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M.Michel Abdoulahab, professeur de sciences économiques : « Etre francophone en Afrique est un réel atout économique dans la mondialisation d’aujourd’hui »

Youcef Maallemi | | Dossier

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Professeur de sciences économiques détaché au Ministère des affaires étrangères. Auparavant affecté  à N’djamena, au Tchad, durant quatre ans, il est depuis septembre 2016 nommé au lycée français de Luanda (Angola). Il  a développé à N’djamena l’idée d’une francophonie économique, notamment au centre culturel français, en développant des formations à l’entreprenariat et des débats sur des thématiques relatives à l’économie du développement, en français.

 

Qu’est ce que la francophonie économique ?

La francophonie économique est plus précisément, se distingue en quatre grands groupes linguistiques en Afrique : L’Afrique anglophone, l’Afrique francophone, l’Afrique arabophone et l’Afrique Lusophone. On peut constater que même si l’ensemble du continent connait des taux de croissance économique relativement important’ environ 5% par an,  il existe des disparités selon les zones linguistiques. La zone la plus dynamique est la zone anglophone : Des pays comme le Nigeria ou le Ghana en Afrique de l’ouest, ou encore les pays de l’est de l’Afrique comme le Kenya  sont extrêmement dynamiques, en tout cas plus dynamique que les pays francophones. Par exemple, le Nigeria en 2012 affichait 11%de croissance alors que le Cameroun 4%.Ces divergences de taux de croissance économique s’explique nt en partie par le fait que la culture entrepreneuriale est plus prégnante dans la culture anglo-saxonne que dans la culture française .La culture du business  y existe depuis longtemps. Au vu de ce constat peut-on dire que la francophonie est un obstacle au développement ? Il apparait qu’au contraire, appartenir à cette zone d’influence  linguistique recèle un potentiel d’opportunité de croissance et de développement très important si on parle de francophonie économique.

 

Selon vous, quelles sont les causes qui freinent le développement de l’Afrique francophone de la Sous région ?

Il existe une multitude de causes au problème de développement de l’Afrique francophone de la sous région. On peut en identifier  deux principales : L’enclavement de ces pays et l’étroitesse du marché. A cet égard, la francophonie économique peut être un élément de remédiation à cet état de fait et donc être un facteur d’émergence économique pour les économies de ces pays :

1. par le développement d’accord de libre échange entre pays francophones,

2. Par, la création d’un grand marché unique en Afrique francophone.

La transformation des zones CEMAC et CDAO, qui sont des zones monétaires en zone de libre échange pourrait apparaitre comme étant le début d’un processus d’intégration économique dans la sous région. A l’instar de ce qui se passe  en Asie du sud est avec l’ASEAN ou l’Amérique latine avec le MERCOSUR ou le Pacte Andin, la création d’un marché unique dans la sous région permettrait grâce à la libre circulation des biens des services et des capitaux l’émergence d’un environnement favorable au développement économique et à la croissance d’entreprises locales et l’installation d’entreprises étrangères. Les problèmes de saturation des marchés seraient réglés,  Les économies d’échelle générées par les entreprises permettraient  d’augmenter le potentiel de croissance de ces économies, leur profitabilité  et le niveau d’emploi dans la sous- région. Des cercles vertueux en matière d’emploi, de revenu  et d’investissement  s’enclencheront entrainant à terme le développement d’une classe moyenne importante moteur de la croissance par sa consommation. Une hausse des ressources fiscales  liées à l’augmentation de l’activité procurera des ressources pour les Etats de la région ce qui compenserait l’absence de droit de douanes. Le ciment culturel francophone, renforcée par une monnaie unique, le franc CFA. L’utilisation d’une monnaie commune permettrait  aux entreprises travaillant dans la sous région de limiter l’incertitude liée au change, et donc les couts de transaction. C’est un avantage comparatif facteur de croissance.


Est-ce que, aujourd’hui, l’espace francophone mondial intègre-t-il  des pays émergents asiatiques et africains ?

