationales, et se fait la voix des femmes et des communautés défavorisées. Ce qui lui permet de se forger une réputation à l’échelle internationale. Celle qui pense fermement que les femmes ont leur mot à dire dans le développement de l’Afrique est elle-même un exemple de travailleuse acharnée. Car, en plus de ses nombreuses obligations ci-dessus citées, elle est chef d’entreprise et peintre à ses heures perdues !

Trois années après son entrée au gouvernement Aminata claque la porte — qui en résonne encore ! Tel un gros poisson dans un petit aquarium, elle étouffe déjà et veut prendre de l’air pour retrouver sa liberté de parole. Dès lors, elle se consacre plus à son restaurant-galerie le San Toro et d’une maison d’hôtes Le Djenné, construite avec des matériaux locaux…

« Black Bové », comme on l’appellera bientôt, s’est engagée dans le combat contre le libéralisme, qu’elle considère comme responsable du maintien de la pauvreté au Mali et en Afrique en general. Elle s’explique : “L’éveil des consciences des Africains et des Africaines, l’organisation de la résistance à la mondialisation néolibérale et la quête d’alternatives à la soumission de nos Etats aux nations riches et aux institutions internationales de financement.” La militante altermondialiste souhaite en effet que les États africains cessent de suivre les injonctions des pays occidentaux qui se traduisent par « les plans et programmes des banquiers internationaux et des grandes puissances du Nord » et qui conduisent à la pauvreté des populations et engendre les phénomènes de violence et l’émigration vers l’Europe d’une grande partie de la jeunesse désabusée. Elle demande aux gouvernants africains de réagir face au néocolonialisme.

Aminata Dramane Traoré a pris position en faveur du président Zimbabwéen Robert Mugabé dans la gestion de son pays, considérant que ce qu’on reproche au dictateur (la faillite de l’économie, le non-respect des droits de l’Homme, l’appauvrissement de la population) serait dû en grande partie à la politique menée par l’ancienne puissance coloniale, le Royaume Uni et au non-respect de des engagements. Et renvoi les « donneurs de leçons », c’est à dire les pays occidentaux, à leur propre manquement (guerre contre l’Irak, crise économique, politique migratoire…)

Publications
En 1999, elle publie l’Étau, un essai dénonçant la politique des institutions de Bretton Woods (Fonds monétaire international, Banque mondiale) qui imposent la mise en place de plans d’ajustement structurel qui ne font qu’appauvrir les populations africaines.
En 2002, dans le Viol de l’imaginaire, elle dénonce les mécanismes privant l’Afrique de ses ressources financières, naturelles et humaines.
En 2005, elle publie une Lettre au président des Français à propos de la Côte-d’Ivoire et de l’Afrique en général où elle analyse les crises africaines dans le « pré carré français » à la lumière de la mondialisation libérale.
En 2008, elle publie l’Afrique humiliée où elle critique vivement le discours jugé raciste et néocolonialiste de Nicolas Sarkozy à Dakar en juillet 2007.
Article détaillé : Discours de Dakar.

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