Interview: Hanny Tchelley «…ici nous ne faisons pas de cinéma»
Hanny Tchelley-Etibou, cinéaste, parle dans cet entretien du cinéma ivoirien et de l’Office du cinéma promis par le président de la République SEM Laurent Gbagbo.
Peut-on savoir Madame Etibou, pourquoi avez-vous choisi le titre « Entr’Nous » de votre émission télévisée qui passe tous les dimanches après le Journal de 20 heures ?
«Entr’Nous» est une expression qui veut dire que nous voulons régler tout ce qui nous concerne nous-mêmes. Il faut que la population elle-même se saisisse des problèmes qu’elle vit. «Entr’Nous» a été créée en mai 2007 pour donner la parole à la population. Parce qu’on s’est dit que nous entrons dans une période de paix. Mais une chose est d’aller à la paix, et une autre ce sont est les obstacles qui pourraient se dresser contre cette paix tant souhaitée. Pour quelqu’un qui ne peut pas manger à sa faim, qui ne peut pas se loger décemment et qui ne peut pas se soigner n’a pas l’esprit prédisposé à aller à la paix. Nous croyons qu’il faut leur donner la parole pour qu’ils expriment eux-mêmes leurs problèmes.
Avec vous Hanny Tchelley, le public ivoirien a eu à voir l’émission «On est ensemble» et aujourd’hui «Entr’Nous». Est-ce qu’il y a une différence entre ces deux émissions ?
Oui, fondamentalement ces deux émissions diffèrent. Moi, je suis toujours intéressée par des émissions qui parlent de la vie des gens. Tout ce qui est dans la communauté m’intéresse. Par contre, je ne me vois pas faire une émission de variété. Cela pourrait peut être se faire de temps en temps. Je préfère par contre faire des émissions qui éduquent les gens et leur parlent. En cela, l’on peut dire que ces deux émissions se ressemblent puisqu’elles donnent la parole aux populations. Là où la différence apparaît, c’est que dans «On est ensemble», on donnait la parole aux gens mais on critiquait. Et après, l’émission a basculé quant il y a eu la guerre et que nous au niveau de l’équipe de production c’est-à-dire Jeff Acka, Sanga Touré, moi-même et sous la supervision de Georges Aboké, nous nous sommes dit qu’il faut qu’on fasse quelque chose parce que l’image de la Côte d’Ivoire est ternie à l’extérieur et qu’il fallait faire quelque chose pour galvaniser les Ivoiriens. A la différence, «Entr’Nous», même si elle parle des problèmes de société, donne cependant la parole à la population. Cette émission dure 13 minutes, le décompte c’est que la population a droit entre sept et huit minutes. Une autre rubrique intitulée «J’ai un rêve» qui fait une minute trente. Et moi, je n’ai droit qu’à deux minutes de prise de parole. Mon rôle est de distribuer la parole et de recentrer un tant soit peu le débat.
Ce qui capte un peu l’attention du public à votre émission, c’est que votre caméra s’est promenée dans des zones autrefois impénétrables du fait de la guerre. Dites-nous un peu ce que les populations de ces zones pensent réellement de la paix?
Je peux dire que dans ces zones qui autrefois étaient difficiles d’accès, les populations ont souffert comme nous avons également souffert de la guerre. Vraiment, c’est le sentiment que nous avons ressenti quand nous nous y sommes rendus. On a rencontré des frères et des sœurs qui avaient envie de faire table rase de tout ce qui s’est passé. Nous nous sommes aussi rendus compte que fondamentalement, rien ne nous oppose, mais qu’il y a les politiciens qui font leur mic mac pour nous opposer que ce soit d’un côté où d’un autre. Nous sommes tous des Ivoiriens. Hier, nous avons eu des divergences qui ont été utilisées. Peut- être que nous aussi avons manqué de vigilance. Mais aujourd’hui, moi, je vais à Bouaké et dans toutes les autres zones et je me sens bien. Il faut dire qu’entre nous Ivoiriens, ce qui nous a liés hier est toujours là. Et ce lien là est devenu encore plus fort. Nous sommes tous à une phase de recollement. La main de Dieu y est aussi pour quelque chose.
Cette émission qui participe énormément au retour de la paix en Côte d’Ivoire est-elle subventionnée ?
