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Momo Ndiaye : « Le talent est inné, mais il faut la formation pour être professionnel… »

Arsene DOUBLE | | Société

Il est à peine 18h quand nous faisons notre entrée à “Georges 5”. Puis, nous nous dirigeons vers le Club Cigare, où trône le fameux Momo Ndiaye. Une fois entrés dans le magnifique club, nous sommes chaleureusement accueillis et bien installés auprès de l’administrateur de l’espace, visiblement ravi de notre visite. Barbes poivre et sel, Ndiaye Raymond Adolphe Souleymane, connu sous le nom de “Momo Ndiaye”, âgé de 51 ans, est un célèbre promoteur culturel. Grand homme de culture, il est l’actuel gérant du Club Cigare, une entité de la prestigieuse boîte de nuit “Georges 5”, sis à Abidjan Cocody Angré. Dynamique et doté d’une polyvalence inouïe, Momo Ndiaye passe pour un véritable amoureux de musique et de gastronomie. Tour à tour gérant et gérant-associé de plusieurs night club et espaces culturels de la capitale ivoirienne, Momo Ndiaye a lui-même déjà été propriétaire de restaurant et bar-restaurant. Aussi, en sa qualité de grand administrateur, il s’est vu plusieurs fois attribuer la direction commerciale de quelques complexes hôteliers, à savoir “Les Résidences Dippoka” et “Les Résidences Niable” à Cocody 2 Plateaux. L’équipe de rédaction de 100%culture est allée à la rencontre du quinquagénaire ce vendredi 12 juillet 2019.

 

Qui est Momo NDiaye ? 

Je suis un jeune africain  d’origine ivoirienne et sénégalaise, célibataire et père de trois enfants, trois belles et grandes filles. J’ai la cinquantaine révolue. Je suis un promoteur culturel. Je promeus des festivals, des concerts et je gère des espaces de loisirs. 

 

Qu’avez-vous fait comme profession avant d’être gérant chez “Georges 5” ?

Etudiant en Sciences-Économiques et Sociales, je suis sorti de l’université[ ndlr, de Côte d’Ivoire] en 1992, malheureusement sans avoir obtenu ma licence. Et, dès ma sortie de la Fac, l’année suivante, j’ai fait ma crise d’adolescence. C’était pour  des raisons familiales.

Et par hasard, amoureux de la musique,  je fréquentais les night-club [ ndlr, boîtes de nuit] et les bars. C’était de mon âge, en tout cas . Et puis, je me suis intéressé   beaucoup plus à la gestion de ce type d’entreprise. J’ai eu ma première boite en 1993.

 

A vous entendre, vous semblez être un amoureux de la musique, mais pourquoi ne vous êtes-vous pas lancés dans un tel domaine ?

Effectivement, je suis un passionné de la musique. Mais, il y a des personnes qui aiment le football, mais qui ne sont pas footballeurs. Moi, j’aime la musique, mais je crois pas avoir des talents de musicien.

La musique est vaste. Je vais bien vous expliquer. Dans la musique, il y a le producteur. C’est une chaîne, la musique. L’artiste, c’est la fin. Dans certains pays, il y a des gens qui écrivent les chansons parce qu’ils ont le talent de le faire. Ils sont des gens intelligents comme vous. Ils sont des artistes dans la tête mais ils n’ont pas de belles voix. Il y a d’autres qui ont de belles voix, mais qui n’ont pas toujours d’inspiration. Voilà, ça fait déjà deux dans la chaîne.

Pour que ça aille bien, il faut trouver la musique. Même, quand on trouve la musique, on va chez un ingénieur de son, qui est passionné de musique, mais qui n’est pas chanteur.

Voilà, mais ici [ ndlr, en Côte d’Ivoire], on mélange tout ! Il y a beaucoup de gens qui aiment ou veulent chanter, mais qui ne sont pas des chanteurs.

 

Êtes-vous propriétaire de ce prestigieux établissement  “Georges 5” ?

 Non ! J’y travaille.

 

Quel est votre rôle dans l’établissement ? 

Je suis gérant du Club Cigare, qui est une autre entité de la boîte de nuit, sinon de la discothèque [ndlr Georges 5].

