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Interview de Félicité Annick Foungbé, Auteur de « La Légende de Manlé »

Macaire Etty | | Evènements
Elle a publié chez les Editions Balafons une œuvre littéraire intitulée « La Légende de Manlé ». Elle s’appelle Félicité Annick Foungbé et est originaire de l’ouest montagneux de la Côte d’Ivoire. Diplômée de l’UFR Langues, Littératures et Civilisations de l’Université Félix Houphouët Boigny, notre écrivaine est professeure d’Anglais, Réalisatrice Cinéma et analyste sur Libre Afrique.org.  A nos interrogations au sujet de son livre, elle a répondu avec une habileté séduisante. Entrevue.
 
En lisant votre roman, on remarque tout de suite que vous n’êtes pas à votre premier ouvrage…n’est-ce pas?
Non, je n’en suis pas à mon premier ouvrage, comme vous le soulignez si bien. J’ai publié en 2003, Terrible Secret chez NEI, dans la collection ADORAS, puis Le Treizième Apôtre Chez L’Harmattan en 2009, un titre qui vient d’ailleurs d’être republié aux éditions Vallesse, grâce à un partenariat avec l’Institut Français. Mon dernier-né vient tout juste de paraître chez Edilivre en France, et il s’intitule Probo Koala, Mémoires Putrides.
Du premier jusqu’à ce livre (La Légende de Manlé), pensez-vous qu’il y au une évolution dans votre écriture?
Je pense en effet, que ma plume a connu une nette évolution. D’abord, parce qu’il y a eu un changement au niveau du style. Je me suis essayée au roman d’époque, de terroir, et en toute honnêteté, le résultat est allé bien au-delà de mes espérances. Ainsi, informé de la parution de La légende de Manlé, Monsieur Gérard Raynal Directeur de la Collection Romans de Terroirs aux éditions TDO en France, dira:  » Nous espérons que votre beau roman aura tout le succès qu’il mérite. » Ce ne sont pas des propos en l’air, pour qui connaît l’envergure de cet éminent homme des lettres.
J’ai commencé ma carrière d’écrivain, par une œuvre à l’eau de rose, Terrible Secret, pour ensuite toucher du doigt avec le Treizième Apôtre, une problématique sociétale et religieuse liée à la floraison des sectes chrétiennes, et là encore ce fut un coup de Maître.  La préface du Révérend Père Jean Sinsin Bayo et  la reprise de la publication par Vallesse éditions en sont un témoignage bien expressif.
Je m’essaie en ce moment au thriller, ça me donne parfois des élancements (rires), mais bon, telle est ma passion. Par ailleurs, j’entrevois très sincèrement, une version cinématographique de Manlé qui restera incontestablement l’un de mes chefs d’œuvres.
 
Votre œuvre est un roman selon ce qui est inscrit sur la couverture. Mais le titre parle de « La Légende de Manlé ». Alors s’agit-il d’un roman ou d’une légende?
 Il s’agit d’une œuvre romancée qui s’inspire d’une très belle légende se rattachant à l’histoire du peuple Dan. Le roman s’inspire d’une histoire vraie, mais qui a forcément subie certaines mutations au gré du temps et de la tradition orale.
Alors, quelle est la part ou l’apport de l’artiste dans cette légende douloureuse?
L’auteur se veut le porte-voix d’un pan incontournable de la culture Dan qui pourrait à la longue sombrer dans l’oubli; ceci étant malheureusement un inconvénient majeur de la tradition orale. L’apport de l’artiste a consisté à construire une trame intéressante, à partir d’un bout de légende, s’évertuer à trouver les mots justes pour toucher l’âme et la sensibilité du lecteur, et je pense honnêtement avoir atteint mon objectif.
La séquence la plus importante de l’œuvre qui est l’annonce de la nécessité du sacrifice de la princesse Manlé et son exécution n’apparaît qu’au chapitre 13 dans un roman composé de 14 chapitres. 12 chapitres racontent la naissance et la vie de Manlé, et seulement 2 chapitres pour nous plonger au cœur de la tragédie…Pourquoi un tel déséquilibre?
A mon sens, ce n’est pas un déséquilibre, c’est le reflet de notre réalité en tant qu’être animé, étant donné qu’on a toute une vie, de longues années pour se construire, suite à tout un processus mystérieux de conception et de vie utérine, quand toutefois, la machine parfaitement huilée en apparence, se détraque et s’enraye de manière irréversible, parfois en une poignée de secondes. Il ne fallait pas non plus pousser un certain sadisme ou machisme, c’est selon, à prolonger la séquence la plus triste. J’ai voulu d’abord intéresser le lecteur au charme de cette jeune vie sacrifiée, pour lui faire intégrer toute la dimension de la tragédie, et je pense avoir réussi mon pari.
Je comprends…Mais le sacrifice de l’être cher pour le salut du peuple n’est pas nouveau dans l’histoire et la littérature. Je pense à ceux du fils de la Reine Pokou et de Nolivé la fiancée de Chaka. Quelles leçons peut-on tirer de celui de Manlé ?
 Vous avez certainement raison, mais jamais auparavant, la littérature n’avait fait mention de notre jeune Manlé, tout aussi digne d’intérêt. Dans son cas particulier, il faut simplement garder à l’esprit que l’exercice du pouvoir, n’aura jamais été une chose aisée, quelque soit l’envergure du royaume. Je pense en outre que la notion de don de soi varie selon les époques ou les régents.
Pourquoi le notable du roi s’est-il senti d’éliminer Gatomou l’élue du cœur de la princesse Manlé?
 Gatomou constituait simplement un obstacle à lever, quant à l’accomplissement du sacrifice voulu par les dieux; lui seul aurait peut-être pu alerter la princesse ou même lui sauver la vie.
 L’amour filial profond que le roi Louty éprouvait pour sa fille semble n’avoir pas plu aux dieux. Est-ce ce « péché » qui est à l’origine de la tragédie?
Je ne saurais prétendre parler à la place des dieux. Je pense qu’ils lui ont réclamé ce qu’il avait de plus cher, preuve que rien ne vaut la vie humaine, ceci reflète en outre le caractère sacré, voire divin de l’amour.
 La fin de l’œuvre avec la grande pluie qui s’abat sur le royaume revêt une signification particulière, n’est-ce pas?
Tout à fait, c’est le signe patent de l’accomplissement de la promesse, la pluie étant dans la plupart des traditions, perçue comme un signal de la faveur des dieux. Il me vient à l’esprit que toute cérémonie importante devait être accompagnée de pluie.
 
