8ème biennale de l’art africain contemporain de Dakar Des œuvres qui questionnent l’Afrique sur elle-même
Entre interpellation et cri du cœur, une trentaine d’artistes plasticiens africains invitent, à travers leurs œuvres, le continent noir à une véritable réflexion sur son devenir.
Des corps de femmes enceintes, sans tête ni bras, taillées en douilles, cuillères et fourchettes se tiennent debout sur un sol jonché de métal, détritus, de crânes de singes défoncés, forgés dans du fer… « Elles viennent de loin », l’installation du plasticien congolais, Freddy Tsimba, rappelle avec force la misère et le dénuement engendrés par la guerre qui a meurtri ce vaste pays de l’Afrique centrale trois fois( ?) plus grand que le Sénégal. Mais, elle cristallise surtout les regards au rez-de-chaussée du Musée Théodore Monod de Dakar qui abrite depuis le vendredi 9 juin, l’exposition internationale de cette 8ème biennale de l’art africain contemporain. D’abord pour sa force thématique, la guerre et ses méfaits un sujet plus que d’actualité en Afrique. Ensuite, par sa démarche esthétique, faite d’audace et d’ingéniosité. A deux pas, une vaste toile orne un pan mural de l’édifice. Elle appelle, à travers un dialogue intimiste entre coupures de presse et des cadenas ornés de clefs, vivement à un « grand débat » franc et sincère, selon son auteur Babacar Niang, sur l’épineuse question de l’émigration clandestine. « Il y a beaucoup de bruits autour de sujet mais pas encore un vrai débat », martèle l’artiste. Les extraits d’articles de presse sont, pour lui, une invitation claire aux médias à parler sans tabou ni censure de l’immigration clandestine. Et leur choix n’est pas si fortuit que ça car ces articles titillent les consciences sur l’incertitude de la vie en Europe, faite d’aléas, et parfois de surprises désagréables.
Toutefois, il reste convaincu que les solutions, qu’il symbolise par les clefs, existent. Mais, prévient Babacar Niang, « tant que les frontières seront fermées, il y aura toujours des candidats à l’aventure ». Mieux, il ambitionne avec ses clefs de briser justement ces frontières là qu’il estime virtuelles et non naturelles. Au-delà de cette volonté, Babacar Niang s’interroge s’il faut vraiment partir… Au premier étage, le vaste hall d’exposition est lui tout aussi garni d’œuvres aux écritures picturales variées : peinture, scuplture, vidéo, installation… Trois êtres, tétanisés par la souffrance, crient les douleurs en rivant les yeux vers le ciel, comme pour implorer le secours du tout puissant. Cette création de Jems Kokobi traduit, avec émotion, l’horreur du Darfour. « Quand on souffre on pense à Dieu. Au Darfour, il n’est plus visible parce que caché par la fumée de la guerre », professe le sculpteur ivoirien, basé à Essen en Allemagne. Non loin de là, une jeune photographe camerounaise, Angèle Etoundi Essamba invite, via cinq photographies de femmes du Zanzibar, a jeter un nouveau regard sur le voile, à voir ce tissu comme « un objet mystique et mystérieux » et non comme un « symbole d’enfermement », quand N’Dary Lo appelle, à travers son installation « la muraille verte », à l’édification de l’arbre, donc de la verdure. « Là où c’est vert il y a la paix », clame le co-lauréat du Grand Prix Léopold Sédar Senghor du Dak’Art 2008. Au total, une vingtaine de plasticiens met en lumière au Musée Théodore Monod d’art africain, des œuvres qui invitent l’Afrique à une introspection sur elle-même, histoire d’exorciser ses démons et vaincre ses préjugés pour scruter l’avenir avec plus d’espoir et de détermination. Et peut-être, comme l’a si bien souhaité le président Wade, « donner une tournure positive à l’afro-pessimisme ».
A l’instar du Musée Théodore Monod, la galerie nationale, qui borde l’avenue Albert Sarraut en plein cœur de la capitale sénégalaise, abrite la seconde partie de l’exposition universelle. Là, trône « Histoire d’eau », une installation de Saïdou Dicko. En alignant des seaux sur un sol sablonneux et dirigés vers une pompe, ce photographe burkinabé qui pose avec acuité le problème de l’accès à l’eau potable en Afrique. Comme lui, les autres plasticiens qui y exposent interpellent les consciences sur les travers de l’Afrique : la guerre, les violences faites aux femmes.
Articulée autour du thème, « Afrique : miroir ? », cette 8ème biennale met en lumière jusqu’au 9 juin prochain officiellement les créations de trente-sept artistes plasticiens, vivant en Afrique et en occident. De même, elle donne à voir également au Salon du design, qui a établi cette année ses quartiers, à la galerie Le Manège, les créations de treize designers aux esthétiques différentes. On y retrouve le malien Cheik Diallo et ses chaises en nattes, l’Ivoirien Vicent Niamien et ses tiroirs monumentaux ou encore le camerounais Christian Djomagni et ses lampes en fer…
Le Dak’Art 2008, c’est aussi des rencontres professionnelles. Ainsi, au cours d’un forum, un pool d’intellectuels, dont des curateurs comme Simon NJami, Rachida Triki, ont analysé, via des sous-thèmes, la problématique de l’art africain contemporain. Il s’est agi pour les différents intervenants de scruter les perspectives d’avenir pour l’épanouissement de l’art africain contemporain.
En marge des activités officielles, une kyrielle d’expositions dite « Off » ont rythmé Dakar et ses environs, voire certaines contrées du Sénégal. De l’avis de plusieurs observateurs, le Off a été très dynamique cette année. « Je trouve qu’il a été meilleur que le IN. J’y ai vu de très belles œuvres qui étaient nettement meilleures que certaines œuvres de la sélection officielle », confirme Bisi Silva, curateur nigériane. Le Off a permis notamment de découvrir la richesse de l’art nigérian ou encore la fibre artistique des pensionnaires de l’hôpital psychiatrique de Fann, à Dakar.
L’ivoirien Jems Kokobi, lauréat du prix de la francophonie
A Dakar, la biennale ne se contente pas d’offrir uniquement une visibilité aux créations contemporaines de l’Afrique, elle récompense également les talents les futés. Ainsi, à chaque édition, récompense-t-elle les artistes qui font preuve d’imagination et de créativité dans leur travail. Cette année, le Grand prix Léopold Sédar Senghor du Dak’Art est revenu à deux artistes sénégalais : N’dary Lo pour son œuvre « La muraille verte » et Mansour Ciss, pour son installation « la déberlinisation », qui s’insurge contre la balkanisation de l’Afrique par la conférence de Berlin( 1884-1885). Ces deux artistes se partagent la somme de 5 millions f cfa. L’Ivoirien Jems Kokobi, pour ses remarquables et émouvantes sculptures géantes sur le Darfour, a reçu le prestigieux de la Francophonie. Il bénéficiera d’une résidence d’artistes en France. « Quand j’ai entendu mon nom, je me suis dit, enfin mon œuvre est arrivée à Dakar », s’est réjoui Jems Kokobi, manifestement ému. Autres artistes distingués : le sud-africain Nkosikhona NGcobo-Bongamahlubi( prix du ministère de la culture et du patrimoine historique classé), le Camerounais Guy Bertrand Wouété (prix France culture)… pour n’en citer quelques-uns.
Le Dak’art 2008, c’est enfin des rencontres et échanges professionnels qui autour du thème : « L’Afrique : miroir ? » ainsi que les activités liées aux arts numériques. Sans oublier une foultitude d’expositions dite « Off » à Dakar et ses environs.