Cette émission n’a le soutien de personne. Nous à «African Queen Production», nous n’allons pas sur des projets commerciaux. Tous nos projets sont basés sur des actions qui rendent service à la communauté. En tant qu’actrice, j’avais la possibilité comme bon nombre d’acteurs africains de m’exiler et de poursuivre une carrière d’acteur. J’ai estimé que venant d’un pays pauvre et sous-développé, il est de mon devoir d’apporter une pierre à l’édifice de la Côte d’Ivoire. Une émission télé, ça coûte cher, on la produit entièrement.
Parlez-nous de la rubrique «J’ai un rêve» ?
C’est la construction de la paix tout simplement. Nous nous sommes dit que tout le monde parle de paix, mais comment la matérialiser ? Il faut qu’il ait des gens qui disent leurs visions de la paix pour qu’on sache où nous allons. Parce que ce n’est qu’un mot, et nous croyons qu’il faut mettre un contenu dans ce mot. C’est pourquoi, nous avons voulu donner la parole autant à des personnes charismatiques qu’aux citoyens ordinaires. Pour l’illustration de cette rubrique, nous avons contacté l’Ambassade des Etats-Unis qui nous a donné le fameux discours de Martin Luther King dans lequel il dit son rêve. Pour nous, c’est une contribution à la paix, et il faut que chaque Ivoirien dise le rêve qu’il caresse pour son pays, la Côte d’Ivoire.
Les Ivoiriens doivent-ils s’attendre à d’autres propositions d’émissions venant de vous ?
Oui bien sûr. Mais avant, nous aimerions que cette émission soit nourrie de critiques constructives. C’est vrai, notre rôle n’est pas seulement de critiquer. Il y a des choses qui fonctionnent normalement. Mais, qu’est-ce que la population elle-même fait pour améliorer son cadre de vie. Je dis à qui veut l’entendre que la liberté s’arrache ; elle ne se donne pas facilement. Par exemple, à l’approche des élections, «Entr’Nous» ira encore à la rencontre de la population pour lui dire que c’est le peuple qui a le pouvoir. Ce sont des thèmes que nous allons aborder plus tard, sans complaisance et sans faux-fuyant.
Entant que professionnel du cinéma, quel est votre regard sur la pléthore de film ivoirien qui naissent en ce moment ?
Il m’est difficile de juger le travail des autres surtout qu’ici en Côte d’Ivoire, l’on a très peu de moyens de production. Cependant, en tant que professionnel, je pense qu’ici nous ne faisons pas de cinéma. Je crois que toutes ces productions relèvent du théâtre filmé. Et pas toujours bien filmé. L’image a un langage, et un film est comme la lecture d’un livre. Donc, l’on ne peut pas se permettre de faire n’importe quoi sous prétexte qu’on a une caméra. Je pense à mon humble avis que c’est une critique générale. Par contre, je crois que nous avons de grands réalisateurs qui ont fait leur preuve. Je veux parler de Roger Gnoan M’Balla, de feu Henri Duparc pour ne citer que ceux-là. Quand on veut aborder un métier, je crois qu’il faut l’apprendre avec beaucoup de sérieux. Il y a plusieurs étapes qui relèvent de la technique qu’il faut prendre en compte pour faire du cinéma. Puis, au niveau des thèmes, ils sont tous pareils. Aussi, je crois que c’est de l’usurpation de signer réalisateur alors qu’on ne l’est pas.
Au FICA 2006, le président de la République SEM Laurent Gbagbo avait promis mettre sur pied un Office du cinéma. Où en est-on avec ce projet aujourd’hui ?
En 2006, lors de la cérémonie d’ouverture du Festival international du court-métrage d’Abidjan (FICA), lorsque le président de la République a annoncé la création de cet Office, nous avons tous applaudi. Car cela ferait énormément de bien à notre cinéma. Et puis après, nous n’avions plus eu de nouvelle jusqu’à ce que le ministre Komoé Augustin arrive à la tête du ministère de la Culture et de la Francophonie pour nous convoquer à une réunion. Réunion au cours de laquelle un projet de création d’un Office de cinéma nous a été présenté par son Cabinet pour recueillir nos avis. Par la suite, les professionnels ont décidé de se réunir seuls pour discuter du contenu de cet Office. Il y avait Gnoan M’Balla, Kitia Touré, Fadiga Kramo etc.…
Nous avons discuté point par point les différentes propositions du ministère. Et toutes les copies ont été remises au représentant du ministre qui était présent. Et depuis, nous sommes dans cette attente de création de cet Office du cinéma.