Oui, mais aussi des pays du nord, développés tel  que la France, la Suisse et le Canada avec le Québec. Des transferts de technologies, de savoirs faire peuvent de ce fait être développés entre pays francophones du nord et pays africains : En effet, la langue commune, le »penser commun », car n’oublions pas que l’on pense toujours  dans une langue, favorise les transferts de savoirs, savoirs faire et transferts de technologie. Par exemple, le bois n’est valorisé qu’a 20%- 30%au Cameroun alors qu’il lest à 70%80% au Québec. Le Cameroun pourrait bénéficier de l’expertise Québécoise sans la barrière de la langue. La RDC pourrait aussi valoriser son énorme potentiel  hydraulique avec l’expertise Québécoise. Ou encore, la cote d’ivoire, gros producteur de cacao,  pourrait s’associer avec les leaders du chocolat suisse. Des opportunités de Co-entreprenariat existent donc  entre pays francophones du nord comme du sud. De même, des partenariats sud-sud peuvent aussi se développer entre pays africains francophones et le Vietnam ou le Cambodge, comme par exemple dans la filière de la noix de cajou, ou l’expertise asiatique pourrait être bénéfique aux producteurs béninois. Des stratégies dites de filières peuvent donc se développer entre firmes issues des pays francophones du nord  ou d’Asie et opérateur africains. L’Afrique, futur premier marché mondial à l’horizon 2050, avec 2 milliards de consommateurs et un PIB estimé à l’horizon 2020 a 2500 milliards de dollars, connaitra dans les années à venir un taux d’urbanisation de 50% et un réel développement de la classe moyenne, moteur de la croissance économique et du développement  par sa consommation et l’augmentation de son niveau d’instruction. Cette classe moyenne africaine est  estimée aujourd’hui à  quelques300 millions de personnes. Elle doublera dans les 10 ans à venir, ce qui permet d’affirmer qu’ »aujourd’hui, bon nombre de marchés restent encore vierge. Ces projections nous montrent que le continent africain va devenir de plus en plus attractif pour les IDE. Leurs  stratégies vont dépasser le cadre de l’exploitation  et la commercialisation des matières premières pour s’orienter vers des productions s à plus fortes valeurs ajoutées et à contenu technologique. Cette dynamique de développement, appelée stratégie d’exportation substitution, ou encore stratégie d’industrialisation extravertie, est à ce jour la seule qui puisse  permettre l  émergence économique, à l’instar des dragons asiatiques. Emplois  création de richesses et transferts de compétences devront être les conséquences de l’installation de  ces IDE en Afrique.

 

La langue française est apparaitre comme  étant un outil essentiel de transfert des savoirs et  savoirs faire, de coopération Nord-Sud et Sud-Sud, et donc de développement économique dans l’ensemble de l’espace francophone. Vous validez ? 

La croissance à des caractéristiques organiques et non mécanique. C’est à dire que c’est la création de richesses qui génère d’autres processus de création de richesses  ou encore que c’est l’emploi qui crée de l’emploi. Aujourd’hui, Les pays de la Triade c’est-à-dire l’UE, les USA et dans une moindre mesure le Japon  sont économiquement affaiblis par une croissance atone, un chômage de masse et une dette publique colossale. La croissance des BRIICS s’essouffle, en premier lieu la Chine, l’Inde et la Russie. C’est aujourd’hui  au tour de l Afrique de prendre le relais de cette croissance c’est à dire d’être la future locomotive de l’économie mondiale. Le Président Barack Obama déclarait : « L’Afrique est devenu un continent incontournable pour toute nation qui se veut être globale ». La francophonie économique à un réel rôle à jouer dans la construction de ce nouvel ordre économique et  apparait  aujourd’hui  comme étant une réelle opportunité,  de croissance pour les pays du nord, et de développement économique et social pour les pays africains. Le développement de relations économiques nord -sud mais aussi sud -sud sous tendues par un ciment linguistique et culturel commun (la langue française) apparait comme étant une source très importante de création de richesses et de développement économique.  Ceci devant être fait dans un jeu « gagnant-gagnant » c’est-à-dire équitable entre opérateurs africains et occidentaux.
Etre francophone en Afrique est un réel atout économique dans la mondialisation d’aujourd’hui.

 

Entretien réalisé à Paris par : Youcef MAALLEMI


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