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Ecole de danse et d’échange culturel (EDEC) L’EDEC de Guiraud est dans la tourmente

Didier Kore | | Danses

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Dossier : Le mois d’avril 2008 qui s’annonce marquera les dix années d’absence en terre ivoirienne de Marie Rose Guiraud, fondatrice de l’école de danse et d’échange culturel (EDEC). Dix années au cours desquelles, apprenants et instructeurs de cette académie ont réappris à vivre en comptant sur leurs propres moyens.

Au détour d’une promenade, le visiteur qui foulera pour la première fois les installations de l’école de danse et d’échanges culturels (EDEC), situé à Cocody (Riviéra Palmeraie) sera à coup sûr frappé par les deux architectures qui la composent. Etendue sur une superficie de 7272 mètre carré, l’EDEC se présente à vous dans une première architecture qui fait penser aux villages de l’ouest montagneux de la Côte d’Ivoire. Ce, «pour créer le paysage du village en pleine ville», explique M. Guillaume Gohi Djékou Gadji, directeur de l’EDEC et manager des «Guirivoires». Sept (7) cases rondes en toit de chaume au total. La plus grande est composée de plus de cent (100) places et sert de salle de spectacle. Toitures décoiffées et portes entrouvertes, un tel décor ne manque pas d’aiguiser la curiosité des visiteurs. Qui, pour la plupart errent en ces lieux par pur égarement. L’autre logement de type moderne avec des salles de danse respectant les normes internationales redonne quant à lui de l’espoir aux 69 pensionnaires de l’établissement. Le grand bâtiment rénové par une maison de téléphonie mobile quant à lui comprend 6 grandes salles de danse dont l’une abrite le musée de l’école.

Après une formation réussie en danse et chorégraphie en France de 1969 à 1972, Rose Marie Guiraud a eu pour premier réflexe de s’y installer. Sous la houlette du premier président de la République de Côte d’Ivoire, feu Félix Houphouët Boigny, elle s’est très vite ravisée. Débute ainsi en 1973, la nouvelle aventure de Rose Marie Guiraud en compagnie des enseignants expatriés et d’autres élèves du lycée classique d’Abidjan. Un noyau puissant appelé «Les Ivoires de Guiraud» prend ainsi forme. Depuis lors, celle qui a fait de la chorégraphie et la danse sa seconde religion a formé plusieurs élèves en vue de pérenniser la culture ivoirienne pour les générations à venir. En 1981,
l’appellation «Les Ivoires de Guiraud» change et devient l’école de danse et d’échanges culturels (EDEC). De facto, l’EDEC évolue et devient la première école de danse de toute l’Afrique noire. 3000 jeunes Ivoiriens et non Ivoiriens y affûtent leurs armes. Certains parmi eux sont des propriétaires de club de danse en Europe et en Amérique. Les fiertés de l’académie de danse et d’échanges culturels sont légion. Rose Marie Guiraud, elle-même se taille la part du lion. Elle est la pionnière et première chorégraphe de Côte d’Ivoire. Danseuse, chanteuse, actrice, professeur de danse à l’Institut supérieur des arts et d’action culturelle d’Abidjan, Marie Rose Guiraud est faite Officier de l’Ordre du Mérite Culturel de Côte d’Ivoire dans les années 1973. Elle a plusieurs fois représenté l’Afrique en général et la Côte d’Ivoire en particulier à travers le monde en tant que danseuse, chorégraphe, anthropologue des danses africaines et conférencière. Suit Guei Thomas, percussionniste hors paire qui monnaie son talent aux côtés de Georges Monboye à Paris. Viennent également Kossua Dijamhy (fondatrice de la compagnie Corps métis) qui siège à Paris et Diadié Batily (enseignant d’anthropologie à l’université de Californie), pour ne citer que ces quelques exemples là. Devant ces valeurs sûres du patrimoine culturel africain susmentionnées, l’on pourrait affirmer sans risque de se tromper que les objectifs que s’est assignés l’EDEC sont en partie atteints. Objectifs qui visent à sauvegarder le patrimoine culturel africain, non sans omettre de valoriser les danses du terroir tout en pérennisant cet héritage à travers une pédagogie.

A ce jour, une dizaine de formateurs se bat au quotidien pour dispenser des cours de danse et de percussion à une soixantaine de pensionnaires de l’EDEC. A ces formateurs s’ajoute la petite «perle» de cette académie qui n’est autre que Marie Lyn Guiraud, la fille de Rose Marie Guiraud. Responsable de l’équipe junior du centre de formation, elle a remporté le concours Passionaria initié par la compagnie de téléphonie mobile «Orange», un 25 novembre 2005. Coup sur coup, elle représente toute l’Afrique dans le cadre de «Talent jeune», au festival de «Forde» en Norvège, puis au festival d’Estonie de juin à juillet 2006.

