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Regina Yaou (écrivaine et scénariste) ” Mes romans reflètent tellement le quotidien des gens”

Macaire Etty | | 100% potins

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Régina Yaou est certainement l’une des plumes les plus fécondes de Côte d’Ivoire. Depuis La Citadine, une nouvelle écrite à l’occasion d’un concours littéraire qui l’a révélée, elle est restée constante dans la sphère de la production littéraire …Aujourd’hui son nom est devenu une référence. Dans cet entretien, sans faux fuyant, elle nous donne l’occasion de la redécouvrir et de l’apprécier… Wohi !

Qui est Régina Yaou ?
Je suis née à Dabou; j’ai étudié principalement au Collège Moderne Voltaire de Marcory, au Lycée Technique de Cocody, à l’université François Rabelais de Tour en France et à l’université de Cocody. Veuve, je suis mère d’Arnaud et d’Hermann, et grand-mère de Perside. Je m’essaie à l’écriture depuis l’âge de 12, 13 ou 14 ans. J’ai 21 publications à ce jour, auxquelles s’ajoute un scénario (adaptation d’un de mes romans). La lecture et la création littéraire sont mes deux grandes passions de sa vie.

Quelles sont vos occupations actuelles ?
Je me consacre à l’écriture et m’essaie, depuis peu, à la scénarisation. J’écris –ou réécris– des livres pour d’autres personnes. Spécialement dans la sphère évangélique. J’offre aussi des services en consultance (traduction anglais français, assistanat de direction, conseil en édition, etc.)… J’ai revu les manuscrits de Les germes de la mort, une trilogie qui va être rééditée ces temps-ci ; j’ai déposé chez mon éditeur principal Au cœur de la fournaise, un autre thriller. J’ai l’intention de continuer la rédaction de Le sceau de la disgrâce, un autre roman en jachère depuis longtemps. Il serait fastidieux d’énumérer tout ce que je fais parce que je travaille sur plusieurs choses à la fois.

Pourquoi l’homme est-il souvent présenté sous des traits sombres dans les romans écrits par les femmes ?
Traits sombres ?  Nous les présentons comme ils sont, la plupart d’entre eux en tout cas. Et dans quel roman écrit par les hommes les femmes sont portées aux nues ? Citez-moi vite un titre et je cours l’acheter.

Dans L’indésirable, Lezou Marie ou La révolte d’Affiba, la femme est toujours la victime et l’homme le bourreau. Votre commentaire.
Quels commentaires ai-je à faire ? Mes romans reflètent tellement le quotidien des gens qu’il n’y a aucun commentaire à apporter ici. Il existe, cependant, des femmes qui font souffrir des hommes de bien. Je les condamne, mais dans le fond, cela me réjouit, car elles vengent ainsi la plupart des femmes.

Que recherchez-vous en enflant la charge pathétique de votre roman Le Glas de l’infortune ?
Enfler la charge pathétique de mon roman Le glas de l’infortune ? Comme vous y allez ! J’ai juste essayé de me mettre à la place des protagonistes, surtout la fillette, sa mère et sa tante. Il est bon que les gens réalisent combien il est cruel de donner un être humain –donc toute une vie– en garantie d’un prêt. Quels sont ceux qui ont inventé des coutumes aussi barbares, sinon des hommes qui, depuis toujours, ont eu des idées « lumineuses » de ce genre ? Vous n’inculquerez jamais une leçon à quelqu’un pour longtemps en le faisant rire. En le faisant pleurer, si.

Qu’avez-vous voulu nous transmettre dans Coup d’Etat et dans Histoires si étranges ?
Dans Coup d’Etat, je voulais montrer le quotidien des gens à cette époque charnière de notre histoire, les événements de 1999 qui devaient se prolonger jusqu’en 2000. Je voulais aussi relever le fait que nous continuons de vivre, malgré tout. On continue de tomber amoureux, on continue de fabriquer des bébés ou même de rire et de pleurer comme par le passé. L’amour est la chose la plus incongrue et la plus incontrôlable de la terre.
En ce qui concerne Histoires si étranges, je voulais juste partager avec le lecteur ces petits récits qui interpellent. Le surnaturel m’a toujours intriguée et le fait de ne pas trouver à tous les coups une réponse cartésienne à mes questions exerce sur moi une sorte de fascination. Je sais que ce sont des genres d’histoires que les Africains aiment et, comme je le disais, je voulais les partager avec eux. Ce que j’ai fait, c’est juste mettre en scène des histoires que l’on m’avait racontées çà et là, il y a bien longtemps. Dans la première quinzaine du mois de mars 2012, un autre recueil du même genre, intitulé Les souris de Simakouss et autres faits insolites, sera en librairie. Des histoires vraiment percutantes.!

Vous semblez vous éloigner de la littérature féministe, n’est-ce pas ?
Pourquoi les gens aiment-ils coller des étiquettes aux autres ?  Je suis un écrivain tout court, vous savez. Et si j’ai vraiment du talent, je dois être capable de m’illustrer dans différents genres. Lorsque j’aurai publié les deux autres thrillers que j’ai commencés, que deviendrais-je ? Une spécialiste des romans à suspense et rebondissements que sont les thrillers ? J’espère que non. Je pense que je continuerai de défendre la cause de la femme quand le besoin s’en fera sentir, mais j’écrirai aussi sur d’autres sujets. On dit que j’ai été la première Ivoirienne a avoir écrit une nouvelle ; je veux bien être la pionnière du thriller en Cote d’Ivoire (rires).

