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Rencontre avec le peintre éhtiopien Yared Nigussu « TANT D’HISTOIRES SE CACHENT DERRIÈRE UN VISAGE »

Christine Avignon | | Arts Visuels

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Les clients du bar « la Caravelle », à Paramé, ne se lassent pas d’admirer les splendides toiles qui en ornent les murs depuis début février. Elles sont l’œuvre de Yared Nigussu, un jeune peintre éthiopien installé à Saint-Malo depuis 2007.

Ce qui frappe avant tout dans les œuvres de Yared, ce sont les couleurs : du rouge, du jaune, du orange, qu’il applique avec générosité. Une harmonie de couleurs chaudes comme l’Afrique, dont il est originaire, et plus précisément de son pays natal, l’Éthiopie. Alors, forcément, on s’approche, parce que l’on a envie de voir de plus près… et là c’est la matière qui nous surprend, d’où l’intérêt de contempler ses toiles « en vrai », et non pas uniquement sur Internet. C’est dans la réalité qu’elles prennent toute leur dimension, qu’il s’agisse des nombreux portraits, de sa série de paysages vénitiens, des boxeurs ou des musiciens. Il se dégage de ses toiles une impression d’urgence, comme si l’artiste courait à chaque fois après le temps lorsqu’il peint. Il le dit d’ailleurs lui-même, c’est ainsi que naissent la plupart de ses créations. Une envie soudaine de reproduire sur la toile une image qui lui traverse l’esprit. Il s’enferme alors dans son petit atelier (en fait, une cave aménagée) à Paramé, et n’en ressort que lorsqu’il a terminé. Dans ses moments-là, inutile de le déranger : Yared se coupe du monde et se consacre entièrement à ses pinceaux (et non pas à ses couteaux, comme on pourrait le croire parfois en voyant ses œuvres !). A peine entend-il la musique qu’il aime mettre en fond sonore lorsqu’il travaille (notamment Mulatu Astatke, le père de l’Ethio-jazz).

Il travaille actuellement sur une série de portraits : « Je suis fasciné par la beauté des visages, leur forme, le regard. Deux yeux peuvent cacher tant de choses, tant d’histoires… c’est une source d’inspiration inépuisable pour moi ». Ses portraits lui sont inspirés par des personnes qu’il croise dans la rue, mais aussi par des photos qui attirent son regard dans des magazines, sur Internet, ou encore par les visages d’inconnus ou de célébrités vus à la télévision. « En fait quand un visage me plaît, j’en fait un petit croquis rapide au stylo-bille, puis je le peins ensuite à la peinture à l’huile sur des toiles, souvent de grands formats. Je joue avec tous ces visages, j’en donne ma vision. Je regarde et je transforme. Cela me procure un bonheur intense, d’une certaine façon on pourrait aller jusqu’à dire que c’est ce qui me fait vivre ». Sa technique lui a été inspirée par le pointillisme (procédé pictural consistant à juxtaposer sur la toile de minuscules taches de couleurs pures, dont l’effet est visible à une certaine distance du tableau), et notamment le peintre Cézanne, mais il souligne qu’il s’enrichit continuellement de ses rencontres avec les artistes, célèbres ou non. « Il faut que mes toiles suscitent une émotion chez ceux qui les contemplent. Une réaction, bonne ou mauvaise. Cela ne me gêne pas que l’on n’aime pas mon travail, en revanche cela me touche si l’on y est indifférent. Cela signifie pour moi que je n’ai pas atteint mon but ».

Mais d’où vient Yared, et comment est-il arrivé à Saint-Malo ? Diplômé en 2005 de la School of Fines Arts and Design d’Addis Abeba (l’équivalent des Beaux-Arts en France), il enseigne ensuite les Arts Plastiques à l’université et dans quelques lycées de la capitale éthiopienne. Il crée par ailleurs le groupe « Girgim Studio », collectif d’artistes éthiopiens avec lesquels il partage un atelier. En 2006, grâce à une bourse d’étude, il vient apprendre le français pendant trois mois à Besançon, puis est ensuite professeur stagiaire à l’IUFM de Rennes. C’est à ce moment qu’il découvre Saint-Malo, ville pour laquelle il a immédiatement un gros coup de cœur : « J’ai aimé les paysages, la tranquillité, j’ai pensé que ce pourrait être un endroit où je trouverais facilement l’inspiration ». Il s’y installe donc en 2007 et sympathise rapidement avec plusieurs Malouins. En 2008, il participé au forum des arts (ses toiles étaient exposées à la tour Bidouane) et au salon « Remp’arts et Chevalets ». Il est également en contact avec la galerie d’art africain « Les naufragés du temps ». Dans la région, il a déjà exposé à Cancale, Erquy ou encore Redon.

Aujourd’hui il commence à exporter son talent ailleurs qu’en Bretagne, puisqu’il est en contact avec plusieurs lieux à Nantes, en attendant, qui sait, de s’envoler pour le Canada, pays qu’il rêve de découvrir. Yared, comme tout Breton qui se respecte, a en effet l’âme d’un voyageur. Difficile pour lui d’imaginer un jour poser ses valises plus de quelques années au même endroit. Le monde est là qui l’attend, riche de visages à peindre, d’artistes avec qui échanger, de nouvelles couleurs et de nouvelles techniques à découvrir. Profitez donc vite de son escale malouine pour découvrir ses toiles, avant qu’il ne s’éloigne vers un autre continent.

http://yaredspaintings.spaces.live.com
Exposition temporaire au bar « La Caravelle » à Paramé jusqu’au 31 mars, puis au Casino Barrière en mai.