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Enquete express : Dans La filière des voitures d’occasion

Abissiri Fofana | | Evènements

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A Abidjan, on appelle cela les « France au revoir » car souvent ce sont des voitures que les  expatriés qui rentrent en Europe, revendent, mais aussi parce que ce sont des voitures de seconde main. Le mois dernier, nous avons suivi la filière de ces voitures d’occasion que l’on achète ici au prix de quelques millier d’euros, pour les revendre dans les capitales africaines.

Fin de matinée, un ciel bas et gris m’accompagne dans la rue des allemands, une rue du vieux  Metz. J’ai rendez-vous avec Yaguy chez «  Godet » le nouveau lieu de rencontre des africains de Metz. Yaguy est un douanier gabonais qui est en formation en France depuis un an et qui est devenu mon compagnon de virées. Je le trouve flanqué d’un autre de ses compatriotes qu’il me présente comme son frère du prénom d’Yvan.

Après deux petites Guinness , la tablée se déride. « Yvan est là pour acheter des voitures. Il est hommes d’affaires à Libreville : « il voudrait que tu l’accompagnes pour trouver des voitures de marques japonaises, vu que tu connais la région » confie Yaguy .  « je ne  suis  pas   un athlète de l’argent. Mais… » je pense en mon for intérieur. Mais comme cela me fait une belle balade en Lorraine et en Belgique, je finis par dire oui.

Après des recherches sur la toile toute la nuit,  pour trouver des voitures d’occasion dans les prix Yvan, nous voici, le lendemain à Pagny –sur-Moselle, à une trentaine de kilomètres de Metz. Dans un quartier résidentiel, nous essayons une Toyota Avensis. La voiture semble faire plaisir à tout le monde. On ne marchande pas longtemps. Le prix de départ est de trois mille euros, nous proposons  deux mille huit cent. L’affaire est conclue. Puis, le cap est mis sur Saint-Nicolas- du- Port, une petite bourgade près de Nancy. Ici, il est un peu difficile de trouver le vendeur. Après deux coups de fil, nous finissons par nous rencontrer. La transaction est des plus charmante ! L’homme, un retraité vit dans une belle villa avec sa femme et nous fait «  ausculter » la bagnole, il demande même si l’un d’entre nous veut faire un essai en la conduisant. Yvan en bon connaisseur décline l’offre, le seul bruit du moteur a suffi à le convaincre que c’est une bonne affaire. Le retraité nous invite alors dans sa maison et nous propose une collation en attendant de passer à la douloureuse. «  Trois mille deux cent euros » dit le vieil homme et d’ajouter, je viens de faire des réparations il y a seulement deux jours, elle est comme neuve, pour une voiture qui date de 2004 ». De fait, les documents qu’il présente atteste de la véracité de ses propos.

Yvan me regarde d’un air bizarre. Et moi vrai bleu en achat de voitures, je me dis, «  c’est trop pour lui, il va me foutre la honte, le frère » !  Que nenni ! il jure juste « Santa maria ! » et sors son portefeuille de la poche arrière et compte des billets vert de cent euros à en plus finir. Nous sommes en pleine période du premier tour des élections présidentielles en France.

C’est donc sous une fine pluie que nous quittons le retraité pour regagner Metz notre base : lui le sourire aux lèvres comptant ses sous, et nous ravis d’avoir en si peu de temps rondement mené notre affaire. Il est 19h et des poussières !

Le jour d’après, Yagui me téléphone à 8h du matin pour me dire qu’il nous faut aller dans les Vosges à Saint-Dié pour une autre voiture. Un endroit où je n’ai jamais été . Même si du temps où je vivais en Alsace, j’apercevais le panneau signalétique indiquant cette ville, lorsque j’empruntais l’autoroute. A Saint-Dié, la transaction se fait sur un parking de supermarché. Le propriétaire de la Toyota est un barbu. Soupçonneux, je prétends que je vais à la station service prendre du carburant pendant que les deux gabonais traitent l’affaire. Des fois où cette histoire de « France au revoir est une nègrerie » …

Deux jours de repos. Et, tous les trois nous nous mettons en quête d’une maison d’assurance afin de pouvoir expédier les voitures au Gabon via Bruxelles. Durant toute une journée nous avons cherché des assureurs qui faisaient des assurances provisoires pour l’expédition des voitures à l’étranger. Et surtout pour ne pas laisser nos acquisitions sur la voie publique en France sans assurance. Ici , on nous répond : « on ne fait pas ce type d’assurance ! Là, on nous conseille d’aller à telle adresse. De quoi vous mettre le moral dans les chaussettes. Mais nous sommes des guerriers ! Yagui, qui en fait s’appelle Guy-Roger, je vous l’ai dit est douanier . « Yagui » signifie grand –frère Guy, dans une des nombreuses langues du Gabon, Yvan homme d’affaires chevronné est toujours entre deux avions, pour acquérir des voitures à New-York, à Berlin, à Paris… et votre serviteur  bourlingueur devant l’éternel et Belzebuth. Bref, nous finissons par trouver une assurance qui nous fait un abattement de quinze euros. Pour les trois Toyota de la même marque, Yvan débourse trois cent euros.