L’image de l’épouse à travers le personnage de  Saty me semble quand même féroce Félicité Foungbé…
 Il semble que vous ayez une image un peu bucolique de la rivalité que peuvent se livrer des femmes en termes de polygamie. Non, l’image de la reine Saty n’est pas du tout féroce. Elle incarne un esprit de règne absolu et de pouvoir sans partage, c’est surtout cela. En outre, un simple coup d’œil aux rubriques de faits divers dans nos journaux permet d’être édifié sur le sujet. La jalousie et la rivalité conduisent effectivement à des excès comme le meurtre. Certaines femmes useront de sortilèges ou d’empoisonnement pour éliminer une rivale qui leur ferait de l’ombre. Alors, non mon cher Macaire, l’image de la reine Saty n’est point exagérée.
Vous évoquez le phénomène de l’excision dans votre œuvre de façon presque neutre. Faut-il en conclure que vous ne la condamnez pas?
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’au départ, il s’agissait d’une pratique culturelle. Il n’y avait donc pas les avancées de la médecine moderne pour attirer l’attention sur les risques encourus. On ne peut donc pas porter le même regard sur une époque assez reculée. Voilà pourquoi il est important de bien choisir ses mots pour sensibiliser au mieux nos parents. Toutefois, il y a un tout petit bout de phrase, en l’occurrence, « C’est qu’au cours de ladite épreuve, la mort rode sans arrêt » Premier paragraphe du chapitre 11, Page 125, c’est une manière subtile de condamner la pratique; étant donné que le faire avec des mots crus entacherait forcément la beauté et la cohérence du récit. Si vous l’avez remarqué, la priorité est donnée aux personnages, l’auteur se cantonnant à un rôle purement narratif, sauf pour épiloguer. En outre, je publie d’ici peu, une œuvre intitulée Noces ensanglantées qui fustige justement les Mutilations Génitales Féminines ; alors non, je n’ai jamais été une adepte de l’excision.
 Et voici la question inévitable que je pose à tous les écrivains que j’interviewe: pourquoi doit-on lire La Légende de Manlé?
Je crois honnêtement que vous avez vous-même répondu à cette interrogation, au regard de la qualité de votre analyse, et de la pertinence de vos questions. Etablir un parallèle entre Manlé et Abla Pokou ou même Chaka, est la preuve incontestable qu’il s’agit d’un cru littéraire qui mérite toute l’attention de nos chers lecteurs. J’en suis profondément honorée. Je vous remercie, mon cher Macaire ETTY pour cette interview d’une grande qualité ; ce fut un réel plaisir de me prêter au jeu de vos questions… Merci de l’intérêt que vous avez manifesté à La légende de Manlé. Je salue votre expertise de brillant critique littéraire.
Interview réalisée par Macaire Etty