Dani Kouyaté (réalisateur burkinabé): «Le numérique est une aubaine pour le cinéma africain »
Né dans une famille de griots le 4 juin 1961 à Bobo-Dioulasso au Burkina Faso, Dani Kouyaté approche très jeune l’art du spectacle. Il entre à l’Institut Africain d’Études Cinématographiques de Ouagadougou et obtient une licence de création cinématographique. Puis il poursuit ses études à Paris où il obtient une Maîtrise d’Animation Culturelle et Sociale à l’Université de la Sorbonne. Il est également diplômé de l’Ecole Internationale d’Anthropologie de Paris et titulaire d’un Diplôme d’Études Approfondies de Cinéma obtenu à l’Université Paris 8 Saint-Denis.
Il réside à Paris et effectue de nombreux séjours en Italie, Allemagne, Suisse et au Burkina Faso dans le cadre de ses activités théâtrales aussi bien en tant que metteur en scène que comédien.
Après plusieurs tournées de 1990 à 1996 en Europe et aux États-Unis comme conteur dans le spectacle familial « La Voix du Griot» créé par son père le griot Sotigui Kouyaté, il anime des stages en Europe et en Afrique sur l’art de la narration. Dani Kouyaté est également musicien, il pratique la guitare et plusieurs types d’instruments de percussion.
Dans sa jeune carrière de réalisateur Dani Kouyaté compte parmis ceux qui décideront de l avenir du cinéma africain. Avec ses films «Bilakoro» coréalisé avec Issa Traoré de Brahima «Tobbere Kossam», «Les larmes sacrées du crocodile».
«À nous la vie». «Sia, le rêve du python» et «Ouaga Saga»: Une comédie urbaine d’actualité avec des adolescents de Ouagadougou.On peut le dire, Dani Kouyaté franchit agréablement le rubicon. En Suède où il s’inspire pour ses futurs projets 100%culture l’a rencontré. Entretien:
Dani Kouyaté, ce nom rime aussi bien avec « Sia, le rêve du python » et « Ouaga Saga » deux de vos films qui font de vous un réalisateur africain reconnu au plan international. Pouvez-vous nous parler de votre aventure dans le cinéma ?
Mon aventure dans le cinéma a commencé très tôt. Mon père est l’un des premiers comédiens de cinéma de mon pays. De ce fait j’ai été sur les plateaux de tournage de quasiment tous les premiers films du Burkina dès l’adolescence. Le virus m’est venu de là. Ensuite j’ai eu la chance de bénéficier après mon BAC d’une formation cinématographique à la seule école de cinéma qui existait à l’époque en Afrique francophone et qui était heureusement basée à Ouagadougou. Le reste, vous l’avez dans ma bio filmographie.
Qu’êtes-vous venu faire à Uppsala, ville universitaire suédoise ?
Je viens de m’installer à Uppsala avec ma famille. J’ai passé plus de vingt ans de ma vie à Paris. Il était temps de bouger un peu. Ma femme étant à moitié suédoise et ayant vécu à Uppsala, nous avons décidé de revenir sur ses pas. Il faut dire que le calme et la qualité de vie qu’on y trouve font partie de nos besoins actuels, aussi bien pour les gamins qui grandissent en taille et en nombre, que pour mon travail qui se passe essentiellement chez moi à la maison.
Revenons tout de suite à votre dernier long métrage « Ouaga Saga ». Avec ce film, vous aviez pris le pari de tourner avec le numérique haute définition. Vous parliez déjà en 2005 lors du Fespaco à Ouagadougou à une conférence de presse, d’une technologie novatrice pratique et moins coûteuse. Partagez-vous aujourd’hui ce même avis ?
Oui, je partage toujours ce même avis. Les nouvelles technologies nous permettent réellement de nous désaliéner des studios et des laboratoires occidentaux sans lesquels nous ne pouvions rien faire avant. Mais bien sûr ce n’est jamais ni tout blanc ni tout noir. Les nouvelles technologies suscitent un grand nombre de questionnements aujourd’hui, même à Hollywood. Nous sommes dans une période charnière où il se passe des grands bouleversements, positifs et aussi négatifs dans l’industrie et la pratique artistique du cinéma. On est loin d’avoir fait le point de ce qui est vraiment bon et de ce qui ne l’est pas. Un autre inconvénient est l’extrême « démocratisation » de l’outil qui pousse de plus en plus de jeunes à « danser plus vite que la musique » en voulant faire des films sans d’abord passer par la case de l’apprentissage. Cela rabaisse énormément le niveau du travail et porte parfois préjudice à l’image de notre cinématographie. Mais on pourrait dire aussi que cela est de bonne guerre et qu’avec le temps, les choses vont se décanter. En tout état de cause, pour moi les nouvelles technologies, tout comme Internet contribuent de façon importante au désenclavement du tiers monde en général et l’Afrique en particulier. Mais une fois de plus, avec les inconvénients qui vont avec, qu’il ne faut pas perdre de vue.
Oui mais vous êtes quand même d’avis que, pour des besoins de projections professionnelles en salle la conversion du film en 16 mm lui a fait beaucoup perdre de son essence esthétique au niveau des couleurs ?