Le lendemain, nous appareillons pour Bruxelles. Tous les trois,  chacun au volant d’une des voitures de couleur blanche.
La route est droite et rectiligne. Il pleut sur Metz en ce début du mois de mai. Deux semaines auparavant, les français ont donné au premier tour des élections : 28,63 pour cent au socialiste François Holland et à Nicolas Sarkozy, le président sortant qu’ils tenaient pour quelqu’un de « bling, bling » 27,18 pour cent de leurs voix.  Au volant de la Toyota, j’ai la conviction que le « bling » prendra fin au second tour. Mais je passe rapidement à autre chose. Je surveille le compteur. J’oscille entre 120 et 130 km/h, l’œil rivé au rétroviseur pour voir si les « guerriers du France au revoir » suivent la cadence. Yvan suit, Yagui est un peu à la traîne. Deux heures et demies plus tard nous voilà à Bruxelles.

Dans la capitale du plat pays, les choses se compliquent.  De fait, comptant sur la rigueur d’Yvan, je me suis dit qu’il savait où nous allions déposer les voitures. Mais à ma grande surprise, il a fallu appeler une dizaine de fois le transitaire chez « Karim » pour nous indiquer le chemin : rue Heyvaert. Après une pause café dans une bistrot pour prendre des renseignements, mais en réalité pour me calmer moi, nous avons pris le chemin. Mais un malheur n’arrivant jamais seul, la durite  de la voiture que je conduisais à péter.  Le temps de me garer dans une station à proximité, j’emprunte un taxi suivi d’Yvan au volant de sa voiture. Yagui ayant  disparu. Il connaissait très bien la rue que nous recherchions pour y avoir habité en 1998 au cours d’un stage !vraiment ce mec ! pffff !

Vingt minutes de routes sinueuses, de tunnels sombres, et de ronds points coupe-gorge. Voici la rue Heyvaert.  Cela ressemble à une cours des miracles. Une foule de personnes ; noires essentiellement, passe, arborant des tenues colorées, sur les trottoirs,  des étals de marchandises africaines supposées exotiques, allant de la banane plantain au manioc. Et puis le plus frappant, c’est le bruit des klaxons, mais surtout, les langues africaines allant du yoruba au lingala en passant par la langue bété.
« Santa Maria » ! jure une fois encore Yvan. En mon for intérieur, je crie «  Belzebuth sors de cette rue ! » tellement le désordre est à la fois succulent et repoussant !Là, une femme adipeuse rit aux éclats le téléphone portable à l’oreille. Ici, un maigrichon pousse un diable surchargé ! derrière, le vrombissement d’un moteur turbo, oblige un passant à se mettre à l’abri sur le trottoir. Plus loin, des individus à la mine pas du tout engageante font le pied de grue, à l’affût de quelques affaires louches.  Tout cela dans une cacophonie superbe.

Dans, les bureaux de « Karim », c’est pas mieux. Celui-ci est venu pour s’enquérir de la voiture qu’il a expédié à Lagos  deux mois auparavant : « vous aviez payé le fret » ? lui demande une belle brune de type méditerranéen. « oui, vous m’aviez dit que la voiture arriverait à la fin du mois mais là ça fait deux mois ». Tel autre est là pour envoyer un 4×4 flambant neuf à Abidjan. Dans cette cohue nous jouons des coudes pour arriver au guichet. Un jeune homme, certainement le frère de la fille brune remet un formulaire à Yvan et lui lance « pour chacune des voitures c’est 750 euros , si vous avez un 4×4, c’est 850, sinon les voitures ne montent pas sur le bateau à Anvers ». une fois à l’écart, Yvan remplit les formulaires des trois voitures et rejoue des coudes pour se retrouver au guichet afin de payer. Puis , explique que lui des voitures est en panne et que nous devons retourner la chercher après avoir trouvé un mécanicien. Mais avant, il nous faut quelqu’un pour enlever les façades des deux voitures déjà présentes. Quelqu’un donne de la voix :  « Aziz tu peux voir cela avec eux ? »  Sur ces entrefaites, arrive un beau jeune homme musclé, flanqué d’un autre aux cheveux ébouriffés, « de la graine de racaille ! » je songe. Ils parlent une langue qui me rappelle que dans une vie antérieure, j’avais une ex yorouba.  Bien que ma connaissance de cette langue, soit des plus hésitante et approximative, je lance un « kilodé » histoire de briser la glace. Un sourire apparait sur le visage des deux africains. Ils sont d’accord pour enlever les rétroviseurs, les autos-radio et autres bidules de l’intérieur des voitures pour ne pas qu’ils disparaissent une fois au Gabon. Mais c’est « 70 euros » signale Aziz. S’ensuit un marchandage dont seuls les africains ont le secret. «  N’étais-je pas leur beau-frère ? »  « depuis quand des frères se volaient entre eux ? » et patati et patata…Aziz finit par accepter 40 euros.

Un taxi, nous ramène Yvan et moi chercher la bagnole restée à la station service, pendant que Yagui supervise l’enlèvement des façades. Nous n’avons trouvé aucun mécano, aussi nous avons bricolé avec du scotch la durite percée et nous sommes revenus à temps pour  livrer la voiture avant la fermeture des bureaux de « Karim » à 19heures.  C’est au pas de course que nous avons rejoint la gare de train de Bruxelles –midi, pour sauter dans le dernier train en partance pour le Luxembourg. En arrivant à Luxembourg, il était 1h du matin, c’est donc en taxi que nous avons regagné Metz.  Deux jours après, Yvan et moi sommes partis en Alsace à Hœnheim, pour faire l’acquisition d’une BMW, le lendemain nous sommes encore retournés en Belgique pour le mettre sur le bateau. Yvan est reparti pour Libreville, le 16 mai dernier avec les façades, il compte revendre chacune des voitures, au moins six mille euros. Il m’a téléphoné pour dire que les voitures devraient arriver à la mi-juin ou à la fin du mois .

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