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Identification Installation d’une « audience foraine » par Jacobleu

Henri Nkoumo | | Arts Visuels

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Reformuler, souvent sous un angle conceptuel, certaines des grandes questions existentielles que se posent les hommes dans ce monde engagé dans des chemins par trop brumeux: tel est un des destins de l’art contemporain. Jacobleu, artiste ivoirien en constante ascension, inscrit ses nouvelles orientations artistiques dans cette voie.

Le concept qu’il manipule et soumet à notre regard est celui de l’identification, titre légitime de son exposition. Son but est certainement de pousser tous ceux qui passent les portes de la salle d’exposition à se laisser pénétrer des idées de rapprochement, de contact, de communication face à la difficile problématique de l’identification. Une problématique vécue avec force bruit et déchirement aussi bien sur le plan national, africain que mondial. Vu sous cet angle, cette exposition est condamnée à plonger ses racines dans les écheveaux de l’engagement politicien, alors que l’intention première de l’artiste est d’affirmer un regard purement social et humain.

Sur des  pièces de plexiglas, Jacobleu affirme des images grandeur nature d’individus quelconques. Il s’agit presque de zombies dont les traits sont étouffés par les jeux du tirage. Tous sont porteurs de fiches d’identification bien visibles, qui attendent d’être remplies. Des pièces sculpturales, taillées à vif dans le bois, servent de loges à chacun d’eux. Elles laissent fuir des lumières tout à la fois heurtées et poétiques. Lumières unifiantes, qui savent se frayer des chemins, pour dire la proximité, la pluralité, la diversité de tous les êtres engagés dans la même aventure identitaire sur cette terre des hommes…

 

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Jacobleu nous enseigne subtilement que l’homme d’aujourd’hui est, hélas, toujours remodelé par le regard des autres. Un regard souvent empli de préjugés, d’inquiétudes donc. Un regard dont la rhétorique fait du voisin, du passant, du voyageur, de l’autre tout simplement, une source potentielle de danger  pour soi. L’identité, la singularité, sont devenues de véritables « docudrames » et autorisent le curieux retour du sacrifice humain. Comment expliquer autrement ces morts d’Ivoiriens dans les heurts qui ont agité notre pays? Comment expliquer autrement la fermeture des portes de l’Europe à tous ces Africains désormais condamnés à prendre des barques de fortune pour défier les mers dévoreuses de vies? Par l’identification mal articulée, l’homme devient un réel loup pour l’homme. Il ne tente de se comprendre qu’à partir de l’autre, mais fait remonter en lui les sentiments terribles qui animalisent notre époque.

Les oeuvres de Jacobleu ne sont point énigmatiques, bien qu’elles semblent présenter, au premier abord, une abstraction hermétique. Elles disent simplement, au travers du conceptuel, un présent lourd à regarder. Elles montent comme une prière, avec leur langage ciselé, avisé, qui parle autant à Dieu qu’aux hommes. C’est donc à juste titre que l’artiste intègre dans son exposition la participation active de tous les visiteurs. Ces derniers sont contraints de vivre l’expérience pesante des personnages figurés sur les plexiglas: ils doivent, eux aussi, remplir leurs fiches pour mieux comprendre la problématique de l’identification. A la vérité,  nous sommes nous-mêmes une partie de ce que nous condamnons.