Joseph Muganga, cinéaste : « La piraterie est en train de tuer le cinéma africain… »
Muganga Joseph est un cinéaste rwandais installé depuis quelques années en Côté d’Ivoire. Il vient de participer à la 20e édition du FESPACO qui a eu lieu du 24 février au 03 mars dernier. C’est sa toute première participation. Mais il est monté sur la plus haute marche en remportant le grand prix de la catégorie TV-Vidéo.
Vous venez de participer à la dernière édition du festival de cinéma et de télévision de Ouagadougou qui a eu lieu du 24 février au 03 mars dernier. Et vous avez remporté un grand prix. Quels sont vos premiers sentiments ?
Je suis très heureux d’avoir remporté ce prix, le grand prix de la catégorie TV Vidéo. Cela est d’autant plus important que ma future carrière en dépendra. C’est la toute première fois que je participe au FESPACO.
Votre film qui été primé a pour titre « Les frères Kadogo ». De quoi parle-t-il ?
C’est un film de 52 minutes qui nous plonge dans l’univers des enfants soldats. Dans l’histoire qu’il raconte, les enfants ont été enrôlés de force à l’école. Mais voilà qu’après la guerre, ils sont démobilisés sans aucune mesure d’accompagnement. Je retrace donc la galère de ces gamins qui se retrouvent en ville, livrés à eux-mêmes.
Peut-on avoir une idée des acteurs qui ont joué dans ce film ?
Les acteurs, ce sont naturellement des enfants. L’acteur principal est issu d’une famille d’artistes. Dans la mesure où il est le fils de Bomou Bassa et neveu de Bomou Mamadou de la villa Ki-yi à Abidjan. Il avait joué dans un de mes précédents films. Quand j’ai écrit le film, je l’ai senti comme celui qui pouvait bien camper mon personnage principal. Je n’ai pas eu tort dans la mesure où il m’a donné pleine satisfaction. Les autres enfants sont d’Abobo, un quartier d’Abidjan. Je les ai vus sur scène en pleine préparation une émission télé qu’on appelle « Wozo vacances ». Quand je les ai repérés, je n’ai pas hésité à récupérer certains pour jouer dans « Les frères Kodogo ».
Dans ce film, figurent aussi des acteurs confirmés, bien connus dans le milieu du cinéma en Côte d’Ivoire…
Oui, les acteurs confirmés sont nombreux dans ce film. Il s’agit de Thérèse Taba, Lance Touré, Bohiri, Maï la Bombe, Tatiana de Makensira, Prisca Macereney, Souané, Magneto, Claude Gnakouri…Vraiment, je tire mon chapeau à tous ces comédiens. C’est grâce à eux que j’ai décroché ce prix à Ouagadougou. Je leur dis vraiment grand merci.
Où a été tourné ce film ?
A Abidjan et ses environs.
Qu’est-ce qui fait le charme de cette production, qu’est-ce qui a retenu, en définitive, l’attention des membres du jury au FESPACO ?
C’est surtout le jeu des acteurs. Quand ce jury me décernait ce prix, les membres m’ont surtout demandé de féliciter les enfants qui ont très bien joué leurs rôles. En plus, le scénario a beaucoup marqué le jury. Le film a été bien écrit. Il est aussi bien mené. En outre, il est vraiment accrochant. Quand on le regarde, on ne décroche pas. On est scotché de bout en bout. Les acteurs ont fait de sorte que ce que j’avais envie de dire, je l’ai rendu comme il le faut. On sent vraiment ma signature parce que j’ai parlé avec mon cœur. Les enfants soldats, les Kadogo, comme on les appelle chez nous, je les connais parfaitement. J’avais vraiment une parfaite maîtrise de mon sujet. Les enfants qui jouaient le film l’ont convenablement rendu. Et le jury a souligné que le film est très bien construit.
Quel est le message que vous avez voulu faire passer dans cette production ?
Il y a un message très fort que je fais passer à travers ce film. Ces enfants qu’on utilise pendant les guerres, il ne faut pas qu’ils soient abandonnés. Car ce serait fuir nos responsabilités. Dans la trame du film, les enfants ont cambriolé une mission chrétienne dirigée par un prêtre. Mais l’homme de Dieu ne les a pas laissé tomber. Il les a toujours accueillis à bras ouverts. À bien y voir de près, tout ce que font ces enfants dans la guerre, ce n’est pas de leur faute. Tout est conditionné par ceux qui les poussent. C’est-à-dire ceux qui ont mis les armes entre leurs mains. Autre message du film, j’attire l’attention des recruteurs. Je dis ceci : « vous risquez de créer des montres qui risquent de se retourner contre vous ! »
Déjà à la 4e édition du Festival du court-métrage d’Abidjan (FICA du 26 au 30 avril 2006), votre court-métrage « L’anniversaire » avait remporté le prix du public. Voilà qu’à votre toute première participation au FESPACO, vous décrochez un autre prix. Il y a-t-il une recette pour avoir du succès dans ce domaine ?
