Bénin : Quand on renverse une chaise vide, c’est que le système vacille

On aurait pu rire de cette tentative de coup d’État au Bénin, si elle n’était pas aussi grave.
Un président qui ne se représente pas. Une transition annoncée. Et malgré cela, des soldats qui sortent de l’ombre pour proclamer la chute d’un pouvoir déjà en partance. À première vue, l’histoire ressemble à une farce absurde : renverser une chaise vide, faire trembler un palais qui s’apprêtait à se vider, provoquer une crise quand personne ne se battait pour garder le trône.
Mais ceux qui se moquent ratent l’essentiel. Ce coup d’État manqué n’était pas dirigé contre un homme. Il visait un système. Car la vraie cible n’était pas Patrice Talon, mais cette démocratie devenue rigide, verrouillée, méfiante à l’égard de ses propres citoyens. Des élections sans enthousiasme. Une opposition laminée. Des institutions perçues comme fermées. Et une armée sous pression, envoyée au front contre l’insécurité pendant que ses frustrations s’accumulent en silence.
La chaise n’était pas vide : elle était déjà fissurée.
Ce que révèle cette tentative, c’est une fracture dangereuse entre le pouvoir civil et une partie de ses forces armées. Un fossé nourri par le sentiment d’abandon des soldats au nord du pays, à la veille jihadiste ; par l’impression que les sacrifices ne sont pas reconnus, que les carrières sont bloquées, que les doléances sont ignorées. Lorsque la parole institutionnelle est perçue comme inutile, certains — à tort — choisissent la voie des armes.
Et là réside la tragédie : le putsch est toujours l’aveu d’un échec du dialogue, jamais une solution.
Mais l’autre illusion serait de croire que ces militaires n’étaient que de simples aventuriers en quête de pouvoir. Dans toute l’Afrique de l’Ouest, le récit de la “refondation nationale” se nourrit des mêmes ingrédients : défiance envers les partis, fatigue démocratique, sentiment que les élections ne changent plus grand-chose au quotidien.
Quand la politique n’offre plus d’espoir, le coup d’État prétend offrir une réponse brutale — mensongère — à une attente populaire.
Pourtant, l’Histoire est formelle : on ne répare pas une démocratie en la piétinant.
On ne restaure pas l’État de droit en suspendant la loi.
On ne défend pas le peuple par des putschs télévisés.
La tentative béninoise, rapidement étouffée, ne mènera à aucune “refondation”. Elle laisse simplement derrière elle des tensions, des arrestations, et une image ternie d’un pays longtemps considéré comme un modèle de stabilité démocratique.
Mais se contenter de condamner les militaires serait trop facile.
La vraie question demeure :
Pourquoi une telle idée a-t-elle pu sembler légitime à certains ?
Parce que la démocratie ne survit pas aux faux-semblants. Parce qu’un système électoral perçu comme fermé perd sa crédibilité. Parce qu’un pouvoir qui gouverne sans consensus devient sourd à la colère qui monte — jusqu’au moment où elle explose sous une forme incontrôlable.
Le coup d’État béninois n’est pas une anomalie : c’est un symptôme.
Un symptôme de fatigue démocratique.
Un symptôme de défiance sociale.
Un symptôme d’un État perçu comme lointain, parfois autoritaire, souvent indifférent.
À la place des chars, il fallait ouvrir des débats.
À la place de la force, il fallait rétablir la confiance.
À la place des proclamations musclées, il fallait réparer la démocratie — patiemment, honnêtement.
Le vrai danger n’était pas cette poignée de militaires.
Le vrai danger est cette conviction sourde que les institutions ne répondent plus aux citoyens.
Tant que cette fracture ne sera pas résorbée, les chaises continueront de trembler —
qu’elles soient occupées…
ou déjà vides.
Firmin Koto
Mots-clefs : tentative de coup d’État au Bénin