Une créatrice incontournable de la bande dessinée congolaise
SANTA KAKESE : RACONTER KINSHASA EN BD AVEC 207 ET M’FUMU BUKU

Artiste aux multiples talents, Santa Kakese fait partie de cette nouvelle génération de bédéistes qui dynamisent la scène congolaise. Entre caricature, illustration et bande dessinée, elle dépeint avec justesse le quotidien de Kinshasa, notamment à travers ses œuvres 207 et M’Fumu Buku, l’intello. Rencontre avec une créatrice passionnée et engagée, qui nous parle ici de son parcours, de ses inspirations et de sa vision de la BD congolaise.
Votre parcours artistique est riche et engagé. Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans la bande dessinée ?
Le déclic est venu après l’obtention de mon bac en 2011, en section Peinture à l’Institut des Beaux-Arts de Kinshasa. Pour pouvoir m’exprimer dans un domaine qui me tenait à cœur, notamment la bande dessinée, j’ai choisi la filière Communication visuelle pour mes études supérieures à l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa. Même si, dans cette option, la bande dessinée ne constitue qu’une petite partie du programme de graphisme.
C’est surtout au contact de mes aînés dans le métier, un groupe de bédéistes, anciens de l’Académie, que j’ai pu véritablement m’exercer. Nous avons organisé ensemble diverses activités autour de la BD : des ateliers, des éditions artisanales, des expositions, etc. C’est ainsi que j’ai appris à aimer la bande dessinée.
Vous êtes diplômée de l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa. En quoi cette formation a-t-elle influencé votre style ou votre démarche ?
Mon passage à l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa a été très bénéfique pour ma formation. Il m’a permis d’acquérir une solide base en dessin, grâce à des cours fondamentaux comme l’anatomie artistique, l’esthétique, la composition, le bricolage, ou encore les techniques d’esquisse, qui permettent de structurer un dessin de manière efficace.
Par ailleurs, les recherches menées en art graphique ont également influencé ma manière de percevoir les choses et enrichi ma démarche artistique.
Votre BD 207 dépeint le quotidien à Kinshasa avec humour et réalisme. Comment est née l’idée de cette histoire ?
Les histoires que je raconte dans mes bandes dessinées sont tirées des réalités que je vis au quotidien, au sein de ma communauté. Cela me permet de les restituer avec plus d’émotion et de justesse. C’est ainsi qu’est née l’idée de la bande dessinée 207, que j’ai longuement mûrie en amont pour éviter toute panne d’inspiration au moment d’écrire le scénario.
Pendant mon parcours scolaire et universitaire, j’ai souvent emprunté les transports en commun, notamment les minibus appelés “207”. Il s’y passait toujours des scènes cocasses que je racontais ensuite à mes camarades, soit en arrivant à l’institut, soit une fois rentrée à la maison.
Vous utilisez le français et le lingala dans vos œuvres. Quel rôle joue la langue dans votre manière de raconter ?
La bande dessinée 207 est écrite à 90 % en français et à 10 % en lingala. À l’origine, je souhaitais faire une édition entièrement en lingala, mais après sondage, j’ai préféré opter pour une majorité de français, afin de toucher un public plus large, que ce soit au pays, sur le continent africain ou à l’international.
J’ai tout de même tenu à intégrer des expressions et des phrases en lingala, car elles font partie du quotidien à Kinshasa et permettent de renforcer l’ancrage local du récit. Ces passages sont traduits en bas de page, pour faciliter la compréhension et, pourquoi pas, initier les lecteurs à la langue.

Vous avez autoédité M’fumu Buku, l’intello via votre propre label. Quelles sont les libertés et les défis de l’autoédition en RDC ?
Le fait d’autoéditer la bande dessinée M’Fumu Buku, l’intello via mon propre label a été pour moi une véritable expérience d’apprentissage. Cela m’a permis de mieux comprendre plusieurs aspects du processus éditorial, comme le choix du sujet parmi de nombreuses idées, mais aussi l’importance de la volonté et de la persévérance pour aller jusqu’au bout du projet. Sans cela, on risque d’aboutir à un résultat final peu satisfaisant.
L’un des grands avantages de l’autoédition, c’est la liberté : celle de traiter un sujet qui nous tient à cœur, de la manière qui nous plaît. La motivation vient surtout de la passion, qui est essentielle pour affronter les nombreux défis de cette aventure parfois complexe.
Pour écouler les ouvrages, j’ai mis en place quelques stratégies simples mais efficaces : aller à la rencontre des lecteurs, créer ponctuellement de petits marchés dans les écoles, ou encore installer des points de vente dans les quartiers.
Vous êtes membre de la Nouvelle Dynamique de la BD Congolaise. Quelles sont les forces de ce collectif et ses ambitions ?
C’est pour moi une grande fierté de faire partie d’un mouvement qui a marqué une époque importante de l’histoire de la bande dessinée congolaise. La force de la Nouvelle Dynamique de la BD Congolaise réside dans la volonté de ses membres de travailler ensemble, malgré les difficultés, en cherchant des solutions collectives pour avancer.
Nous partageons une même vision : faire vivre la bande dessinée congolaise à travers nos créations, réalisées avec nos propres moyens, dans un contexte où il n’existe pas encore d’industrie structurée autour de la BD. Ce collectif, c’est aussi un espace de solidarité, d’émulation, et de résistance artistique.
Comment percevez-vous la place des femmes dans la bande dessinée congolaise et africaine aujourd’hui ?
La femme, qu’elle soit congolaise, africaine ou d’ailleurs, a pleinement sa place dans la bande dessinée, tout simplement. Même si nous sommes encore très peu nombreuses dans un domaine largement dominé par les hommes, notre talent et notre détermination suffisent à ouvrir la voie et à faire notre place.

Votre travail mêle caricature, illustration et peinture. Comment passez-vous d’un médium à un autre ?
Ce n’est pas évident de jongler entre plusieurs disciplines. Chacun de ces domaines, la caricature, l’illustration, la peinture, demande beaucoup d’implication, d’énergie et de temps pour se faire un nom dans notre société.
À un moment donné, j’ai dû mettre la peinture de côté, car la bande dessinée me prenait énormément de temps. Mais aujourd’hui, je réorganise mon emploi du temps pour pouvoir m’y remettre, sans avoir à faire de choix définitif entre mes différentes pratiques artistiques.
À quels projets travaillez-vous actuellement, ou quels rêves aimeriez-vous concrétiser dans les années à venir ?
Je travaille actuellement sur le deuxième chapitre de ma bande dessinée 207. Mais mon rêve, c’est de vivre l’expérience d’être éditée par une maison d’édition, de répondre à ses exigences, et de me consacrer pleinement à la création. J’aimerais pouvoir confier la promotion et la distribution à des structures outillées, car ce sont des tâches très énergivores.
Mon objectif, à long terme, est aussi de contribuer à faire reconnaître la véritable valeur de l’art, d’apprendre à ma communauté à le considérer et à le consommer plus facilement.
Enfin, quelle est la question que l’on ne vous pose jamais et que vous aimeriez que l’on vous pose ?
La question qu’on ne me pose jamais, c’est : « À part le dessin, avez-vous découvert d’autres talents ? Et les pratiquez-vous ? » C’est une question que j’aimerais entendre, car elle permettrait de dévoiler d’autres facettes de moi.
Christine Avignon
Mots-clefs : créatrice incontournable de la bande dessinée, Santa Kakese