Il est clair que pour les puristes, le numérique n’a pas encore vraiment atteint la qualité et la profondeur de la bonne vieille pellicule. Quoique tous les jours de grands pas en prouesse technologique réduisent le fossé entre eux. Mais je dois dire que pour moi il y a deux façon de faire du cinéma. Il y a des gens qui racontent des histoires, juste pour faire du cinéma. C’est souvent le cas du cinéma dit commercial, avec ses locomotives provenant d’Hollywood. Et puis, il y en a d’autres qui font du cinéma pour dire des choses. Je fais partie de cette deuxième catégorie, et quand on a quelque chose sur le cœur à dire, on le dit avec les moyens dont on dispose, quels qu’ils soient. La question de la qualité du numérique ne semble donc pas être notre préoccupation pour l’instant. Nous avons trop de chose à dire, et nos états africains démissionnent suffisamment devant la culture et le cinéma en particulier, pour que nous laissions passer l’opportunité du numérique.
Pour revenir à la sémantique de Ouaga Saga, des commentaires ont été faits dans la presse qui le qualifiait de « tribulations d’une bande d’ados ingénieux », ou de film plein de rêve… Pensez vous que votre message ait été bien perçu ?
C’est vrai, avec Ouaga Saga j’ai voulu positiver, retrouver le sourire et l’espoir dont nous avons le secret en Afrique et qui ne contamine pas assez notre cinéma. Ce sourire et cet espoir à tout vent sont loin d’êtres naïfs. Ce sont de véritables armes contre la misère et la démission de nos gouvernants. Mais ce film pose aussi subtilement la question de l’inexistence totale de projets politiques en direction des jeunes de nos capitales, qui ne vivent finalement que du système D et de leur génie en débrouillardise.
Est-ce que le message a été bien perçu ?
Pour moi l’important pour un artiste, c’est d’être authentique, de dire ce qu’il a sur le cœur. Comment ce qu’il dit est-il perçu relève d’une tout autre dynamique qui ne doit pas être le moteur de ses convictions. Chaque spectateur interprète le message à travers son propre filtre.
Depuis septembre 2006 vous êtes le Président de la Guilde Africaine des Réalisateurs et Producteurs. Quelle est la vocation de cette structure et quel bilan pouvez-vous en faire aujourd’hui ?
La Guilde Africaine des réalisateurs et producteurs est une association qui réunit tous les réalisateurs africains de la diaspora vivant en France. Elle est en train de s’ouvrir à toute l’Europe aujourd’hui. Notre vocation est de défendre les intérêts de notre cinéma auprès des institutions internationales et de faire circuler les informations utiles à tous nos camarades qui ne sont pas souvent au courant de ce qui se passe. Nous faisons beaucoup de choses. Je vous invite à faire un tour sur notre site pour mieux nous découvrir. www.laguildeafricaine.com. La Guilde est née du constat que face aux institutions, nous allions toujours en ordre dispersé et de façon individualiste pour défendre nos intérêts. Évidemment, cela n’avait ni force, ni crédibilité. Aujourd’hui la Guilde est une force politique écoutée par toutes les institutions qui s’intéressent au cinéma Africain.
Votre engagement politique et social à travers vos films depuis le début de votre carrière relève d’une démarche assez subtile.
Que voulez-vous que l’on retienne du jeune réalisateur africain qui plonge sa plume dans du vitriole tout en faisant rêver ses contemporains ?
Je crois en la force de la subtilité. Le tout n’est pas d’exposer des problèmes dans un film. Il faut aussi que ça soit un film qui respecte les codes et les principes du genre. Nous sommes souvent un peu trop didactiques et donneurs de leçons dans nos œuvres. Nous devons davantage chercher à raconter avant tout de belles histoires fortes comme au cinéma. Quand le message est subtilement placé, il a des chances de passer comme un produit médical dans une transfusion sanguine. Le rêve est le moteur du cinéma. L’Afrique traditionnelle sait rêver. L’oralité est basée sur la métaphore, les contes, les mythes, les légendes, les proverbes etc. Le cinéma est par excellence le plus grand outil pour manipuler le rêve. Il ne reste plus qu’à établir les connexions. Anatole France, un grand homme français, disait : « Pour marquer de grands pas, il ne suffit pas de planifier. Il faut aussi rêver ».
Quel peut être l’avenir pour du cinéma Africain francophone quand on sait qu’à part le Burkina Faso, les jeunes réalisateurs sont livrés à eux-mêmes tandis que les salles de cinéma sont presque inexistantes ?
À bien regarder ce qui se passe, l’avenir paraît sombre. Aucun indicateur politique ou économique lié au cinéma africain ne semble susciter de l’espoir. Cependant, j’ai le sentiment que les nouvelles synergies provoquées justement par l’effet combiné des nouvelles technologies et de l’Internet peuvent et vont nous donner les moyens de nous battre avec les mêmes armes que tout le monde. Je suis déjà très surpris positivement par le succès populaire des cybercafés au Burkina et par l’utilisation intelligente que les jeunes en font.
Un mot sur le Fespaco, le plus impressionnant festival de cinéma en Afrique ?
Le Fespaco, c’est notre « Cannes ». Nous y tenons, même si chaque année nous rencontrons les mêmes problèmes d’organisation.
Quels sont vos projets pour l’avenir immédiat ?
J’ai beaucoup de projets en instance en tant que réalisateur, mais aussi producteur. Je profite justement du calme ici à Uppsala pour les développer. J’écris aussi mon prochain film dont il est trop tôt pour parler. Merci à vous et bon vent pour votre journal.