On a deux types de clientèle. On a une clientèle night club, qui est assez disciplinée, en tout cas chez nous. L’âge moyen est de 35 ans et plus, il n’y a pas d’enfants ici.  Maintenant ici, vous savez comment ça se passe ? Il y a de nouvelles lois. 

 

Quelles sont ces nouvelles lois ? 

Mais, ces lois-là sont simples. Elles doivent être connues de vous. Car on dit qu’aucun citoyen n’est censé ignorer la loi. 

En ce qui nous concerne, il y a des espaces qui sont  non-fumeur et fumeur, voilà. Donc ici, c’est un espace fumeur où on vend des cigares, on peut en consommer. 

Notre clientèle qui est là-bas, qui a envie de fumer, qui n’a pas envie de déranger les autres, conformément à la lois, doit être ici [ ndlr, au Club Cigare]. 

 

Faites-vous toujours la même activité ou êtes-vous polyvalent ? 

Mon métier, c’est déjà être polyvalent. J’ai la prétention d’être intelligent. Donc, je peux faire beaucoup de choses en même temps, mais qui reste dans la même famille…[ ndlr, activités s’inscrivant dans son champ de compétence]. 

 

Quelles sont vos heures de travail ? 

Ouh ! je travaille tout le temps. Maintenant, si c’est à des heures d’ouverture… Je travaille tout le temps. Je n’ai vraiment pas de repos.

 

Cela n’a-t-il pas d’impact sur votre santé ? 

Forcément.

 

Mais, comment faites-vous ?

Je me repose beaucoup. Je suis quelqu’un de discipliné, malgré mon addiction au tabac.

 

Quelle observation faites-vous des acteurs de la culture en Côte d’Ivoire ?

Je vais vous faire une confidence : je lis un bouquin, chaque deux semaines.

Donc, je déplore le fait qu’il n’y a pas beaucoup de bibliothèques. Il y a plus de maquis en Côte d’Ivoire que de bibliothèque. C’est déplorable.

Donc, le niveau…Car la question est plus profonde. Le niveau est bas. Car, la culture, ça s’apprend. Moi, je vais à des vernissages.

Si  vous demandez à un jeune homme, c’est quoi le vernissage ? Il sera incapable de vous répondre. Il pensera au vernis des femmes. Il ne s’est pas que c’est une exposition, à part vous [ndlr , les journalistes]. Comprenez !

Donc, vous voyez déjà, trop d’illettrisme. Tout le monde veut ressembler à A’salfo- du groupe Magic System. Tout le monde veut ressembler à Yodé et Siro. Tout le monde veut ressembler à tant… Parce qu’ils se disent que c’est facile. Le showbiz, on peut se réveiller à n’importe quelle heure. Mais, ce n’est pas ça. 

Il faut être former. Bebi Philip sort de l’Insaac-Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle. Je ne suis donc pas étonné de ses arrangements, mais, pour moi, ce n’est pas un chanteur. C’est un grand arrangeur.

Serge Beynaud a également fait un tour à l’Insaac. Je ne suis pas étonné de ses performances, mais, pour moi, ce n’est pas un chanteur, même pas moyen. Ce sont tous de piètres chanteurs.

Mais, pourquoi ils sont si adulés ? Moi, je sais pas.  Mais, il faut respecter l’art aussi. Ils ont les trucs, ça prend. Mais, ça prend sur qui? Sur des gens qui ne connaissent pas la musique. Le niveau de la musique en Côte d’Ivoire a baissé. Le niveau de la culture…

Combien de personnes vont-ils au cinéma ? C’est vrai, il y a la révolution des Ntics. Mais fréquenter une salle de cinéma, c’est différent. Fréquenter des bibliothèques, c’est différent que de lire un bouquin. Puisqu’il y a des bouquins, qu’on vous envoie maintenant de façon électronique. Mais, moi, j’ai l’amour du papier.

Ici, on fait la courtoisie à la médiocrité. Faut jamais accepter ça ! Et notre culture aujourd’hui va vers ça. Quand un monsieur, comme Arafat, arrive à remplir les stades, des grosses salles de spectacle. Ça m’inquiète. Je suis inquiet pour ma jeunesse. Qu’est-ce qu’elle écoute ?