Oui, c’est le travail ! Il faut avoir une bonne dose de confiance dans tout ce qu’on fait. J’ai eu aussi la chance de travailler aux côtés de Henri Duparc qui m’a tout donné. C’est lui d’ailleurs qui est le producteur de mon film. Paix à son âme. Je voudrais profiter de l’occasion pour remercier Mme Henriette Duparc qui, après le décès de son époux, a cru en moi. Et a donc continué le travail que j’avais entamé avec M. Duparc, son époux. Henri Duparc, c’est mon maître et mon père spirituel. C’est mon ami. J’étais son ami. Je suis venu du Rwanda pendant la période du génocide. J’étais un peu perdu. Il a été une des personnes qui m’a aidé. Il m’a introduit dans sa famille qui m’a adopté pratiquement. Au niveau professionnel, il croyait beaucoup à la jeunesse. Dans la réalisation de mon premier film, il m’a énormément aidé. Comme il l’a toujours fait d’ailleurs. Au niveau professionnel, j’ai toujours travaillé avec Duparc. J’ai été cadreur et monteur dans pas mal de ses réalisations. J’ai commencé avec ‘’Moussa le Taximan’’, une série de sept épisodes qui ont été réduits à six ; Laurent Gbagbo, la force d’un destin ; Caramel… Depuis 1998, en tout cas, j’ai toujours travaillé avec lui.
À quand la grande première du film ?
Officiellement, le film n’est pas encore sorti. La toute première projection, c’était au FESPACO. En fait, j’ai terminé le film quinze jours avant le festival de Ouaga. Comme je n’ai pas voulu rater cette grande rencontre du 7e art sur le continent, au risque d’attendre deux bonnes années, j’ai remis à un peu plus tard la sortie officielle à Abidjan. Mais cela ne saurait tarder. Après le FESPACO qui a récompensé ce film, nous pensons à présent à cette sortie officielle parce qu’il faut que les Abidjanais et tout le monde entier le voient. C’est leur film. Il a été entièrement fait à Abidjan. Mais il soulève qui touche tous les continent. Les acteurs sont ivoiriens. Tout est ivoirien dans cette production. Mais le film a été fait par un Rwandais que je suis, ivoirien d’adoption. Aujourd’hui, je me demande si au Rwanda, on sait que Joseph Muganga a eu un prix au FESPACO. On ne me connaît même pas là-bas. Ma vie est en Côte d’Ivoire et je me sens ivoirien.
Vous êtes en Côte d’Ivoire depuis plusieurs années. Quel regard avez-vous sur le 7e art en Côte d’Ivoire ?
En Côte d’Ivoire, le cinéma évolue. Mais bien avant la crise, il y a eu une pénurie de production au niveau des films. Or, le public a besoin de s’identifier dans les différentes réalisations locales. Aujourd’hui donc, beaucoup de personnes qui ne sont pas forcément des professionnels, ou des réalisateurs confirmés, essaient tant bien que mal de combler le vide laissé par les réalisateurs professionnels ivoiriens. Beaucoup de films en version vidéo sont donc réalisés en terre ivoirienne. Même si la qualité reste à désirer. Parce qu’une chose est sûre, on ne devient pas réalisateur par un coup de baguette magique. Mais toujours est-il qu’il faut les encourager. Parce qu’en fin de compte, on a besoin du cinéma. Autrement, le 7e art ivoirien mourra de sa belle mort.
Les problèmes du cinéma africain sont bien connus : manque de politique réelle, quasi absence de source de financement, circuit de distribution pratiquement inexistant… Qu’est-ce qui doit être fait, selon vous, pour pallier tout cela ?
Les cinéastes se mettent toujours ensemble pour souligner toutes ces préoccupations. Mais ce sont les circuits classiques de financement qui s’offrent aux professionnels du 7e art. Fondamentalement, actuellement un des problèmes majeurs qui tuent le cinéma sur le continent, c’est la piraterie. Lorsqu’un cinéaste se bat comme un beau diable pour trouver un financement en vue de réaliser un film, il se trouve qu’au lendemain de la sortie de son DVD, le marché est inondé de Cd piratés. Comment doit-il faire dès lors pour que le film soit rentable ? Paradoxalement, cela ne semble pas préoccuper les autorités. C’est un problème de survie du 7e art et des cinéastes eux-mêmes. Dans la mesure où de nos jours, la vidéo a pignon est vraiment en vogue. Il faut pour ce faire que les autorités africaines se penchent sérieusement sur cette question qui est cruciale en protégeant les œuvres des artistes.
Quelles sont les perspectives après la palme que vous venez de remporter au FESPACO ?
J’ai beaucoup de scénarios qui sont en préparation. Mais je dois d’abord faire la promotion de mon film « Les frères Kadogo ». A ce titre, au FESPACO, j’ai eu pas mal d’invitations pour participer à des festivals. Ce que je me dois d’honorer, si je veux que cette réalisation soit mieux connue à travers le monde entier. C’est d’ailleurs, un des gros avantages de participer à des rencontres de ce genre. Il y a certes des échanges de cartes de visites, des découvertes… Mais, beaucoup de portes du monde du cinéma et de la télévision s’ouvrent à vous grandement