Tous les observateurs avertis du milieu de la danse et de la chorégraphie sont unanimes pour dire que l’EDEC demeure le miroir de la culture ivoirienne. 120 danses du terroir ivoirien y sont valorisées. En clair, l’école de Marie Rose Guiraud s’est évertuée à promouvoir au moins deux danses traditionnelles des soixante ethnies que compte la Côte d’Ivoire. «L’on peut être assis à l’EDEC et parcourir toute la Côte d’Ivoire à travers ses danses», se réjouit Gadji, responsable du centre. Cette grande renommée a valu à l’EDEC de recevoir depuis 2004, la visite d’une dizaine de diplomates (Inde, Allemagne, USA, Israël, Norvège, Canada etc.). Le palmarès de la troupe les «Guirivoire» parle de lui-même. Elle a participé à des festivals nationaux et internationaux au nombre desquels : Le Marché des Arts et du Spectacle Africain (Masa 1996). Le festival d’Avignon et de Vaucluse en France a ouvert définitivement la porte au groupe à l’internationale. Le quotidien des pensionnaires de l’EDEC n’a pas toujours été aussi radieux comme nous le décrivions tantôt. Plusieurs facteurs sont entrés en ligne de compte pour tirer vers le bas, le beau rêve de la fondatrice Marie Rose Guiraud.

Les métiers de la scène (danses, théâtres, etc.…), à l’instar de plusieurs autres, ont payé un lourd tribut durant la guerre qu’a connu la Côte d’Ivoire. Les premiers consommateurs de l’activité culturelle étant à 90% des expatriés. Les tirs de kalaches et autres armes lourdes ont poussé les chancelleries à donner des consignes strictes à leurs ressortissants. «Plus personne dehors après 20 heures» (parlant de leur ressortissants).

Avant la crise, les écoles françaises et américaines, dans le cadre de leur programme scolaire, ont eu à solliciter l’EDEC et de nombreuses autres écoles de danses et de percussion pour y dispenser des cours. Mais, du fait de la guerre qui a contraint à la fermeture des établissements, ce «gombo» vient une fois encore de leur échapper. Plus de visite d’ambassadeurs, plus de sollicitation des écoles françaises et américaines, aucun apport de sponsoring des entreprises, aucun soutien de l’Etat de Côte d’Ivoire. Voici la galère dans laquelle baigne cette école de danse et de chorégraphie qui aurait pu être parmi les plus prestigieuses du monde. 69 pensionnaires, parmi lesquels l’on a pu identifier 1 Guinéen, 4 Tchadiens, 2 Maliens et 2 Burkinabés qui vivent dans des conditions difficiles. Plus de la moitié d’entre eux appartient à la gent féminine. «Tous leurs parents ont démissionné», confesse Gadji. Poussant notre curiosité quant à savoir de quoi pourraient bien vivre ces jeunes pensionnaires, Gadji, notre interlocuteur s’est voulu précis. «Ici, ils ne vivent pas, ils vivotent !», a-t-il coupé court. Et de poursuivre pour dire que «après les cours de danse, ils vont faire le ménage dans les foyers pour les filles. Les garçons quant à eux vont animer les funérailles, baptêmes et spectacles à des prix dérisoires». La précarité de vie que mènent ces jeunes pensionnaires est la porte ouverte à plusieurs vices : grossesses non désirées, consommations abusives d’alcool, drogue, etc. «Le talent il est là, la qualité du travail est aussi présent chez ces jeunes, mais que pouvons nous faire ?», s’interroge t’il, non sans interpeller les pouvoirs publics. «La tendance musicale aujourd’hui est plus axée sur le phénomène des disc jockeys, ce qui ne permet pas à nos talents de véritablement s’exprimer. C’est vraiment dommage !» a-t-il reconnu en outre.

Dans cette grisaille dans laquelle baigne l’EDEC, des apprenants venant d’horizons divers veulent y redonner de l’espoir. Le cas le plus probant est celui de Diégo Rozo, artiste percussionniste originaire d’Argentine. Il y réside depuis maintenant sept mois et ne boude pas son plaisir. «L’EDEC développe une politique sociale sans pareille, la formation est très bonne et le programme est complet (…)», se réjouit-il. C’est avec fierté que notre Argentin clame avoir intégré la troupe «Les Guirivoires». «La possibilité de tous à pouvoir intégrer le groupe et partager les activités qui gravitent autour de la musique et la danse sont énormes…», nous a-t-il en outre confié dans une sérénité totale. Les cas de stage tels ceux auxquels participe Diégo Grosso sont légion, confesse le manager des «Guirivoires». Plus qu’un S.O.S, l’EDEC a besoin de soutien pour sortir de sa léthargie.

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