Quelle est la place de la femme ivoirienne dans la littérature de notre pays ?
La femme ivoirienne est en bonne place dans cette littérature depuis quelques années. Après les précurseurs que furent Dadié, Aké Loba, Amon d’Aby, Nokan, Zadi, Paul Ahizi etc. la deuxième vague d’écrivains ivoiriens a vu l’apparition de plusieurs femmes, dont un petit peloton a marqué cette littérature et continue de faire parler de lui. Sur le plan international, après les Sénégalaises qui sont connues dans le monde non seulement pour leur talent, mais aussi parce qu’elles sont traduites dans plusieurs langues, viennent les Ivoiriennes. Allez sur internet, vous verrez ou alors consultez le très documenté ouvrage de Gnaoulé Oupoh sur ce sujet.

Que représente la littérature pour la femme ?
Comment voulez-vous que je réponde pour tout le monde ? Je ne sais qu’une chose, ce qu’elle représente pour la femme que je suis. Pendant longtemps, la littérature, à laquelle je suis venue sans même le savoir a été juste un hobby. Et puis, en 1988, après mon retour du Canada où j’avais été invitée à représenter mon pays à la 3eme foire internationale du livre féministe, le déclic a eu lieu. Je ne voulais rien faire d’autre dans ma vie, sauf être écrivain et j’avais déjà publié 3 romans. C’est fou, quand on sait que personne ne vit de sa plume sous nos cieux, particulièrement à cette époque. J’ai pris mon mal en patience jusqu’en 2003 où j’ai quitté un emploi qui me permettait juste de payer mes factures, pour me consacrer à la création littéraire. J’ai d’ailleurs été assez malheureuse pendant ces années de vie professionnelle en entreprise parce que je mettais mon don le plus précieux sous l’éteignoir, mais je ne gagnais guère d’argent pour autant. Alors je me suis dit que, tant qu’à avoir du mal à joindre les deux bouts, autant que ce  soit pour une bonne cause. Au finish, je ne pense pas que je sois perdante. Ma vie comporte des hauts et des bas, mais ça, c’est le quotidien de nombreuses personnes. Il m’arrive même d’avoir plus que le minimum vital.

La littérature, c’est pour moi un prétexte pour attirer le regard des uns et des autres sur certains maux qui minent la société dans laquelle nous vivons. C’est pour moi aussi le canal pour véhiculer nos us et coutumes et permettre aux gens de connaître leur histoire. Mais la littérature, c’est avant tout ma vie, je n’y renoncerai jamais. En tout cas pas tant que Dieu me conservera le souffle de vie et l’inspiration.

Dénoncer suffit-il pour faire changer les choses ? Les écrivains réussissent-ils à se faire entendre ?
A force de dénoncer, les choses peuvent changer. Je me base sur le phénomène de l’érosion. A force de tomber toujours à la même place une goutte d’eau finit par faire une brèche dans un rocher. Cela prend du temps, c’est vrai, mais finit par arriver.
Les écrivains se fontils entendre des pouvoirs en place en Afrique ? Vous savez très bien qu’il n’en est rien. Lorsque l’on ne met pas un terme à votre vie physiquement, on vous chasse de votre travail sous de fallacieux prétextes, vous condamnant du jour au lendemain à la galère. Mais les écrivains écriront toujours, avis aux concernés.

Que pensez-vous de l’édition en Côte d’Ivoire ?
C’est un secteur en pleine expansion,  mais peut-être plus quantitativement que qualitativement, à mon sens. Certaines maisons ont un capital social inférieur au montant des frais d’édition d’un roman …Pour ce qui touche à la littérature générale, le talon d’Achille de l’édition ivoirienne, c’est son manque d’engouement pour la production d’œuvres traduites en langues étrangères. Les éditeurs veulent que leurs homologues étrangers viennent leur acheter les droits pour publier leurs auteurs. Mais à moins d’avoir gagné un prix en Occident, le livre ne risque pas d’être l’objet d’un tel intérêt. Mais si celui-ci existe déjà en traduction, il trouvera preneur. Personnellement, lorsque je visite une université aux Etats-Unis, les gens demandent toujours la version en anglais pour leurs départements d’anglais, d’études africaines ou de women studies. Année après année, j’ai beau en parler à mes éditeurs, rien à faire. Mais j’ai l’intention de trouver des financements dans les mois à venir pour commencer à publier mes livres en langue étrangère, surtout La révolte d’Affiba et son second tome, Le prix de la révolte.

Plus d’œuvres éditées, plus de littérature…Est-ce la voie d’une réelle prise de conscience générale ?
J’aimerais bien le croire, mais je suis plutôt tentée de penser que c’est pour répondre à la demande du public qui commence à s’intéresser à la littérature de loisir. Les romans se vendent bien, mais l’auteur n’a que 10%, ce qui est dérisoire dans un pays où l’on préfère emprunter le livre plutôt que de l’acheter. Mais si l’on peut apporter sa contribution financière, le taux peut s’élever aussi.

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