Danse engagée / Émilie Large : « Azadî, c’est une manière de danser la liberté »

Danseuse et professeure de Bharata Natyam, Émilie Large met son art au service d’un combat : la liberté et la dignité des femmes. Avec Azadî, « liberté » en persan, elle transforme la danse indienne en un manifeste chorégraphique contre les violences faites aux femmes.
Comment avez-vous découvert la danse indienne et qu’est-ce qui vous a donné envie de vous y consacrer corps et âme ?
J’ai toujours été attirée par la culture de l’Inde, et notamment sa musique. Un jour, je suis tombée sur un documentaire sur Arte, au sujet d’une femme allemande qui suivait une formation intense de Bharata Natyam dans une école en Inde du Sud. La beauté gestuelle, ainsi que le travail technique, m’ont tout de suite attirée et j’ai cherché des cours. Je vivais à Bordeaux à l’époque.
Vous êtes ensuite partie en Inde. Quelles ont été les étapes marquantes de votre apprentissage ?
En 2007, je suis partie en Inde du Sud pour quatre mois. J’y ai rencontré ma professeure, avec qui j’entretiens une relation très profonde depuis. Elle est comme une mère pour moi. J’ai suivi un apprentissage intensif cette année-là. Je me souviens de mon premier cours : deux heures non-stop en demi-plié, à taper le rythme. J’avais du mal à marcher le lendemain ! Au fil des années d’apprentissage et de dévouement à cet art, j’ai aussi appris à transmettre.
Parlons de votre nouvelle création : pourquoi l’avoir appelée Azadî, qui signifie liberté ?
J’ai choisi ce mot car, pour moi, c’est fondamental que toute femme se sente libre de vivre comme elle l’entend, dans n’importe quelle culture d’ailleurs…
Quelles émotions, quels récits ou quelles réalités souhaitez-vous transmettre avec cette chorégraphie ?
Azadî est une chorégraphie qui donne voix aux réalités souvent silencieuses des femmes victimes de violences. À travers le mouvement, je souhaite transmettre à la fois la douleur vécue et la force incroyable qui les habite.
Cette création raconte un parcours entre souffrance, colère et peur, mais aussi espoir, résilience et libération. Le corps devient alors un moyen d’exprimer ce que les mots ne peuvent parfois pas dire. Mon objectif est que le public ressente cette énergie, comprenne la complexité de ces vécus et saisisse comment la danse peut être un puissant vecteur de guérison et de transformation. Azadî est un appel à la liberté, à la dignité et à la reconnaissance des combats souvent invisibles.
Comment avez-vous travaillé avec vos danseuses pour construire ce projet collectif, à la fois artistique et engagé ?
La chorégraphie a été conçue comme un projet collectif mêlant engagement artistique et émotionnel. J’ai d’abord élaboré les mouvements en lien avec les émotions que je souhaitais transmettre, puis je les ai transmis aux danseuses, en prenant soin de leur expliquer en détail les ressentis associés à chaque geste. L’objectif était qu’elles s’imprègnent pleinement de ces émotions afin que leur interprétation soit authentique et porteuse de sens, donnant ainsi vie à un message fort et engagé.
Pensez-vous que la danse peut vraiment faire évoluer les mentalités ou éveiller les consciences ?
Absolument. La danse est un langage universel qui va au-delà des mots. Par le mouvement et l’expression corporelle, elle permet de toucher profondément les émotions et les sensibilités des spectateurs. Elle peut ainsi éveiller les consciences en faisant ressentir des réalités parfois difficiles à exprimer autrement. La danse engage à la fois le corps et l’esprit, créant une expérience immersive qui invite à la réflexion et peut encourager un changement de regard, voire une évolution des mentalités.
La chorégraphie a déjà été présentée plusieurs fois, dans des lieux comme l’espace culturel “Le Phare” à Saint-Coulomb, en Bretagne : quels retours avez-vous eus du public ?
Les retours du public ont été très forts et émouvants. Beaucoup ont ressenti une intensité rare, comparant parfois le travail à celui de grands noms de la danse contemporaine, comme Maurice Béjart. C’est d’ailleurs l’une des chorégraphies qui a le plus marqué les spectateurs par la puissance émotionnelle qu’elle dégage.
Comment abordez-vous la question de l’engagement dans vos cours, notamment avec les plus jeunes ?
J’aborde la question de l’engagement dans mes cours de manière très authentique et adaptée à chaque âge. Avec les plus jeunes, je privilégie avant tout le plaisir de danser et la découverte du corps, tout en éveillant doucement leur sensibilité aux émotions et aux messages que la danse peut transmettre.
L’engagement, pour moi, c’est aussi apprendre à être présent à soi-même et aux autres, à respecter le groupe et à exprimer ce que l’on ressent avec sincérité, sans pression ni jugement. Cela crée un espace sécurisant où chacun peut s’ouvrir, se découvrir et grandir à son rythme.
Vous êtes très attachée à l’authenticité du Bharata Natyam, mais vous aimez aussi y ajouter des touches plus modernes : que cherchez-vous à transmettre à travers ce mélange des genres ?
Le Bharata Natyam est une discipline qui me tient profondément à cœur, c’est vraiment toute ma vie. En même temps, j’aime apporter des touches plus modernes et sortir un peu du cadre strict de la tradition, afin de rendre cette forme d’art plus accessible et parlante pour un public contemporain. Ce mélange permet de garder l’authenticité et la richesse du Bharata Natyam tout en invitant à une expérience plus libre, plus ouverte, où chacun peut se reconnaître et ressentir les émotions portées par la danse.
Enfin, quelle est la question que l’on ne vous pose jamais, et que vous aimeriez que l’on pose ?
Une question que j’aimerais qu’on me pose, c’est : “Qu’est-ce qui vous fait vibrer en dehors de la danse ?” Parce que je crois que la richesse d’un artiste vient aussi de ses multiples passions et expériences.
Christine Avignon
Mots-clefs : Azadi, BharataNatyam, Chorégraphie, Danse, ÉmilieLarge, LibertéFemmes