Donc, les jeunes doivent se former. Moi, j’aime discuter avec des personnes qui ont le même niveau de langage que moi…

On peut avoir du talent, mais il faut travailler. Sans travail, il n’y a pas de talent. Le talent est inné, mais il faut la formation pour être professionnel. On peut-être talentueux, mais être un mauvais prestataire.

Je vais aller un peu plus loin, en donnant un exemple qui n’a rien avoir avec l’art. Mais, le football, c’est aussi de l’art.

Je connais un footballeur, que j’appelle tricheur qui coûte très cher, il s’appelle Neymar, mais qui ne travaille pas. Pourtant, il est talentueux. Il s’arrête là.

Par contre, il y a un autre qui ne fait que travailler, Cristiano Ronaldo. Je ne suis donc pas étonné de ses prouesses. Cristiano n’est pas né talentueux. Il connaissait ses carences. Il a donc travaillé.

On veut aller en France , c’est pour faire quoi ? Pour jouer dans des boîtes comme ça en France.

Nos jeunes manques d’ambition. Nos jeunes sont pressés. Chacun veut ressembler à A’salfo. Mais, ils ne connaissent pas l’histoire d’A’salfo. Beaucoup de privation, beaucoup de travail, beaucoup d’audace. 

Il [ndlr, A’salfo] n’est pas talentueux. Mais, il a travaillé. Il est rentré dans un système. Il a compris le système. Et, il a un un bon niveau. Donc, il peut discuter avec un producteur. Il peut discuter avec un tourneur. Il sait lire un contrat. Même quand il ne sait pas lire, il peut recourir aux smartphones. Dans les smartphones, il n’y a pas que Facebook, Instagram et Snapchat. Il y a aussi Google. Je ne comprends pas quelques choses. J’interroge Google : de quoi s’agit-il ? Donc, mon message, c’est la formation, oui, la formation. Les artistes doivent donc se remettre au travail.

 

Vous venez de lancer un message fort à l’endroit des tous les acteurs de la culture, en l’occurrence nos artistes, en les exhortant à se former. Et, parlant toujours de formation, nous remarquons que cette formation est quasi-inexistante  dans nos écoles. comment explique-t-on cela ?

L’Etat est défaillant. Vous qui êtes étudiants, réhabiliter l’université, pour moi, c’est une œuvre de reconnaissance, c’est bien. Mais, il n’y a pas eu de réhabilitation. Vous travaillez dans quelle condition ?

A l’université, c’est grave. Même l’apprenant ne respecte même plus les valeurs morales. L’apprenant ne respecte plus le professeur. Nous, on ne pouvait pas le faire à notre temps. Donc, la transmission se fait comment ?

L’échec de l’Etat, il est visible. Les formateurs sont déjà eux-mêmes mal formés. J’ai beaucoup d’amis professeurs de lycée, collèges, et quelques uns d’université qui sont eux-même déçus du système. Donc, ils font quoi ? Ils baissent les bras ? Donc, petit moyen, petit cours. 

J’ai lu qu’au BEPC 2019, on est à 57,31 %. On a perdu neuf points par rapport à l’année dernière. Mais, le niveau est bas. Qu’est-ce qu’on fait maintenant pour relever le niveau ? 

On nous apprend qu’on électrifie notre village. Aussitôt, nous nous mettons à célébrer cela. Mais, pourquoi ? Mais, c’est le rôle de l’Etat. Pourquoi, je dois applaudir ? C’est ce qu’il aurait dû faire depuis. Mais, c’est mon “taman” [ Ndlr, mon argent en nuchi, jargon ivoirien ] que tu prends pour aller mettre courant là. C’est pas l’argent de quelqu’un. Chacun de nous ici est imposé. Mais ça, c’est quoi ? C’est l’illettrisme, la non-formation. 

Le taux d’alphabétisation frôle les 60%. Sur dix ivoiriens, il y a six qui ne savent ni lire ni écrire. C’est un problème. C’est là, le combat.

On me trouve compliqué et stricte. Mais, je suis allé à l’école. Et comme j’ai arrêté vite, je n’ai jamais cessé de me former. Je connais mes lacunes, je connais mes carences. C’est la formation.

 

Un dernier mot ?

Je demande aux jeunes de recourir à la formation quel que soit le métier qu’ils aimeraient embrasser…

 

Arsène DOUBLE