De Hollywood à l’Histoire : Anora et Brody écrivent leur légende aux Oscars 2025

La 97ᵉ cérémonie des Oscars a consacré le conte urbain d’Sean Baker et scellé l’immortalité cinématographique d’Adrien Brody. Entre grâce sociale et chef-d’œuvre brutaliste, retour sur une nuit où le cinéma a vibré entre larmes et ovations.
Anora, ou la revanche du cinéma indépendant
C’est une Cendrillon des temps modernes, armée de strass et de répartie, qui a conquis le cœur de l’Académie. Anora, tragicomédie cruelle signée Sean Baker, a raflé cinq statuettes dorées, dont celles du Meilleur Film et de la Meilleure Actrice pour Mikey Madison. Le film, tourné avec un budget serré (6 millions de dollars), dépeint sans fard le choc des classes à travers le destin d’une strip-teaseuse new-yorkaise prise au piège d’une famille d’oligarques russes.
« Je tiens à reconnaître et à honorer une nouvelle fois la communauté des travailleurs du sexe », a martelé Mikey Madison, 25 ans, en brandissant son premier Oscar. Un triomphe d’autant plus savoureux qu’il pulvérise les pronostics : face à Demi Moore, favorite pour The Substance, la jeune actrice a convaincu par une immersion totale. Des mois de pole dance, d’apprentissage du russe et de rencontres avec des travailleuses du sexe ont forgé sa performance, saluée comme « électrique » par la presse spécialisée.
Malgré son succès à Cannes (Palme d’Or 2024), la route vers Hollywood fut semée d’embûches. Laissé en rade aux Golden Globes, Anora a dû son salut au bouche-à-oreille et aux 40 millions de dollars de recettes engrangés in extremis. Un retournement ironique pour Sean Baker, habitué des ovations critiques (Tangerine, The Florida Project) mais jamais vraiment adopté par le grand public.
Adrien Brody, l’éternel rescapé
Vingt-deux ans après Le Pianiste, Adrien Brody entre dans le panthéon des doubles lauréats. Son interprétation d’un architecte hongrois hanté par la Shoah dans The Brutalist lui vaut un deuxième Oscar, couronnement d’une carrière marquée par les rôles tourmentés. « Si le passé peut nous enseigner quelque chose, c’est de nous rappeler de ne pas laisser la haine s’exprimer sans contrôle », a-t-il déclaré, dans un discours où transparaissaient ses engagements personnels et familiaux.
Face à lui, la concurrence était redoutable : Timothée Chalamet en Bob Dylan halluciné, Sebastian Stan en jeune Trump conquérant, ou Ralph Fiennes en cardinal machiavélique. Mais Brody, porté par un scénario miroir de l’histoire des siens, a su incarner la résilience avec une intensité rare.
La soirée, globalement consensuelle, n’a pas échappé aux éclats politiques. Le documentaire No Other Land, sur l’occupation israélienne en Cisjordanie, a rappelé les tensions internationales. Quant à Zoe Saldana (Meilleur Second Rôle pour Emilia Pérez), elle a rendu hommage à « [ses] parents immigrés aux mains labourées par le travail ».
Dans les coulisses, on chuchote qu’Hollywood respire : malgré le retour de Trump à la Maison Blanche, les appels à la révolte ont cédé la place à des célébrations plus feutrées. Preuve que le cinéma, même engagé, reste un refuge où les contes de fées – même tragiques – ont toujours droit de cité.
Jonas Kouassi